Comment la manne gazière pourrait sauver le Liban de la faillite

Le navire de forage Tungsten Explorer au large des côtes de Beyrouth, au Liban. (AP)
Le navire de forage Tungsten Explorer au large des côtes de Beyrouth, au Liban. (AP)
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Publié le Mercredi 14 avril 2021

Comment la manne gazière pourrait sauver le Liban de la faillite

Comment la manne gazière pourrait sauver le Liban de la faillite
  • Le président libanais, Michel Aoun, a fustigé l'élite politique, la Banque centrale et le système bancaire
  • Un audit serait indispensable si l'on veut que le Liban réalise les réformes qui sont indispensables pour qu’il renaisse de ses cendres, tel un phénix

Dans le discours qu’il a tenu la semaine dernière, le président libanais, Michel Aoun, a fustigé l'élite politique, la Banque centrale et le système bancaire, leur attribuant la responsabilité de la faillite du pays. Il a appelé à un audit judiciaire au terme duquel le gouvernement pourrait obtenir des aides financières.

Le président a évoqué les Libanais qui avaient économisé pour leur pension et qui ont vu s'évaporer leurs économies, ceux qui ne parviennent plus à envoyer de l'argent à leurs enfants qui poursuivent leurs études à l'étranger, ceux qui n'ont pas les moyens de payer l'hôpital et, enfin, ceux qui ne peuvent même pas acheter de quoi se nourrir.

Un audit, s'il est mené dans les règles, porterait préjudice au gendre d'Aoun, Gebran Bassil – déjà sanctionné pour corruption par les États-Unis en vertu de la loi Magnitsky –, ainsi qu'à d'autres membres de son parti et à ses alliés. Cette procédure entraînerait la chute de l'élite politique actuelle, y compris celle du clan d'Aoun; mais elle est indispensable si l'on veut que le Liban réalise les réformes qui sont indispensables pour qu’il renaisse de ses cendres, tel un phénix.

Cependant, l'audit ne restituera pas l'argent des citoyens qui ont confié leurs économies aux banques libanaises. Si M. Aoun impute la responsabilité aux banques qui ont enfreint la législation en matière de crédit et de monnaie, c'est le gouvernement corrompu qui a sollicité la Banque centrale afin de financer ses dépenses exorbitantes et exagérées. C'est donc au gouvernement qu'il incombe de restituer l'argent que le peuple a gagné à la sueur de son front – et il convient de le contraindre à le faire.

Voilà donc que les gens échangent désormais leurs dépôts sur le marché noir à un taux de change de 30 cents pour 1 dollar (0,84 euro). Par l'intermédiaire des banques, les déposants sont soumis à une décote forcée, dans la mesure où les établissement financiers leur offrent 3 900 livres libanaises (LBP) pour 1 dollar, alors que le taux de change sur le marché oscille entre 10 000 et 15 000 LBP. Ainsi, assainir le secteur bancaire et restituer les dépôts des gens – au moins le capital initial qu'ils avaient déposé, sans même parler des intérêts accumulés – apparaît désormais indispensable. Cependant, ces dépôts ont été confiés à des banques qui, à leur tour, ont investi dans des bons du Trésor. Les fonds provenant de ces bons ont été remis au gouvernement qui, pour sa part, ne les a pas remboursés à ce jour. Par ailleurs, la restructuration de la dette du Liban est en effet primordiale pour que le pays reconquière la confiance de son peuple, ainsi que celle de la communauté internationale.

Cependant, une opportunité pourrait se présenter si le Liban parvenait à tirer son épingle du jeu au sujet des gisements de gaz en Méditerranée. La première étape pour exploiter ces ressources naturelles passe par la délimitation des frontières maritimes du pays avec Israël, étant entendu qu'aucune société ne sera disposée à investir dans un territoire contesté. Des pourparlers de ce type ont été engagés sous la présidence de Barack Obama, mais ils ont été entravés par le président du Parlement libanais, Nabih Berri, qui cherchait, en agissant ainsi, à conserver un sujet de discorde avec Israël et à envoyer un coup de semonce aux États-Unis. Les choses ont évolué au mois de septembre dernier quand Ali Hassan Khalil, membre du mouvement Amal lui aussi, a été sanctionné par les États-Unis pour corruption et soutien au Hezbollah. Désireux d'échapper aux sanctions coûte que coûte, Berri a autorisé la relance des négociations sur la démarcation des frontières avec Israël.

La restructuration de la dette du Liban est en effet primordiale pour que le pays reconquière la confiance de son peuple ainsi que celle de la communauté internationale.

Dr Dania Koleilat Khatib

Dans ce contexte, les États-Unis sont tenus d’inciter le Liban à parvenir à un accord avec Israël concernant le «point 23» contesté. Tel-Aviv réclame avec insistance un point de démarcation qui a été préalablement fixé et qui absorbe une partie du territoire maritime légitime du Liban. Washington devrait considérer cette zone comme une sorte d'aide additionnelle pour un pays qui a cruellement besoin de se sortir du gouffre. Même si l'extraction du gaz ne se produira pas avant sept ans, le Liban parviendra grâce aux réserves avérées à restructurer ses dettes publiques et à collecter des fonds, ce qui lui permettra ainsi de rembourser aux citoyens l'argent qu'ils ont épargné.

Souvenons-nous du déficit budgétaire important auquel était confronté le Qatar dans les années 1980. Il n'a pu s'affirmer comme un pays riche qu'à la fin des années 1990, époque à laquelle les exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) ont débuté. Les investissements colossaux requis pour mettre en place les installations de production de GNL et les navires de transport excédaient la totalité du produit intérieur brut qatari. Ces investissements n'auraient donc pas vu le jour sans un recours à des instruments de financement sophistiqués. Outre la mobilisation des acheteurs japonais de GNL dans la construction et le financement, le gouvernement qatari a également exploité les recettes des ventes futures via des contrats d'achat à long terme. Il a, par ailleurs, recouru à des instruments de financement dérivés, tels que les options de rachat.

Les contrats à terme, les contrats à livrer ainsi que les options d'achat et de vente constituent des instruments financiers en vertu desquels les parties concluent un contrat d'achat ou de vente de certaines marchandises à un prix donné et à une date déterminée. La solution réside dans le fait de pouvoir estimer clairement le montant des réserves que possède le Liban afin de définir les produits dérivés qu'il sera le plus à même d'utiliser. Cela peut fournir à l'État des fonds immédiats, que ce soit en collectant de l'argent à partir de la vente de la production future de gaz ou en assurant un instrument de dette comme le financement associé au gaz. En outre, la restructuration de la dette serait possible grâce au gaz – c’est-à-dire que le propriétaire d'un bon sera remboursé grâce à l'argent collecté lorsque le gaz sera vendu. Les bons seraient donc assortis d'une garantie, ce qui permettrait au pays de restaurer la confiance qu'il a perdue lorsqu'il n’est pas parvenu à honorer sa dette d'euro-obligations au mois de mars dernier.

Un regain de confiance vis-à-vis du système favoriserait les investissements et contribuerait à injecter des liquidités dans le pays. Une telle solution est nettement plus avantageuse que de vendre et de privatiser tous les biens de l'État. En effet, cette dernière option priverait le pays aussi bien de ses revenus que de son rôle dans la prestation de services et plongerait la classe moyenne dans une situation bien plus précaire. De surcroît, s'ils sont vendus au rabais, les actifs et les établissements publics paralysés par la corruption ne procureront pas au Liban un rendement suffisant.

Le gaz peut certes épargner au Liban la faillite et contribuer à rétablir la confiance dans l'État et le secteur bancaire. Mais cela suppose des réformes à part entière, des reformes que l'élite politique en place est incapable de mener.

 

Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Farès pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com