Crise mondiale: l’heure est à la révision des responsabilités entre les États-Unis et l’Europe

Il est important que les Etats-Unis et l'Europe redéfinissent leurs liens et leurs objectifs stratégiques, en particulier en cette période de crise. (AFP)
Il est important que les Etats-Unis et l'Europe redéfinissent leurs liens et leurs objectifs stratégiques, en particulier en cette période de crise. (AFP)
Short Url
Publié le Samedi 24 mai 2025

Crise mondiale: l’heure est à la révision des responsabilités entre les États-Unis et l’Europe

Crise mondiale: l’heure est à la révision des responsabilités entre les États-Unis et l’Europe
  • Les États-Unis planifient activement la réaffectation de leurs ressources militaires de l'Europe vers l'Indo-Pacifique
  • Leur objectif est de contrer les capacités militaires croissantes de la Chine

Depuis près de vingt ans, c'est-à-dire depuis la présidence de Barack Obama, nous entendons parler du «pivot vers l'Asie» de l'Amérique. Il s'agit d'un changement d'orientation de Washington de l'Europe et du Moyen-Orient vers l'Asie, avec l'objectif déclaré de contrer l'influence croissante de la Chine. Sur le terrain, ce n'est pas encore tout à fait visible. Mais les choses sont en train de changer. Les États-Unis sont sur la voie d'un transfert de ressources stratégiques de l'Europe vers l'Asie. Cela fait partie de l'ordre du jour du sommet de l'Otan du mois prochain. Ce changement réel place l'Europe et l'alliance transatlantique dans une nouvelle dynamique. Comment les nations européennes s'adapteront-elles à ce changement?

Les États-Unis planifient activement la réaffectation de leurs ressources militaires de l'Europe vers l'Indo-Pacifique. Leur objectif est de contrer les capacités militaires croissantes de la Chine. Cette réduction potentielle des troupes américaines en Europe sera discutée avec les alliés de l'Otan. Le ministère américain de la Défense a pris acte de ce changement et augmente les dépenses de défense dans la région indo-pacifique. Il a considérablement augmenté ses allocations budgétaires: pour l'année fiscale 2023, le Congrès a alloué environ 11,5 milliards de dollars (1 dollar = 0,88 euro) à l'Initiative de dissuasion dans le Pacifique, dépassant ainsi la demande initiale de 6,1 milliards de dollars. En comparaison, l'Initiative européenne de dissuasion a reçu une allocation budgétaire d'environ 3,7 milliards de dollars pour la même année fiscale, sans compter les fonds destinés à l'Ukraine.

Les fonds alloués au Pacifique visent à améliorer les systèmes de défense antimissile, les radars et les capteurs spatiaux, ainsi qu'à accroître les exercices et les formations militaires dans la région. Les médias ont fait état de la modernisation des bases de Guam, d'Okinawa et des Philippines. En outre, les États-Unis renforcent les alliances stratégiques telles qu'AUKUS et la Quadrilatérale, en se concentrant sur les capacités avancées et les exercices militaires conjoints. Une modernisation majeure de l'alliance de sécurité américano-japonaise est également en cours, améliorant les structures de commandement et la coordination de la réponse aux crises.

Si l'on lit entre les lignes des responsables européens, on constate un sentiment d'abandon de la part des États-Unis, voire, pour certains, de trahison.

                                                   Khaled Abou Zahr

Il va sans dire que ce changement majeur intervient à un moment difficile pour l'Europe, alors que la guerre fait toujours rage en Ukraine. Si l'on lit entre les lignes des responsables européens, on constate un sentiment d'abandon de la part des États-Unis, voire, pour certains, de trahison. Il s'agit d'une réaction extrêmement exagérée et potentiellement dangereuse pour l'Europe et les États-Unis.

La situation ressemble à celle d'un père qui dirait à son fils choyé qu'il est temps pour lui de voler de ses propres ailes. Le principal risque est que le fils perçoive cela comme un rejet plutôt que comme une action constructive. Sa réaction immédiate est souvent de prouver quelque chose à son père, plutôt qu'à lui-même, en montrant qu'il peut agir de manière responsable. Il s'ensuit généralement un faux pas imprudent et catastrophique.

Dans sa volonté de démontrer aux États-Unis qu'elle peut assurer seule sa sécurité, l'Europe court le risque de précipiter une escalade militaire, plutôt que de bâtir patiemment une dissuasion crédible face à la Russie. Une telle approche met en péril non seulement la stabilité du continent, mais aussi la stratégie américaine de réorientation vers l'Asie – une ligne de défense essentielle pour les intérêts européens.

Ce danger est déjà perceptible sur le front ukrainien, où les discours européens évoquent de plus en plus ouvertement une montée en puissance militaire, sans que l’Otan ou l’Europe ne soient véritablement préparées à en assumer les conséquences.

Des déclarations récentes, comme celles du Premier ministre britannique Keir Starmer sur l’envoi de troupes en cas d’accord de paix, ou celle du président Emmanuel Macron sur le déploiement possible de «forces de réassurance» post-conflit, laissent entendre que l'idée d'une intervention européenne directe reste sur la table, même en cas de poursuite des combats. Une telle décision, à ce stade, serait une erreur stratégique.

Ce qui semble émerger de ces prises de position n’est pas tant une stratégie de long terme qu’une volonté de prouver à Washington que l’Europe peut agir seule – au risque de se tromper de priorité. Car l'enjeu fondamental reste de construire une véritable capacité de dissuasion, ce qui nécessite des choix clairs et une coordination durable.

Porter les dépenses de défense européennes à un seuil commun de 3,5% du PIB représente un objectif ambitieux, mais nécessaire. Cela devrait être la priorité.

                                             Khaled Abou Zahr

C'est pourquoi il est important pour les États-Unis et l'Europe – et pour la stabilité future de l'alliance transatlantique – de redéfinir leurs liens et leurs objectifs stratégiques, en particulier en cette période de crise. Pour commencer, il est positif de voir les pays européens convaincus de la nécessité d'augmenter leurs dépenses militaires, certains d'entre eux allant même au-delà de l'objectif de 3,5 % du produit intérieur brut.

C'est le cas de la Pologne, qui a dépensé 4,1% de son produit intérieur brut l'année dernière. La Lituanie et le Danemark s'en sont également rapprochés, dépassant les 3% cette année. Toutefois, de nombreux autres pays, en particulier dans le sud de l'Europe, peinent à atteindre l'objectif actuel de l'Otan, à savoir 2% du PIB. En mars, la Commission européenne a lancé son initiative «Préparation à l'horizon 2030» afin de mobiliser des fonds d'ici à 2029. Malgré certains progrès, des lacunes importantes subsistent et l'atteinte d'un niveau de dépenses de défense unifié de 3,5% dans toute l'Europe reste un défi majeur. Cela devrait être une priorité pour soutenir la transition en cours.

Il est également important de s'assurer qu'il n'y a pas de lacunes en termes de capacités de défense et de sécurité. Compte tenu de la situation actuelle en Ukraine, l'Europe devra développer sa capacité industrielle militaire. Les niveaux de production actuels sont insuffisants pour reconstituer les stocks, maintenir l'état de préparation et répondre à tout scénario de conflit soudain. C'est le seul moyen d'établir l'autonomie stratégique de l'Europe au sein de l'Otan. Et c'est quelque chose que la Russie a déjà mis en place.

Les Européens devraient également être conscients de ce qui se passe dans la région indo-pacifique et se doter d'une stratégie et d'un objectif pour s'engager avec leurs alliés dans cette région. Le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et l'Inde sont tous des alliés de l'Europe.

L'Europe et les États-Unis doivent rester fidèles à l'alliance transatlantique malgré les nouveaux défis. Mais il est temps de tourner la page et l'Europe doit progressivement construire et affirmer ses capacités de dissuasion. Pour ce faire, l'Europe doit éviter de réagir de manière excessive, tout en assumant une plus grande responsabilité pour sa sécurité et en s'engageant plus activement, y compris dans la région indo-pacifique.

Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plateforme d'investissement axée sur l'espace. Il est PDG d'EurabiaMedia et rédacteur en chef d'Al-Watan al-Arabi.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com