Les liens florissants des États du Golfe avec l’Asie centrale et le Caucase du Sud

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Publié le Vendredi 18 juillet 2025

Les liens florissants des États du Golfe avec l’Asie centrale et le Caucase du Sud

  • Certains observateurs occidentaux ont tendance à oublier que cette influence remonte bien avant l’ère soviétique, et qu’elle perdurera probablement sous d’autres formes
  • Les pays du Golfe sont perçus comme proposant une relation plus équilibrée. En mettant en avant le développement économique et la collaboration sur les enjeux géopolitiques et sécuritaires stratégiques

Ces dernières années, il ne se passe pratiquement pas une semaine sans qu’une visite ou une annonce ne concerne un pays d’Asie centrale ou du Caucase du Sud et un État du Golfe. Le rythme des échanges entre ces régions s’accélère, qu’il s’agisse de diplomatie, de commerce ou de sécurité.

La semaine dernière, le groupe AD Ports des Émirats arabes unis et les Chemins de fer kazakhs ont annoncé le lancement des opérations de GulfLink, une coentreprise aux ambitions à long terme dans le paysage logistique d’Asie centrale. Plus tôt cette année, l’Ouzbékistan a instauré un régime d’exemption de visa pour les ressortissants du Golfe, approfondissant ainsi les liens régionaux. Sur le plan politique, le Kazakhstan accueille depuis longtemps un dialogue de paix sur la Syrie. Parallèlement, les Émirats arabes unis abordent désormais l’une des questions les plus sensibles du Caucase du Sud : l’accueil des pourparlers de paix entre les dirigeants arménien et azerbaïdjanais.

Cet engagement renforcé témoigne d’une implication croissante des pays du Golfe et d’une plus grande autonomie stratégique des puissances régionales. Il ne fait aucun doute que le Caucase du Sud et l’Asie centrale ont longtemps été sous l’influence politique de la Russie. Malgré l’effondrement de l’Union soviétique dans les années 1990, la Russie a su maintenir une forte emprise politique sur ces deux régions. Cela se manifeste notamment en période de crise, à travers la persistance d’alliances sécuritaires, de mécénats politiques et de médiations dans les conflits.

Certains observateurs occidentaux ont tendance à oublier que cette influence remonte bien avant l’ère soviétique, et qu’elle perdurera probablement sous d’autres formes. C’est un fait que les pays du Golfe ont bien compris ; ils n’ont pas cherché à s’ingérer, mais plutôt à bâtir des relations plus larges et mutuellement bénéfiques. Le Golfe s’est imposé comme un corridor stratégique essentiel pour les deux régions.

Cet engagement reflète une implication croissante des pays du Golfe et une plus grande autonomie des puissances régionales.

                                                           Khaled Abou Zahr

La région dans son ensemble présente un paysage géopolitique complexe, à la fois jeu d’échecs en trois dimensions et balle aux prisonniers. En effet, de la Turquie à la Russie, en passant par la Chine et les États-Unis, les influences s’exercent de toutes parts. Chacune de ces puissances avance avec ses propres intérêts stratégiques, son histoire et son agenda économique.

La Chine joue un rôle majeur grâce à la puissance de son économie, notamment par ses investissements dans les infrastructures et l’énergie via l’initiative des Nouvelles Routes de la soie. La Turquie mise sur des liens culturels et linguistiques forts, en particulier en Asie centrale — la popularité de ses séries télévisées en étant un bon indicateur. Les États-Unis, quant à eux, restent présents à travers la coopération sécuritaire, l’aide au développement et la diplomatie énergétique. Les gouvernements locaux doivent ainsi manier avec finesse leurs relations extérieures pour préserver leur autonomie et faire avancer leurs intérêts nationaux.

Dans ce contexte, les pays du Golfe sont perçus comme proposant une relation plus équilibrée. En mettant en avant le développement économique et la collaboration sur les enjeux géopolitiques et sécuritaires stratégiques, leur approche apparaît plus coopérative et moins intrusive que celle d’autres acteurs.

Les États du Golfe ont prouvé que leur priorité était d’établir des partenariats bénéfiques, capables de renforcer les deux parties sur les plans économique, culturel, politique et sécuritaire. La nature de cet engagement, alliée à l’influence internationale croissante du Golfe, offre aux pays d’Asie centrale et du Caucase du Sud un précieux élargissement de leur marge de manœuvre. Sans constituer une alternative complète — et sans doute sans jamais le devenir —, les pays du Golfe contribuent à rééquilibrer les jeux d’influence des grandes puissances.

D’une certaine manière, les pays du Golfe ont su incarner une nouvelle approche politique : une neutralité dynamique leur permettant de dialoguer et de coopérer avec toutes les puissances en présence. Cela se reflète clairement dans leurs politiques envers l’Asie centrale et le Caucase du Sud.

Il est impossible d’aborder ces deux régions uniquement sous l’angle économique ou du soft power. L’importance des routes logistiques et des vastes territoires concernés, soumis à des projets concurrents, a un impact direct sur la défense nationale de chaque pays — et sur les grandes puissances elles-mêmes. Ainsi, les bouleversements mondiaux entraînent des recompositions d’alliances. Avec la guerre en Ukraine et l’émergence d’industries de défense régionales plus compétitives, la domination russe via l’Organisation du traité de sécurité collective est aujourd’hui mise à l’épreuve.

Les pays du Golfe n’ont pas cherché à s’ingérer, mais à développer des relations plus larges et mutuellement bénéfiques. 

                                                              Khaled Abou Zahr

Les États de la région diversifient leurs partenariats. L’Arménie, historiquement dépendante du soutien militaire russe, reconsidère peut-être cette posture à la lumière des récents conflits, surtout face à l’efficacité démontrée du partenariat étroit entre l’Azerbaïdjan et la Turquie. En Asie centrale, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan équilibrent leurs liens sécuritaires avec la Russie tout en développant leur coopération avec la Chine et en s’engageant prudemment avec l’Occident. Les tensions frontalières persistantes entre le Kirghizistan et le Tadjikistan contribuent à l’instabilité régionale.

Sur ce plan, les pays du Golfe adoptent une approche différente. Bien que la logistique et l’énergie soient les axes majeurs de coopération, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont commencé à explorer des liens sécuritaires plus profonds, incluant le partage de renseignements, des exercices conjoints et une coopération bilatérale en matière de lutte contre le terrorisme. Ces efforts visent à répondre aux défis les plus complexes en Asie centrale, qui concernent l’ensemble des acteurs. Il s’agit principalement de menaces sécuritaires transfrontalières : radicalisation, trafic et cybercriminalité — des enjeux communs aux deux régions.

L’approche des États du Conseil de coopération du Golfe conserve le même esprit que leur coopération économique : elle reste centrée sur des partenariats équilibrés et sur le renforcement des capacités mutuelles.

Un domaine essentiel où les États du Golfe pourraient jouer un rôle clé, au milieu de ces dynamiques de pouvoir mouvantes, est la résolution des conflits frontaliers, souvent liés à des tensions ethniques. Ce défi ne se limite pas au Caucase du Sud et à l’Asie centrale ; il reflète une évolution de l’ordre mondial qui ouvre la voie à des comportements plus audacieux. Et c’est justement dans cette capacité à gérer ce genre de situations que les pays du Golfe se distinguent.

Ne pas résoudre les litiges historiques de frontières mal délimitées pourrait déclencher un effet domino de confrontations militaires dans un contexte de rivalités croissantes, réduisant à néant les avancées économiques. Voilà un domaine où le Golfe peut apporter une contribution précieuse.

Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plateforme d'investissement axée sur l'espace. Il est PDG d'EurabiaMedia et rédacteur en chef d'Al-Watan al-Arabi.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com