Israël et l’Iran entrent dans une phase de «déni plausible» dans leur guerre clandestine

Drapeau iranien devant un lance-missiles (fournie)
Drapeau iranien devant un lance-missiles (fournie)
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Publié le Dimanche 20 mars 2022

Israël et l’Iran entrent dans une phase de «déni plausible» dans leur guerre clandestine

Israël et l’Iran entrent dans une phase de «déni plausible» dans leur guerre clandestine
  • Mettre fin au programme nucléaire iranien est loin d’être une priorité absolue uniquement en Israël : c’est un objectif qui fait l’unanimité dans toute la région et ailleurs
  • Qu’un nouvel accord avec Téhéran soit conclu ou non, l’inimitié entre Israël et l’Iran demeurera l’une des principales caractéristiques de la région

Tous les regards sont naturellement tournés vers l’Ukraine en ce moment. Cependant, le conflit entre Israël et l’Iran prend une ampleur de plus en plus importante.

Une attaque au missile, menée par les membres du Corps des gardiens de la révolution islamique d’Iran contre ce qu’ils prétendent être un «centre stratégique» israélien dans la ville kurde d’Erbil, la semaine dernière, en témoigne et pourrait avoir des conséquences désastreuses.

En réalité, il ne s’agit pas tant de l’attaque elle-même que du fait que l’Iran en ait très publiquement revendiqué la responsabilité. Cela pourrait signifier un changement d’avis chez certains décideurs iraniens qui sont désormais prêts à affronter directement Israël. Ainsi, ils ne se limiteront pas à des actes de violence qu’ils pourraient démentir en n’impliquant pas Téhéran.

Au lendemain de l’opération iranienne à Erbil, la chaîne d’information libanaise Al-Mayadeen, affiliée au Hezbollah soutenu par l’Iran, a annoncé que les tirs de missiles n’étaient pas en lien avec le meurtre présumé par Israël de deux membres du Corps des gardiens de la révolution islamique en Syrie quelques jours auparavant. Cette attaque aurait plutôt été menée par l’Iran en représailles à une prétendue attaque de drones israéliens en février, causant des dommages importants à la flotte de drones iraniens près de Kermanchah à l’ouest de l’Iran.

Selon certaines informations, des centaines de drones auraient été détruits lors de cette attaque. Cela a probablement nui autant à la fierté iranienne qu’à sa capacité militaire, renforçant son sentiment d’insécurité et de vulnérabilité après les assassinats très médiatisés des meilleurs scientifiques nucléaires du pays, les attaques aériennes israéliennes continues en Syrie, les cyberattaques incessantes et le vol par Israël des archives nucléaires iraniennes.

Jusqu’à présent, dans la confrontation entre les deux pays, il y a eu une séparation assez nette entre la querelle diplomatique très publique abondante en insultes virulentes et le préjudice réel où les actions demeurent dans le champ du déni plausible, à quelques exceptions près.

Cependant, en attaquant ce qu’il prétend être un quartier général de la sécurité et des renseignements israéliens au Kurdistan irakien, et en revendiquant immédiatement la responsabilité de l’attaque, l’Iran déroge à la convention. Cela pourrait signaler que les futures hostilités deviendront plus fréquentes et s’accompagneront de déclarations triomphalistes, ce qui conduirait à une nouvelle escalade.

Il existe un réel danger que les opérations militaires soient influencées, non seulement par des préoccupations sécuritaires qui ne sont pas exemptes, elles-mêmes, d’erreurs de calcul mais, pire, qu’elles soient dépassées par d’autres considérations de politique intérieure et une guerre de propagande enlisée dans une espèce de fierté blessée.

Les événements à Erbil ajoutent une couche supplémentaire à la guerre entre ces deux principaux antagonistes dont les intérêts sont conflictuels dans toute la région et au-delà. Mettre fin au programme nucléaire iranien est loin d’être une priorité absolue uniquement en Israël; c’est un objectif qui fait l’unanimité dans toute la région et ailleurs. Les pays s’accordent pour dire que le développement des capacités militaires nucléaires du régime belligérant actuel de Téhéran pourrait renforcer ses politiques destabilisatrices dans la région.

«Dans la bataille globale d’Israël contre l’Iran, le Kurdistan est un allié inestimable, tant sur le plan géographique que politique.»- Yossi Mekelberg

Au cours des dernières semaines, nous faisons face à la dure réalité des effets d’un régime – la Russie – qui fait complètement fi des normes de comportement internationalement établies, y compris les lois de la guerre et le droit international humanitaire, en utilisant des armes classiques pour envahir un autre pays. Le régime en question menace en même temps de recourir à son arsenal nucléaire pour dissuader toute intervention en faveur du pays dont il a violé la souveraineté par des actes d’une extrême brutalité, y compris le meurtre impitoyable de civils.

Qui peut garantir qu’un Iran nucléarisé ne suivra pas le même scénario? Ce qui est principalement une arme de dissuasion ou de dernier recours s’est avéré être un catalyseur d’atrocités à grande échelle au moyen d’armes classiques. Par conséquent, les efforts pour empêcher l’Iran d’acquérir de telles capacités sont très justifiés.

La présence d’Israël dans le Kurdistan irakien autonome fait partie de sa stratégie globale pour contenir l’Iran. Selon divers rapports, les relations entre ces deux entités politiques ne sont pas nouvelles et, à l’ère post-Saddam Hussein, les liens politiques, militaires et économiques solides se sont renforcés.

Israël aurait été activement impliqué dans la collecte de renseignements peu après la guerre de 2003, tout en assurant la formation des forces kurdes et en soutenant la demande d’indépendance irako-kurde. Il s’agit d’un mélange de coopération stratégique commune et de véritables sentiments partagés par deux nations qui ont lutté pendant longtemps pour parvenir à l’autodétermination, en plus de grandes affinités entre deux petites minorités.

L’année dernière, une conférence s’est tenue à Erbil en présence de plus de 300 Irakiens et d’un certain nombre d’Israéliens. Elle a exigé la normalisation des relations entre Bagdad et Israël. Dans la bataille globale d’Israël contre l’Iran, le Kurdistan est un allié inestimable, tant sur le plan géographique que politique.

Ce qui devrait inquiéter Israël et ses alliés du Conseil de coopération du Golfe, c’est l’utilisation croissante de drones par l’Iran – principale motivation du raid du mois dernier sur Kermanchah –. Dans la plupart des cas, l’Iran préfère recourir à des mandataires pour mener ses attaques, comme ce fut le cas avec les installations pétrolières de Saudi Aramco et les drones fournis aux Houthis au Yémen et aux milices chiites en Irak et en Syrie.

Une hypothèse est que le développement des capacités de l’Iran en matière de drones sert à compenser son infériorité aérienne dans sa confrontation avec Israël, comme on l’a vu pendant des années en Syrie, où l’armée de l’air israélienne attaque presque librement des cibles de l’Iran et du Hezbollah.

Cette période marque l’une des phases les plus volatiles des relations déjà fragiles entre Israël et l’Iran, au moment où les négociations à Vienne sur la relance de l’accord nucléaire de 2015 avec Téhéran en sont à un stade critique. En effet, les pourparlers se sont compliqués en raison des sanctions économiques imposées à la Russie.

Qu’un nouvel accord avec Téhéran soit conclu ou non, l’inimitié entre Israël et l’Iran demeurera l’une des principales caractéristiques de la région. Israël est catégorique quant à la détermination de l’Iran à développer une capacité militaire nucléaire, indépendamment de l’accord.

De plus, la présence de l’Iran en Syrie, et par l’intermédiaire de mandataires au Liban, ainsi que son soutien au Hamas à Gaza, signifient que la guerre des drones, les cyberattaques et autres opérations clandestines en cours se poursuivront, voire s’intensifieront, comme le montrent les incidents de Kermanchah et d’Erbil.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com