Crise économique et tensions militaires : l’Europe face à ses contradictions

Alors que Trump présente une issue potentielle pour mettre fin à la guerre entre la Russie et l'Ukraine, la position européenne est surprenante. (File/AFP)
Alors que Trump présente une issue potentielle pour mettre fin à la guerre entre la Russie et l'Ukraine, la position européenne est surprenante. (File/AFP)
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Publié le Vendredi 05 septembre 2025

Crise économique et tensions militaires : l’Europe face à ses contradictions

Crise économique et tensions militaires : l’Europe face à ses contradictions
  • L’Europe fait face à une double crise : une fragilité économique croissante — dette élevée, faible compétitivité, croissance limitée — et une pression militaire accrue avec la guerre en Ukraine, la poussant potentiellement vers une économie de guerre
  • Une défense durable exige une rigueur budgétaire : pour renforcer sa capacité de dissuasion sans compromettre son avenir

La guerre est-elle devenue le meilleur moyen d’absoudre l’Europe de ses erreurs économiques ? Le continent fait aujourd’hui face à un jugement économique inévitable. En regardant la réunion du mois dernier à la Maison Blanche entre le président américain Donald Trump et les dirigeants européens, je n’ai pu m’empêcher de me demander si nous n’allions pas droit vers la guerre.

Il ne fait aucun doute que la Russie a envahi l’Ukraine, et cela représente un risque majeur pour la sécurité européenne. Pourtant, alors que Trump présentait une issue possible pour mettre fin au conflit, la position européenne m’a surpris. J’aurais imaginé que les dirigeants européens auraient sauté sur l’occasion et soutenu un accord pour mettre fin à ce danger majeur pour l’avenir du vieux continent. Mais l’opposition qu’ils ont exprimée, ainsi que les conditions posées, arrivent à un moment où l’Europe n’a ni la capacité militaro-industrielle pour faire la guerre, ni les finances en état.

Je ne peux donc m’empêcher de me demander si une dérive vers la guerre ne pourrait pas résoudre, en apparence, un problème économique en basculant vers une économie de guerre, sans limite pour les dépenses et l’endettement public. En somme, alors que l’Europe doit investir dans sa défense alors qu’elle est étranglée financièrement, va-t-elle s’entraîner elle-même dans une guerre, tombant dans le piège tendu par la Russie ?

Je défendrai mon pays, la France, qu’il ait raison ou tort, face à toute guerre, et en aucun cas je ne justifie les actions de la Russie. Mais la tendance est inquiétante.

Peu de temps après la réunion de Washington, deux nouvelles ont attiré l’attention, toutes deux concernant la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. La première est sa déclaration selon laquelle l’UE aurait des plans concrets pour envoyer des troupes en Ukraine, ce qui dépasserait le cadre d’une force de règlement de paix précédemment évoquée. Cela signifie que, plus le conflit dure, plus le soutien européen à Kyiv s’intensifiera. En conséquence, bien que cela ne soit pas encore annoncé, cela pourrait aller jusqu’à une implication directe. Or, peu importe leur mission sur place, des bottes au sol restent des bottes au sol — et cela signifie que ces pays seront directement en guerre contre la Russie et ses alliés.

L’Europe fait face à une crise de dette élevée, de faible compétitivité, d’inefficacités structurelles et d’un potentiel de croissance limité.

                                                      Khaled Abou Zahr

La deuxième information concerne le brouillage présumé du GPS de l’avion de Von der Leyen par Moscou, ce qui constitue en quelque sorte un message : la guerre est la guerre, sale et totale, du ciel jusqu’à la terre. À cela s’ajoute la révélation, faite par un quotidien français, d’une demande officielle adressée aux établissements de santé en France afin de se préparer à un engagement majeur — autrement dit à une guerre, avec l’accueil de soldats. Cette préparation est nécessaire, mais l’orientation générale des événements ne rassure pas.

Et cela survient alors que la France atteint un niveau d’endettement de 114 % de son PIB, alourdie par une dépense publique massive et des déficits persistants, tout en glissant dans une instabilité politique inédite. L’Allemagne, de son côté, est en stagnation : son modèle économique fondé sur les exportations souffre d’une demande mondiale affaiblie et d’une transition énergétique coûteuse, ce qui freine la croissance malgré une dette relativement plus faible.

L’Italie, avec une dette publique proche de 138 % du PIB, lutte contre une faible productivité chronique, une instabilité politique permanente et un vieillissement démographique, rendant sa dette insoutenable et ses perspectives de croissance quasi nulles. Quant à l’Espagne, à environ 102 %, elle reste entravée par un chômage élevé et une dépendance excessive aux services, ce qui rend son économie vulnérable aux chocs extérieurs.

Ces chiffres révèlent l’ampleur de la crise qui menace l’Europe : dette élevée, compétitivité affaiblie, lourdeurs structurelles, faible croissance. La zone euro ne devrait croître que de 0,9 % en 2025 et 1,4 % en 2026. Cette situation expose le continent à de fortes tensions financières et sociales, susceptibles d’exploser à court terme.

Les nations européennes doivent faire ce qu’il faut sur le plan de la défense, tout en restant responsables sur le plan économique. 

                                                           Khaled Abou Zahr

Il est impossible de nier la réalité géopolitique, mais si l’on peut éviter les horreurs de la guerre — que l’on observe déjà aujourd’hui —, cela doit être fait immédiatement. Le problème, c’est que même en cas de paix, l’Europe devra renforcer ses capacités de défense pour constituer une véritable force dissuasive. Elle devra aussi trouver une solution pour restaurer ses finances tout en augmentant ses dépenses militaires à des niveaux records. En 2024, les États membres de l’UE y consacrent déjà 326 milliards d’euros (soit 1,9 % du PIB), une somme qui devrait atteindre 381 milliards en 2025. Le nouveau plan "Readiness 2030" prévoit de mobiliser 800 milliards grâce à plus de flexibilité budgétaire et un programme de prêts de 150 milliards pour des achats communs.

C’est pourquoi il est impératif de trouver une solution permettant aux pays européens de faire le nécessaire pour leur défense, tout en maintenant une rigueur économique. Je pense que les règles budgétaires assouplies ne devraient s’appliquer qu’aux dépenses de défense, tandis que les pays devront continuer à assainir leurs finances. C’est une nécessité. La volonté de l’Europe de renforcer sa défense enverra un signal fort de sa capacité à se protéger. Mais cela ne doit pas devenir une excuse pour justifier une mauvaise gestion financière, qui risquerait de précipiter le continent dans un conflit. Une mutualisation plus large de cet effort est à rechercher d’urgence.

Cela ne revient en aucun cas à justifier la position russe. Mais si une solution était trouvée aujourd’hui, elle refléterait l’équilibre des forces sur le terrain — on ne peut échapper à cette réalité. Je ne partage pas l’avis des experts affirmant qu’un compromis ouvrirait la voie à plus de confrontations avec la Russie ou à davantage d’expansionnisme. Chercher une défaite totale de la Russie n’est ni réaliste ni souhaitable. Le sang a déjà trop coulé. L’histoire des accords de paix montre que ce qui compte, ce n’est pas la signature du jour J, mais ce qui suit. Et une défense forte appuyée sur une économie solide est la meilleure manière pour l’Europe de tourner la page — même avec la Russie.

Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plateforme d'investissement axée sur l'espace. Il est PDG d'EurabiaMedia et rédacteur en chef d'Al-Watan al-Arabi.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com