Nous avons tous la mémoire courte et, avec la rapidité des informations mondiales, nous avons tendance à réagir à l'actualité sans regarder en arrière. En ce qui concerne la situation en France, nous devrions probablement remonter au moins deux décennies en arrière. Mais contentons-nous de regarder rapidement l'année dernière pour essayer de comprendre ce qui se passe aujourd'hui.
Mardi, un nouveau premier ministre a été nommé par le président Emmanuel Macron, alors que le pays se préparait à la journée de perturbations organisée mercredi par le mouvement "Bloquons Tout".
À la suite de la lourde défaite de son parti aux élections européennes de l'année dernière et de la montée du Rassemblement national, M. Macron a annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale. Des élections législatives anticipées ont été organisées peu après, mais elles ont abouti à un parlement sans majorité claire. Le Rassemblement national constituait le plus grand bloc unipartite. La politique s'est alors mise en marche et le nouveau Front populaire - réunissant la France insoumise, le Parti socialiste, les Verts et le Parti communiste français - est arrivé en tête avec environ 182 sièges. Macron s'est ensuite allié au centre et à la gauche dans une assemblée fragmentée qui a compliqué toute tentative de gouvernance.
Après de longues négociations, Michel Barnier, ancien commissaire européen et figure éminente du parti de centre-droit Les Républicains, a été nommé premier ministre en septembre dernier, avec pour mission de former un gouvernement d'unité. Son gouvernement était une alliance tendue entre les centristes et la gauche, la pression la plus forte étant exercée par l'extrême gauche. En bref, alors que les votes indiquaient un pays penchant vers les partis conservateurs, la politique lui a donné un gouvernement de centre-gauche.
Alors que les votes indiquaient que le pays penchait vers les partis conservateurs, la politique lui a donné un gouvernement de centre-gauche.
Khaled Abou Zahr
Il n'est donc pas surprenant qu'il n'ait pas duré longtemps et qu'au début de l'année 2025, François Bayrou ait succédé à Barnier au poste de premier ministre, soutenu par l'idée d'un nouveau compromis centriste. Bayrou tire rapidement la sonnette d'alarme sur l'ampleur de la dette publique lors de la préparation du budget 2026. Il a présenté un plan prévoyant de lourdes coupes budgétaires et des augmentations de recettes ciblées. Tout en essayant d'obtenir un mandat clair, il a choisi de soumettre son gouvernement à un vote de confiance, mais celui-ci a été rejeté par l'Assemblée nationale lundi, ce qui a entraîné sa chute.
Tout cela s'est produit alors que la colère populaire ne cessait de croître. Le "Bloc tout", lancé au printemps dans les milieux souverainistes, a été rapidement détourné par la gauche radicale et les syndicats. Il s'est transformé en un mouvement de mobilisation sociale parallèlement au blocage politique de l'assemblée. Il s'apparente au mouvement des "gilets jaunes". Cette semaine, alors que les manifestations ont envahi la France, Sébastien Lecornu, ancien ministre de la défense et proche allié de Macron, a été nommé Premier ministre et a entamé des consultations en vue de former un nouveau gouvernement.
M. Bayrou a eu raison de tirer la sonnette d'alarme, car la situation en France pourrait non seulement plonger le pays dans une situation difficile, mais aussi entraîner l'Europe dans le chaos financier, compte tenu du poids de la France au sein de l'UE.
Paris est confronté à une situation économique extrêmement fragile, la dette publique atteignant quelque 3 300 milliards d'euros (3 800 milliards de dollars), soit 114 % du produit intérieur brut, et le paiement des intérêts de la dette devrait dépasser 100 milliards d'euros d'ici à 2029. Le déficit budgétaire est estimé à 5,8 % du PIB, bien au-delà du seuil de 3 % fixé par l'UE. Cette situation se reflète sur les marchés financiers, puisque le pays emprunte désormais à un taux supérieur à celui de la Grèce et proche de celui de l'Italie. Cette méfiance des investisseurs met en évidence le risque que la France soit bientôt incapable de prendre des décisions en raison de l'instabilité politique. Celle-ci pourrait alors s'étendre à l'ensemble de la zone euro.
La situation actuelle en France rappelle, à plusieurs égards, la crise grecque de 2010 à 2012 et c'est ce qui se reflète sur les marchés financiers. Si cette tendance se poursuit, la France pourrait être confrontée à un scénario dans lequel le refinancement de sa dette deviendrait beaucoup plus coûteux, ce qui limiterait sa capacité à financer les services publics et les investissements. Le pays pourrait être contraint d'adopter des mesures d'austérité bien plus sévères que celles proposées dans le budget 2026 de M. Bayrou. Cela alimenterait le malaise social actuel. La France étant la deuxième économie de la zone euro, cette situation aurait rapidement un effet sur l'Europe et pourrait s'étendre à d'autres marchés souverains.
La France pourrait bientôt être incapable de prendre des décisions en raison de l'instabilité politique. Cette situation pourrait s'étendre à l'ensemble de la zone euro
Khaled Abou Zahr
Il existe un risque réel de crise généralisée en France, y compris une ruée sur les banques, qui non seulement affaiblirait l'euro mais présenterait également un véritable risque systémique. Les banques européennes exposées à la dette ou aux institutions financières françaises pourraient subir des pertes importantes. Cela pourrait nécessiter l'intervention de la Banque centrale européenne pour stabiliser le système bancaire et éviter un effet domino dans la zone euro. Cela pourrait également contraindre les institutions européennes à envisager des mécanismes de soutien similaires à ceux mis en œuvre pour la Grèce.
C'est pourquoi il est essentiel de présenter un plan d'assainissement budgétaire clair et réalisable afin de restaurer la confiance avant qu'il ne soit trop tard. La France, qui est déjà dans le trio de tête des pays européens en termes d'endettement par rapport au PIB, n'a pas d'autre choix que de réduire les dépenses publiques à long terme et à court terme. Mais des coupes sans plan de croissance seraient un désastre encore plus grand ; il faut donc préserver les investissements essentiels à la croissance et à la compétitivité, ainsi que la défense.
Cependant, notre petit retour en arrière indique qu'il y a peu de chances que cela se produise et qu'avec les machinations politiques en cours, il n'y a pas de place pour une véritable stratégie. Les choses pourraient même empirer, car des voix commencent à s'élever pour réclamer une Sixième République. Sans majorité absolue, les compromis politiques permettront peut-être de boucler un budget 2026 et de retarder la crise, mais ils n'apporteront pas de véritable solution.
Si cette crise semble nationale, elle symbolise quelque chose de plus profond en Europe : la fin d'une époque et la nécessité de se réinventer pour faire face aux défis mondiaux d'aujourd'hui. La France reste un pays de contradictions car, sur fond de débâcle politique, la startup Mistral AI s'est imposée comme un concurrent exceptionnel dans la course à l'intelligence artificielle et a obtenu cette semaine une valorisation de 14 milliards d'euros lors d'un nouveau tour de table. Le réservoir de talents, de capacités et de souveraineté de la France est incroyable et exceptionnel, tout comme ses acteurs politiques sont incompétents et égocentriques. Cette nouvelle montre que l'innovation prospère malgré, ou peut-être grâce au chaos qui règne à Paris. Il est urgent de relancer l'innovation, comme l'a fait Charles de Gaulle. La France et l'Europe ont besoin d'un véritable leadership.
Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plateforme d'investissement axée sur l'espace. Il est PDG d'EurabiaMedia et rédacteur en chef d'Al-Watan Al-Arabi.
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.