Parfois, dans la vie, nos ennemis semblent nous connaître mieux que nos amis. Nous avons tendance à considérer nos amis comme acquis, alors qu’il est essentiel de rester vigilants vis-à-vis de nos ennemis.
Je me souviens d'un discours de l'ancien chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, au plus fort de la confrontation avec l'Alliance du 14 mars, alors que celle-ci plaidait pour le soutien et l'assistance de l'Occident. Son message était que les États-Unis respectaient les puissants. C'était, et c'est d'ailleurs toujours, exact. Toutefois, il s'agissait à mon avis d'une analyse incomplète: les États-Unis respectent avant tout ceux qui ont une volonté de fer.
Nous devons nous en souvenir aujourd'hui, car il est indéniable que les relations transatlantiques traversent une phase de transition. C'est le message qu'a délivré le vice-président JD Vance lors d'un entretien accordé cette semaine, lorsqu'il a exhorté l'Europe à être plus indépendante et à ne pas se comporter comme un «vassal» des États-Unis.
Il est allé jusqu'à faire l'éloge des nations européennes qui se sont opposées à la guerre d'Irak menée par les États-Unis. Il faut se souvenir de la position de Jacques Chirac, le président français de l'époque, qui a pesé de tout son poids pour tenter d'empêcher le conflit. Mais c'était une mission impossible. La guerre d'Irak n'était pas une question d'armes de destruction massive ou de pétrole, c'était la réponse de l'Amérique aux attaques terroristes du 11-Septembre sur son sol. Je ne pense pas qu'il y ait eu la moindre possibilité de l'arrêter, même avec tous les efforts de l'Europe.
L'Europe s'est laissée séduire par la vie de confort et la générosité des États-Unis.
Khaled Abou Zahr
C'est un signe positif que Vance l'ait mentionné, car il est indéniable qu'il s'agissait de la première rupture de confiance entre les États-Unis et leurs alliés. Je pense que non seulement certains pays européens ne se sont pas opposés à la guerre en Irak, mais qu'ils l'ont encouragée. Ce fut, comme l'a dit Vance, un désastre stratégique.
Pourtant, ce n'est pas une opposition européenne plus forte qui aurait pu l'empêcher, mais une Europe plus forte. Une capacité militaire européenne plus forte et une volonté plus forte auraient pu aider son allié américain à répondre à l'attaque sur son sol d'une manière adaptée et plus efficace. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas refaire l'histoire.
Que ce soit au niveau national ou au niveau personnel, il est difficile de maintenir une amitié avec un ami beaucoup plus puissant ou riche. Cela demande de la discipline et une forte volonté, tout simplement parce que sans indépendance, on devient vite un vassal ou un profiteur. C'est ce qui est arrivé à l'Europe dans sa relation avec les États-Unis. Elle s'est laissée séduire par la vie de confort et la générosité des États-Unis. Le résultat est aujourd'hui une Europe non préparée et une relation affaiblie.
Je pense que la France, à commencer par le général de Gaulle, a montré comment garder son destin en main tout en restant amie avec les États-Unis. C'est cet esprit que les Européens doivent faire revivre dans leurs relations avec Washington.
Vance a raison de critiquer la dépendance de l'Europe à l'égard des États-Unis en matière de sécurité et d'économie. Les Européens auraient dû s'en rendre compte il y a longtemps. Mais ce qui importe aujourd'hui, c'est de ne pas laisser la situation actuelle évoluer vers une rupture des relations transatlantiques alors qu'un réajustement est nécessaire.
Il s'agit d'une voie à double sens, et tant les États-Unis que les Européens doivent vouloir et s'engager en faveur d'une «relation transatlantique 2.0», car un redémarrage de l'alliance capable de répondre aux nouveaux défis du monde est une nécessité.
Un redémarrage de l'alliance qui puisse répondre aux nouveaux défis du monde est une nécessité.
Khaled Abou Zahr
Mais que signifie concrètement une Europe plus forte? Les Européens ont commencé à se pencher sur la question. Ces derniers mois, l'Europe, et la France en particulier, ont redoublé d'efforts et lancé de nouvelles initiatives dans le but de renforcer leur souveraineté.
La France a créé Weimar+, une nouvelle alliance de sécurité ayant pour objectif l'autonomie stratégique de l'UE, et a plaidé pour que les industries de défense de l'UE soient financées par le futur Fonds européen de souveraineté.
En outre, ce mouvement de souveraineté inclut les nouvelles technologies. La France a par exemple accueilli le Sommet de l'intelligence artificielle en février, au cours duquel 110 milliards d'euros d'investissements ont été annoncés. Paris a également soutenu le programme InvestAI de l'UE à 200 milliards d'euros, qui vise à réduire la dépendance à l'égard des technologies étrangères. Compte tenu de la dépendance actuelle à l'égard des micropuces, tant pour le commerce que pour la défense, la France a fait pression en faveur d'un plan européen visant à sécuriser les technologies critiques telles que les semi-conducteurs.
La France, et l'Europe en général, ne doivent cependant pas oublier certaines leçons de l'histoire, comme la ligne Maginot. Il s'agit d'une ligne de fortifications construite par la France le long de sa frontière orientale dans les années 1930 pour dissuader une invasion militaire allemande. Sa construction supposait qu'elle protégeait le seul passage possible pour les troupes d'invasion. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les forces allemandes l'ont toutefois contournée en envahissant la forêt des Ardennes en 1940, ce qui a rendu la ligne inefficace.
Nous devons donc nous méfier des stratégies de défense potentiellement fortes mais malavisées. Cela signifie qu'il faut comprendre que, plus encore dans le monde d'aujourd'hui, il n'existe pas de solution unique pour relever les défis et qu'il est nécessaire d'adopter une approche diversifiée de la résilience. Par conséquent, l'Europe ne peut plus compter uniquement sur les États-Unis ou sur une technologie unique, mais doit continuer à innover.
Alors que les Européens continuent de relever les défis, peuvent-ils au moins compter sur l'amitié de Washington? Il est compréhensible qu'en l'absence de tout signe d'apaisement des tensions tarifaires, les Européens ne sachent pas comment interpréter les intentions futures des États-Unis. La volonté requise est-elle celle d'un réajustement ou celle d'une rupture ?
Les Européens ne doivent pas s'en préoccuper pour l'instant et continuer à développer leur résilience et leur autonomie. Malgré tout, ils doivent continuer à viser une relation forte mais équilibrée avec les États-Unis.
Après les mesures énergiques prises par Washington, tant à l'égard de ses amis que de ses ennemis, en vue d'infliger au système mondial un choc dont il avait grand besoin, il convient de maintenir une volonté européenne plus forte en faveur de la souveraineté. Nous devrions nous attendre à des mesures réelles et constructives et à la mise en place d'une planification solide et à long terme pour l'alliance transatlantique; une nouvelle alliance dans laquelle l'Europe a, en effet, la capacité de dire non.
Il faut comprendre que l'échec de la construction de la relation transatlantique 2.0» déstabilisera et nuira aux intérêts des États-Unis et de l'Europe, et entravera leur capacité à se tenir côte à côte dans les moments de grand danger.
Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plateforme d'investissement axée sur l'espace. Il est PDG d'EurabiaMedia et rédacteur en chef d'Al-Watan Al-Arabi.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com