EastMed, le gazoduc de la Méditerranée orientale n’intéresse plus les États-Unis

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Publié le Lundi 24 janvier 2022

EastMed, le gazoduc de la Méditerranée orientale n’intéresse plus les États-Unis

EastMed, le gazoduc de la Méditerranée orientale n’intéresse plus les États-Unis
  • Trois raisons sont mentionnées dans le document pour justifier le retrait du soutien américain
  • Il est trop tôt pour dire si la note libre marquera le début d’une nouvelle ère pour les relations entre la Turquie et les États-Unis

Il y a deux semaines, le département d’État américain a envoyé un document au département des affaires économiques internationales du ministère grec des Affaires étrangères. Il s’agit du projet de gazoduc de la Méditerranée orientale (EastMed). Les médias grecs ont été alarmés par son contenu.
Le document indique que les États-Unis «restent engagés dans une interconnexion physique de l’énergie EastMed vers l’Europe», mais qu’ils «se concentreront désormais sur les interconnexions électriques qui peuvent soutenir à la fois le gaz et les sources d’énergies renouvelables».
Trois raisons sont mentionnées dans le document pour justifier le retrait du soutien américain: la nécessité de se tourner vers des technologies énergétiques propres, la viabilité financière douteuse du projet et la volonté d’éviter les tensions dans la région.
Le document est ce qu’on appelle une «note libre»: il s’agit, dans les relations internationales, d’un document qui ne reflète pas la position finale d’un gouvernement, mais peut être considéré comme base de discussion sans engager aucune des parties. C’est la raison pour laquelle le département d’État américain l’a envoyé au département des affaires économiques du ministère grec des Affaires étrangères, et non à l’ambassade de Grèce à Washington. Cette note libre n’a pas non plus été envoyée aux ambassades d’Israël et de Chypre à Washington, bien que le projet gazier EastMed concerne également ces deux pays.
Cette initiative américaine n’a évidemment pas été accueillie favorablement en Grèce; elle a été dûment critiquée, mais pas aussi sévèrement que l’on aurait pu s’y attendre. Le quotidien Cyprus Mail affirme que les Chypriotes grecs adoptent un raisonnement simpliste pour tout ce qui concerne la Turquie: si une décision ou une politique est bonne pour la Turquie, elle doit être mauvaise pour Chypre. Quant à la position américaine sur le projet EastMed, le journal estime que le changement de politique américain pourrait rendre un grand service à la Grèce et à Chypre en leur permettant d’abandonner un projet non durable.

Le point de vue de Washington, selon lequel le projet EastMed augmente les tensions dans la région, pourrait être de nature à stimuler la Turquie.

Yasar Yakis

On savait depuis le début que ce projet serait coûteux et fastidieux. Concrètement, il pourrait être réalisé, mais à un coût qui est loin d’être viable sur le plan économique. Le transport du gaz EastMed allait coûter au consommateur européen deux fois et demie ou trois fois plus que le gaz russe transporté au moyen de TurkStream.
De l’administration Trump à l’administration Biden, le fait de mettre l’accent sur la nécessité de se tourner vers les technologies énergétiques propres marque un changement. Que l’Union européenne ait pris conscience de l’incompatibilité de l’utilisation sans relâche du gaz naturel avec les objectifs environnementaux à long terme constitue un signe positif; mais le coût du projet a probablement été le facteur déterminant du retrait du soutien.
En Turquie, les médias progouvernementaux ont accueilli la nouvelle avec joie. Le point le plus important pour Ankara est l’allusion aux «tensions dans la région». La Turquie a été exclue du projet EastMed – conséquence de son isolement dans la région – bien qu’elle dispose de la côte la plus longue de la Méditerranée orientale. Le pays n’a pas d’ambassadeur au Caire, à Tel-Aviv, à Damas ni à Chypre. Ses relations avec la Grèce croulent sous le poids des problèmes. À l’évidence, le document américain n’est pas un remède à l’isolement de la Turquie dans la région.
Du côté grec, la note libre a peut-être créé une atmosphère plus favorable au niveau des relations turco-grecques, mais nul ne peut être sûr que la Grèce sera plus disposée à résoudre tous ses problèmes complexes avec la Turquie à l’aide de ce document. Ankara et Athènes ne peuvent utiliser cette nouvelle ambiance que pour régler leurs griefs.
Le point de vue de Washington, selon lequel le projet EastMed augmente les tensions dans la région, pourrait être de nature à stimuler la Turquie. Après plusieurs mois de relations problématiques avec cette dernière, Biden a peut-être fini par conclure que la Turquie est au fond un allié de l’Otan, que ce pays possède la deuxième plus grande armée de cette organisation et qu’il est un acteur régional de taille moyenne. Cela revêt une importance encore plus grande au moment où la tension grandit dans la région de la mer Noire, et plus précisément entre la Russie et l’Ukraine. En cas d’affrontements militaires dans la région, la Turquie pourrait être contrainte à jouer un rôle crucial.
À cet égard, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a fait un premier pas en prenant ses distances avec la Russie. Il a utilisé pour la première fois un langage susceptible d’irriter ce pays en prononçant ces mots: «Voici un exemple de ce que la Russie a fait en Ukraine. Elle a anéanti la Crimée.» (Il a même utilisé une expression turque encore plus péjorative que le verbe «anéantir»). La Russie répondra probablement à cette déclaration en temps voulu.
Pour en revenir à l’initiative américaine, il est trop tôt pour dire si la note libre marquera le début d’une nouvelle ère pour les relations entre la Turquie et les États-Unis.

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP, actuellement au pouvoir.Twitter: @yakis_yasar
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com