Le Liban, un temps considéré comme la Suisse du Moyen-Orient, s'est accroché au secret bancaire bien après que le pays helvétique y ait renoncé. Malgré la crise de 2019 et le gel des dépôts bancaires – avec les implications que l'on connaît – le système a maintenu ce secret jusqu'à la fin du mois d'avril. Le Parlement libanais a alors finalement adopté une réforme clé accordant aux organismes de réglementation un accès élargi aux informations relatives aux comptes bancaires. C'était l'une des principales conditions posées par le Fonds monétaire international avant qu'il n'envoie le paquet financier promis. La réforme permet aux entités gouvernementales telles que la banque centrale de vérifier les comptes des clients, y compris rétroactivement sur une période pouvant aller jusqu'à 10 ans, sans avoir besoin d'une raison spécifique.
Sur le papier, cela semble être une mesure positive pour le Liban. Cependant, si nous examinons le modèle libanais, la façon dont les banques ont fonctionné et la façon dont les systèmes financiers parallèles se sont répandus, nous pourrions avoir envie de dire: attendons et voyons. Il ne faut pas oublier que le gel des comptes de dépôt et le système des dollars «frais» – des dollars américains dans le système bancaire libanais, soit en espèces, soit reçus par transfert bancaire international après octobre 2019 – ont été décidés unilatéralement par les banques, et non par une autre autorité. Ce système a permis aux banques libanaises de faire la distinction entre les devises étrangères nouvellement déposées et les «lollars», les dépôts en dollars d'avant la crise qui sont effectivement piégés dans le système et dont l'accès est fortement restreint.
Pire encore, le Hezbollah a développé un système financier complet qui n'est ni réglementé ni supervisé. Le gouvernement utilisera-t-il cette capacité élargie pour contrôler le Hezbollah et ses transactions financières? Cela devrait également être une priorité.
Tout comme ces réformes bancaires ont été obtenues grâce à la pression internationale, on peut imaginer qu'il en sera de même pour les demandes d'information. Je n'ai guère d'espoir que cela permette de découvrir des systèmes de corruption ou d'interroger sérieusement qui que ce soit. Même si le Premier ministre Nawaf Salam a salué cette initiative comme essentielle pour restaurer la confiance du public et de la communauté internationale et pour remédier à des décennies d'opacité financière, seul l'avenir nous le dira.
Il s'agit néanmoins d'une étape nécessaire pour satisfaire aux exigences de réforme de l'accord de renflouement du FMI, d'un montant de 3 milliards de dollars. Pour l'instant, il pourrait s'agir de l'objectif principal. Il est indéniable que les nouveaux dirigeants libanais posent les bonnes questions et établissent le bon programme. Reste à savoir s'ils ont la capacité et la volonté de mettre en œuvre les réformes tout en promouvant une relance économique.
Alors que la question de la remise de l'arsenal du Hezbollah est en suspens, son système financier parallèle devrait faire l'objet d'une enquête officielle. Toute entité menant des activités financières réglementées sans les licences appropriées devrait être sanctionnée et fermée. Il est très clair que le Hezbollah dispose d'un réseau commercial et financier sophistiqué. Ce réseau fonctionne en toute impunité, en dehors des réglementations bancaires officielles du Liban. Il a permis au mandataire iranien d'acheminer des fonds pour ses activités militaires, politiques et sociales, et ce malgré l'effondrement économique du pays et les sanctions internationales. Le centre névralgique est l'association Al-Qard al-Hasan, qui a été sanctionnée par les États-Unis mais qui continue à fonctionner sans être dérangée par les autorités libanaises. Elle entre clairement dans le champ des activités réglementées, puisqu'elle propose des prêts et des microfinancements aux loyalistes du Hezbollah.
Les nouveaux dirigeants libanais doivent être conscients que ce système comprend des revenus illicites provenant d'activités illégales. De nombreux articles de presse ont fait état du rôle du Hezbollah dans le trafic de drogue, le blanchiment d'argent et la contrebande à l'échelle mondiale. Ce rôle s'étend au-delà des frontières du Liban, jusqu'en Amérique du Sud et en Afrique, où le Hezbollah joue un rôle clé dans le commerce illégal de diamants. Ces activités ont généré des milliards et, tandis que la marchandise circule dans un sens, l'argent liquide circule dans l'autre par le biais de courriers et de réseaux «hawala».
La surveillance devrait également porter sur les flux financiers correspondant aux biens et à l'argent liquide fournis par l'Iran. Ces flux ont permis au Hezbollah de développer des marchés informels dans de nombreux secteurs, tels que l'immobilier, les produits pharmaceutiques et la contrebande de biens de consommation courante et d'articles ménagers.
En bref, le Hezbollah ne devrait plus être autorisé à opérer au-dessus de la loi de l'État. Ce statut privilégié est la plus grande source de corruption. C'est un vestige de l'occupation syrienne. Il faut y mettre un terme, car on ne peut s'attendre à un véritable durcissement de la lutte contre l'impunité bancaire (malgré les nouvelles lois) si l'État n'est pas en mesure de mettre un frein aux activités financières illicites du Hezbollah. C'est à cette brèche qu'il faut s'attaquer.
Les nouveaux dirigeants libanais doivent être conscients que le système du Hezbollah comprend des revenus illicites provenant d'activités illégales.
Khaled Abou Zahr
Cela signifie également que les activités sociales du Hezbollah, qui agissent comme un levier principal, doivent être placées sous la supervision de l'État. Les cliniques, les écoles et les magasins à bas prix doivent devenir un point de mire. Tout ce système parallèle ne peut perdurer, car il marque la fin du Liban. Dans le nouveau paysage géopolitique, si l'Etat ne parvient pas à réimposer son autorité, c'est le chaos qui s'installera.
Il ne fait aucun doute que le changement sera difficile à mettre en œuvre. Nous risquons donc de retomber dans un système positif sur le papier mais totalement négatif dans la réalité. C'est pourquoi une refonte complète du pays est nécessaire. La construction d'un nouveau Liban fait face à de nombreux défis et nécessite probablement un nouveau système politique qui donne du pouvoir à la volonté du pays.
Mais pour l'heure, les nouveaux dirigeants doivent trouver les moyens de rétablir la souveraineté du pays. Cela signifie que les mesures prises ne doivent pas être imposées par la communauté internationale, mais dirigées et décidées de l'intérieur, pour le bien du pays. Le fait de placer les banques et le Hezbollah sous l'autorité de la loi sera un indicateur clair de ce qui se passera à l'avenir.
Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plateforme d'investissement axée sur l'espace. Il est PDG d'EurabiaMedia et rédacteur en chef d'Al-Watan Al-Arabi.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com