Pour l’archevêque de Rabat, «tous les représentants religieux doivent se convertir en artisans de paix»

Monseigneur Cristobal Lopez Romero, cardinal et archevêque de Rabat, revient, pour Arab News en français, sur sa vie au Maroc.TIZIANA FABI / AFP
Monseigneur Cristobal Lopez Romero, cardinal et archevêque de Rabat, revient, pour Arab News en français, sur sa vie au Maroc.TIZIANA FABI / AFP
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Publié le Samedi 25 décembre 2021

Pour l’archevêque de Rabat, «tous les représentants religieux doivent se convertir en artisans de paix»

  • «Notre présence est significative, dans la mesure où nous véhiculons un message: nous sommes trente mille chrétiens catholiques de plus de cent nationalités différentes»
  • «Les religions ne doivent pas être des causes de tensions, tout au contraire: elles doivent devenir une partie de la solution»

Qui sont les chrétiens du Maroc? Comment vivent-ils et comment célèbrent-ils Noël? Quels rapports entretiennent-ils avec la population marocaine, à très forte majorité musulmane? Monseigneur Cristobal Lopez Romero, cardinal et archevêque de Rabat, répond à ces questions et revient également, pour Arab News en français, sur sa vie au Maroc.


Comment se déroulent les préparatifs de la célébration de Noël? Pouvez-vous nous expliquer ce que vous faites durant les jours qui précèdent cette fête?
La préparation de Noël, dans l’ensemble du monde chrétien, se déroule sur quatre semaines. Cette période, que nous appelons «l’Avent», symbolise la venue de Jésus, son avènement. Pendant quatre semaines, chaque dimanche, nous faisons des lectures à la messe afin de nous y préparer. Nous vivons dans un climat de joie progressive, au fur et à mesure que la fête approche. En outre, lors de cette période, les familles chrétiennes ont l’habitude de construire la crèche de Jésus, ce que nous faisons également, dans chaque église. Elle réunit les personnages présents lors de la naissance de Jésus. C’est un symbole très catéchétique dans la mesure où l’on apprend beaucoup de la crèche.

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Le pape François (R) embrasse le nouveau cardinal prélat espagnol Cristobal Lopez Romero (L) après l'avoir nommé lors d'un Consistoire public ordinaire pour la création de nouveaux cardinaux, le 5 octobre 2019 à la Basilique Saint-Pierre au Vatican. TIZIANA FABI / AFP


Il y a également les cadeaux lors de la dernière semaine. Les familles qui en ont l’habitude s'en échangent; c’est souvent le 24 décembre, car nous pensons que c’est à cette date que Jésus est né, alors que le 25, il s’agit de la solennité de la nativité de Jésus.
Il y a donc la préparation spirituelle, qui est la plus importante, mais il y a aussi la préparation culinaire; par exemple, l’élaboration des repas que l’on mangera le jour et la nuit de Noël. Nous essayons surtout de concentrer nos efforts sur la préparation spirituelle afin d’être préparés dans la foi, dans l'espérance et dans l’amour.

Comment se déroulent, au Maroc, la messe et le réveillon de Noël?
Au Maroc, les 24 et 25 décembre sont des jours de travail; ils ne sont pas fériés. En tant que chrétiens, nous devons donc nous adapter. Avant, il y avait une tradition très forte qui consistait à célébrer la messe à minuit; en Espagne, on l’appelle «la Misa del Gallo» («la messe du coq»).
Aujourd'hui, cela devient de plus en plus difficile pour les chrétiens de repartir à la maison à 2 heures du matin; nous avons pris l’habitude de commencer la messe de Noël à 20 heures et de la terminer vers 22 heures pour que chacun puisse rentrer chez soi, faire la Cène de Noël et participer au repas du soir. Nous nous concentrons surtout sur la célébration liturgique, c'est-à-dire la messe, mais ce ne sont pas les chants habituels: ce sont des chants spécialement adaptés à cet événement. Toutes les autres manifestations de cette période sont culturelles. Chaque pays possède sa propre culture et ces manifestations varient beaucoup. Dans les pays froids, par exemple, on ne peut pas concevoir Noël sans neige. En revanche, si vous allez au Brésil, c’est l'été.
Il est important d’établir une distinction claire entre ce qui appartient à la religion, à la foi, et ce qui appartient à la culture de chaque région géographique. Il faut donc retenir deux éléments: la messe, qui rassemble tous les chrétiens dans une église pour célébrer Noël, et la réunion des familles, avec les traditions qui en découlent.

Comment décririez-vous la communauté chrétienne du Maroc? Qu’est-ce qui caractérise l'Église marocaine?
La communauté catholique est insignifiante au Maroc, car elle compte si peu de membres, elle est minuscule... Nous sommes plus ou moins trente mille chrétiens catholiques, ce qui ne représente même pas 0,1% de la population marocaine. Certes, ce nombre est insignifiant, mais notre présence est significative, dans la mesure où nous véhiculons un message: nous sommes trente mille chrétiens catholiques de plus de cent nationalités différentes. C’est difficile de trouver un pays qui n’a pas de représentant catholique au Maroc. Les cinq continents y sont représentés, ce qui en fait une communauté très universelle. D’ailleurs, dans l'étymologie du mot «catholique», on retrouve «universel».
La communauté catholique marocaine se compose essentiellement d’étudiants et d’universitaires subsahariens, de jeunes hommes et de jeunes femmes qui sont venus de toute l’Afrique afin de poursuivre leurs études au Maroc. Ils sont à peu près quatorze mille et leur venue redonne de la joie, du rythme et de la vitalité à notre communauté, qui était vieillissante. Aujourd'hui, on peut remarquer qu’il y a plus d’hommes que de femmes, plus de jeunes que d’adultes et plus de Noirs que de Blancs dans notre communauté; en Europe, c’est l’inverse. C’est une communauté où tout le monde se connaît et qui, chaque dimanche, se réunit dans la joie à l’occasion de la messe. On la retrouve dans une vingtaine de villes du Royaume.

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Le pape François (R) met la barrette alors qu'il nomme le cardinal prélat espagnol Cristobal Lopez Romero (L) lors d'un consistoire public ordinaire pour la création de nouveaux cardinaux, pour l'imposition de la barrette, la consignation de l'anneau et l'attribution du titre ou Diaconat, le 5 octobre 2019 à la Basilique Saint-Pierre au Vatican. TIZIANA FABI / AFP

Quels sont les engagements qui tiennent à cœur à la communauté catholique du Maroc?
Notre communauté est très engagée au service du peuple marocain et du peuple des migrants. Nous travaillons beaucoup, à travers les paroisses, pour aider ces derniers, les mineurs non accompagnés ou encore les femmes enceintes. Il s’agit donc d’une communauté jeune et universelle qui est au service de l'éducation et de la culture ainsi que des personnes en situation de migration. Ces gens sont dans la détresse; ils viennent de tous les pays. Nous sommes nous-mêmes des étrangers, mais nous ne voulons pas que l’Église soit étrangère, nous la voulons marocaine; nous désirons nous acculturer afin de faire partie de ce pays et de nouer des relations avec la population marocaine.

Peut-on dire que le Maroc et les Marocains sont tolérants vis-à-vis de la foi chrétienne?
Sur 37 millions de Marocains, il y a vraiment de tout. Mais ce que j’observe et ce que je retiens, c’est que la plupart des Marocains expriment de la sympathie à l'encontre des chrétiens. Il ne s’agit pas seulement de tolérance; pour nous, la tolérance, c’est très peu, car, par définition, on ne «tolère» que quelque chose de mauvais. Nous ne voulons pas être «tolérés»: nous voulons être reconnus, respectés et aimés. C’est exactement cette attitude que nous observons chez les Marocains qui nous connaissent et nous côtoient. Nous sommes acceptés, appréciés, respectés, et je pense que nous arrivons à travailler ensemble pour construire le monde que Dieu veut. Nous allons davantage vers la fraternité que vers la tolérance. Même si nous avons une religion, une nationalité et une tradition différentes, nous sommes avant tout frères et sœurs.

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L'archevêque catholique romain Cristobal Lopez Romero remet une hostie à un fidèle d'Afrique subsaharienne lors de la messe du premier dimanche de Carême à la cathédrale catholique Saint-Pierre de Rabat, la capitale marocaine, le 10 mars 2019. FADEL SENNA / AFP

Qu’avez-vous remarqué durant cette période de pandémie? Avez-vous, par exemple, observé un regain de foi chez les fidèles?
Oui, il y a eu un regain de foi; pour certains, il était authentique, mais d’autres se trompaient: ils pensaient que la pandémie de la Covid-19 était un châtiment divin, ce qui n’est pas vrai – et j’ai combattu cette idée.
Pour la plupart, cette pandémie fut une opportunité pour prier davantage, pour se rapprocher de Dieu et, surtout, pour se rendre compte que nous sommes dans le même bateau, celui de la solidarité. Je pense que, de ce point de vue, cela a été utile et cela a permis de souder les gens, alors même qu’il était difficile de se rencontrer physiquement.
Cependant, quand on se rapproche de Dieu simplement parce qu’on a peur, dès que le danger disparaît, ce rapprochement s'évanouit. Je ne crois pas beaucoup à un rapprochement de Dieu motivé par la peur. Je crois au rapprochement de Dieu grâce à l’amour.
J'espère que, durant cette période, les gens ont eu l’occasion de découvrir que, pour aimer Dieu, il faut aimer son prochain. D’ailleurs, durant la pandémie, nous avons assisté à une vague de solidarité extraordinaire, que ce soit parmi les musulmans ou parmi les chrétiens. Nous avons aidé beaucoup de migrants et nous avons remarqué que les dons venaient de partout. On n’a même pas eu à demander: les gens étaient conscients de l’urgence. Finalement, la pandémie a été une opportunité pour approfondir notre foi, mais aussi pour découvrir le potentiel des réseaux sociaux. Par exemple, nous avons organisé des messes, des réunions et des rencontres sur les réseaux sociaux. Cela a donné un élan de créativité dans le domaine éducatif et religieux.

Vous avez vécu au Maroc de 2003 à 2010 et vous avez été directeur de la communauté des salésiens au Maroc. Quel était votre rôle?
J’ai été le directeur de l'école Don Bosco. Don Bosco est le fondateur de l’ordre des salésiens. Ce prêtre éducateur a fondé une congrégation dans le but d’agir en faveur de l'éducation et de la jeunesse. Cette école existe depuis près de quatre-vingt-cinq ans dans la ville de Kénitra, et nous avons aujourd’hui près de mille élèves en maternelle, en primaire et au collège. Voici une petite anecdote au sujet de cette école: chaque vendredi, tous les élèves se rassemblent dans la cour et écoutent la récitation du Coran. C’est une habitude que j’ai moi-même initiée et je tenais souvent le microphone de l’intervenant; lui priait avec le Coran, et moi je priais également, en silence, en tant que chrétien catholique. Tous ensemble, nous invoquions le même Dieu. Cette tradition perdure chaque vendredi à l'école Don Bosco de Kénitra, une école très connue et très réputée au Maroc.

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Vue de l'église espagnole Alfonso XIII à Tanger 26 novembre 2007. ABDELHAK SENNA / AFP

Huit ans plus tard, vous êtes revenu au Maroc en tant qu'archevêque de Rabat. Qu’est-ce qui a changé durant votre absence?
Pour moi, cela a beaucoup changé. Quand je suis venu au Maroc la première fois, je vivais à Kénitra; c’était mon lieu de vie et de travail. Aujourd’hui, je vis à Rabat. J’ai mon domicile à l'archevêché, mais mon travail s'étend d’Agadir jusqu'à Oujda, en passant par Errachidia, Midelt, Ouarzazate, Marrakech… Je dois parcourir tout le Maroc, ce qui me permet de connaître le pays mieux que la plupart des Marocains. Cette dernière semaine, par exemple, j’ai voyagé de Rabat à Oujda, d’Oujda à Nador, de Nador à Al Hoceïma, puis je suis allé à Tanger, pour revenir à Rabat. En quatre jours, j’ai parcouru 1 300 kilomètres, j’ai assisté à sept ou huit réunions et célébrations. Cela me permet d'être en contact avec la réalité du Maroc dans différentes régions.

Quel impact a eu la visite du pape François sur les Marocains en 2018?
Cette visite a eu un impact très positif. Elle a marqué un tournant positif dans les relations entre musulmans et chrétiens. Elles étaient déjà bonnes; d’ailleurs, ce sont les rapports solides entre le Saint-Siège et le Maroc qui ont permis cette visite du Pape au Maroc. Cela a également donné l’impulsion d’un développement positif des relations islamo-chrétiennes. Je dois dire que, grâce aux autorités, à commencer par Sa Majesté, il y a toujours eu une attitude très positive envers nous. On veut nous aider, on veut nous accueillir, il y a comme une joie à l’idée que nous soyons ici. Après la visite du Pape, nous avons publié un livre, Rabat, capitale africaine du dialogue interreligieux – et c’est vraiment le cas. Grâce à la visite du Pape, le Maroc est resté pendant des jours, des semaines, voire des mois, au centre de l’actualité.
Je souhaite que chaque jour que Dieu fait soit un jour de rapprochement, qu’il y ait de plus en plus de Marocains désireux de nous connaître – comme nous, les chrétiens, souhaitons aussi connaître l’islam. Pour l’anecdote, nous chrétiens (catholiques et protestants), nous avons un institut théologique qui s’appelle «Al Mowafaqa», ce qui signifie «l’accord» en arabe. Il a pour fonction que les chrétiens approfondissent leur foi, mais en étudiant également l’islam. J’ai moi-même suivi un séminaire d'islamologie afin de mieux connaître et de mieux comprendre l’islam.

Quel regard portez-vous sur le monde d’aujourd’hui, notamment avec la pandémie? Quels sont les principaux défis à relever par les clergés des différentes religions, selon vous?
Je dois avouer que je ne connais pas beaucoup de pays arabes. J’ai été quatre jours au Liban, en Tunisie deux fois, et une fois en Égypte. Cependant, d'après ce que je vois sur les réseaux sociaux et les canaux de communication, cela me fait mal au cœur de voir les problèmes qui existent en Palestine, au Liban, en Irak, en Iran, ou même en Tunisie et en Algérie. Cela me fait mal qu’il n'y ait pas de fraternité entre les pays à majorité musulmane. Par ailleurs, je pense que, à cause de la pandémie, mais aussi en raison d’autres problèmes, tous les représentants religieux doivent se convertir en artisans de paix. Les religions ne doivent pas être des causes de tensions, tout au contraire: elles doivent devenir une partie de la solution.

 


La coalition arabe met en garde contre toute action militaire compromettant la désescalade au Yémen

Des membres yéménites des tribus Sabahiha de Lahj lors d'un rassemblement pour manifester leur soutien au Conseil de transition du Sud (STC) dans la ville portuaire côtière d'Aden, le 14 décembre 2025. (AFP)
Des membres yéménites des tribus Sabahiha de Lahj lors d'un rassemblement pour manifester leur soutien au Conseil de transition du Sud (STC) dans la ville portuaire côtière d'Aden, le 14 décembre 2025. (AFP)
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  • Le porte-parole de la coalition, le général de division Turki Al-Maliki, a indiqué que cet avertissement fait suite à une demande du Conseil présidentiel yéménite pour prendre des mesures urgentes

DUBAÏ : La coalition arabe soutenant le gouvernement yéménite internationalement reconnu a averti samedi que tout mouvement militaire compromettant les efforts de désescalade serait traité immédiatement afin de protéger les civils, a rapporté l’Agence de presse saoudienne.

Le porte-parole de la coalition, le général de division Turki Al-Maliki, a déclaré que cet avertissement fait suite à une demande du Conseil présidentiel yéménite visant à prendre des mesures urgentes pour protéger les civils dans le gouvernorat de Hadramout, face à ce qu’il a qualifié de graves violations humanitaires commises par des groupes affiliés au Conseil de transition du Sud (CTS).

Le communiqué précise que ces mesures s’inscrivent dans le cadre des efforts conjoints et continus de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis pour réduire les tensions, faciliter le retrait des forces, remettre les camps militaires et permettre aux autorités locales d’exercer leurs fonctions.

Al-Maliki a réaffirmé le soutien de la coalition au gouvernement yéménite internationalement reconnu et a appelé toutes les parties à faire preuve de retenue et à privilégier des solutions pacifiques, selon l’agence.

Le CTS a chassé ce mois-ci le gouvernement internationalement reconnu de son siège à Aden, tout en revendiquant un contrôle étendu sur le sud du pays.

L’Arabie saoudite a appelé les forces du CTS à se retirer des zones qu’elles ont prises plus tôt en décembre dans les provinces orientales de Hadramout et d’Al-Mahra.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Les Émirats arabes unis saluent les efforts de l’Arabie saoudite pour soutenir la stabilité au Yémen

Les Émirats arabes unis ont également réaffirmé leur engagement à soutenir toutes les initiatives visant à renforcer la stabilité et le développement au Yémen. (WAM)
Les Émirats arabes unis ont également réaffirmé leur engagement à soutenir toutes les initiatives visant à renforcer la stabilité et le développement au Yémen. (WAM)
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  • Les Émirats arabes unis ont salué le rôle constructif du Royaume dans la promotion des intérêts du peuple yéménite

DUBAÏ : Les Émirats arabes unis ont salué vendredi les efforts de l’Arabie saoudite pour soutenir la sécurité et la stabilité au Yémen, a rapporté l’agence de presse officielle WAM.

Dans un communiqué, les Émirats ont loué le rôle constructif du Royaume dans la promotion des intérêts du peuple yéménite et dans le soutien de leurs aspirations légitimes à la stabilité et à la prospérité.

Les Émirats ont également réaffirmé leur engagement à soutenir toutes les initiatives visant à renforcer la stabilité et le développement au Yémen, en soulignant leur appui aux efforts contribuant à la sécurité et à la prospérité régionales.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Le Liban adopte le projet de loi sur le gap financier malgré l’opposition du Hezbollah et des Forces libanaises

Le Premier ministre libanais Nawaf Salam s'exprimant lors d'une conférence de presse après une réunion du Conseil des ministres à Beyrouth, le 26 décembre 2025. (AFP)
Le Premier ministre libanais Nawaf Salam s'exprimant lors d'une conférence de presse après une réunion du Conseil des ministres à Beyrouth, le 26 décembre 2025. (AFP)
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  • Le texte vise à trancher le sort de milliards de dollars de dépôts bloqués et devenus inaccessibles pour les citoyens libanais depuis l’effondrement financier du pays

BEYROUTH : Le Conseil des ministres libanais a approuvé vendredi un projet de loi controversé visant à encadrer la relance financière et à restituer les dépôts bancaires gelés aux citoyens. Cette décision est perçue comme une étape clé dans les réformes économiques longtemps retardées et exigées par le Fonds monétaire international (FMI).

Le texte a été adopté par 13 voix pour et neuf contre, à l’issue de discussions marathon autour du projet de loi dit du « gap financier » ou de récupération des dépôts, bloqué depuis des années après l’éclatement de la crise bancaire en 2019. Les ministres de la Culture et des Affaires étrangères étaient absents de la séance.

La législation vise à déterminer le sort de milliards de dollars de dépôts devenus inaccessibles pour les Libanais durant l’effondrement financier du pays.

Le projet a été rejeté par trois ministres des Forces libanaises, trois ministres du Hezbollah et du mouvement Amal, ainsi que par la ministre de la Jeunesse et des Sports, Nora Bayrakdarian, le ministre des Télécommunications, Charles Al-Hajj, et le ministre de la Justice, Adel Nassar.

Le ministre des Finances, Yassin Jaber, a rompu avec ses alliés du Hezbollah et d’Amal en votant en faveur du texte. Il a justifié sa position par « l’intérêt financier suprême du Liban et ses engagements envers le FMI et la communauté internationale ».

Le projet de loi a suscité une vive colère parmi les déposants, qui rejettent toute tentative de leur faire porter la responsabilité de l’effondrement financier. Il a également provoqué de fortes critiques de l’Association des banques et de plusieurs blocs parlementaires, alimentant les craintes d’une bataille politique intense au Parlement, à l’approche des élections prévues dans six mois.

Le Premier ministre Nawaf Salam a confirmé que le Conseil des ministres avait approuvé le texte et l’avait transmis au Parlement pour débat et amendements avant son adoption définitive. Cherchant à apaiser les inquiétudes de l’opinion publique, il a souligné que la loi prévoit des audits judiciaires et des mécanismes de reddition des comptes.

« Les déposants dont les comptes sont inférieurs à 100 000 dollars seront intégralement remboursés, avec intérêts et sans aucune décote », a déclaré Salam. « Les grands déposants percevront également leurs premiers 100 000 dollars en totalité, le reste étant converti en obligations négociables garanties par les actifs de la Banque centrale, estimés à environ 50 milliards de dollars. »

Il a ajouté que les détenteurs d’obligations recevront un premier versement de 2 % après l’achèvement de la première tranche de remboursements.

La loi comprend également une clause de responsabilité pénale. « Toute personne ayant transféré illégalement des fonds à l’étranger ou bénéficié de profits injustifiés sera sanctionnée par une amende de 30 % », a indiqué Salam.

Il a insisté sur le fait que les réserves d’or du Liban resteront intactes. « Une disposition claire réaffirme la loi de 1986 interdisant la vente ou la mise en gage de l’or sans l’approbation du Parlement », a-t-il déclaré, balayant les spéculations sur une utilisation de ces réserves pour couvrir les pertes financières.

Reconnaissant que la loi n’est pas parfaite, Salam l’a néanmoins qualifiée de « pas équitable vers la restitution des droits ».

« La crédibilité du secteur bancaire a été gravement entamée. Cette loi vise à la restaurer en valorisant les actifs, en recapitalisant les banques et en mettant fin à la dépendance dangereuse du Liban à l’économie du cash », a-t-il expliqué. « Chaque jour de retard érode davantage les droits des citoyens. »

Si l’Association des banques n’a pas publié de réaction immédiate après le vote, elle avait auparavant affirmé, lors des discussions, que la loi détruirait les dépôts restants. Les représentants du secteur estiment que les banques auraient du mal à réunir plus de 20 milliards de dollars pour financer la première tranche de remboursements, accusant l’État de se dédouaner de ses responsabilités tout en accordant de facto une amnistie à des décennies de mauvaise gestion financière et de corruption.

Le sort du texte repose désormais sur le Parlement, où les rivalités politiques à l’approche des élections de 2025 pourraient compliquer ou retarder son adoption.

Le secteur bancaire libanais est au cœur de l’effondrement économique du pays, avec des contrôles informels des capitaux privant les déposants de leurs économies et une confiance en chute libre dans les institutions de l’État. Les donateurs internationaux, dont le FMI, conditionnent toute aide financière à des réformes profondes du secteur. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com