ANKARA : Selon le journal pro-gouvernemental Hurriyet, le gouvernement turc réfléchit aux possibilités d'établir des voies de dialogue avec le gouvernement syrien.
S’appuyant sur des sources anonymes, le quotidien turc a révélé: «La politique équilibrée récemment suivie par la Turquie et le rôle qu'Ankara a joué ces derniers mois, notamment dans la résolution de la guerre en Ukraine, ont rendu la période actuelle propice à la résolution de la crise syrienne.»
Selon l'article, les discussions bilatérales porteront sur trois questions principales: la protection de la structure unitaire de l'État syrien contre les activités du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), la sauvegarde de l'intégrité territoriale de la Syrie et la possibilité du retour en toute sécurité d'environ la moitié des réfugiés syriens vivant actuellement en Turquie.
Toutefois, Damas et Ankara n’ont pas encore émis de commentaires au sujet de l'article de Hurriyet.
Francesco Siccardi, responsable principal de programme à Carnegie Europe, a déclaré à Arab News que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, saisit une opportunité politique avec une action potentielle de rapprochement avec le président syrien, Bachar al-Assad.
«Après s'être présenté comme le médiateur entre la Russie et l'Ukraine, il pourrait se dépeindre aussi comme un dirigeant bienveillant dans le scénario syrien. Le fait que ces deux initiatives n'aient pas pu porter leurs fruits est secondaire par rapport à la perception de ces postures qui l'aideront à redorer son image tant à l’intérieur du pays qu'à l'extérieur», a-t-il déclaré.
L'amélioration des relations diplomatiques avec Damas pourrait également aider Ankara à réduire le fardeau politique et économique que représente l'accueil de 3,7 millions de réfugiés en Turquie dans un contexte d'inflation qui ne cessent d'augmenter et de pouvoir d'achat en baisse. Les problèmes économiques qui paralysent le pays sont souvent imputés à la présence d'un nombre incontrôlé de réfugiés.
Selon Siccardi, cette initiative pourrait produire d'excellents gains pour Erdogan si une partie des réfugiés syriens, à présent en Turquie, est autorisée à retourner en Syrie.
Hurriyet a de plus affirmé que la visite d'Al-Assad aux Émirats arabes unis le mois dernier a été perçue à Ankara comme une preuve de sa volonté de prendre de nouvelles initiatives et de rallier de nouveaux soutiens dans l’espoir de stabiliser le pays.
En attendant, la normalisation des relations entre la Turquie et l'Égypte se profile également à l'horizon, avec des rapports non confirmés faisant état de la nomination éventuelle d'un ambassadeur turc au Caire après près de neuf ans de rupture des relations diplomatiques.
Les experts constatent que les efforts de normalisation en cours de la Turquie avec les pays du Moyen-Orient et du Golfe passeront inévitablement par la reprise des relations avec la Syrie.
D’après Samuel Ramani, chercheur associé au Royal United Services Institute de Londres, Ankara se considère comme un acteur de plus en plus important dans le domaine de la diplomatie de crise.
«La Turquie a joué le rôle de facilitateur de dialogue et de médiateur entre la Russie et l'Ukraine, et elle essaie maintenant de transmettre cette expérience à la Syrie. La récente visite d'Al-Assad aux Émirats arabes unis souligne sa normalisation croissante avec les pays arabes, et malgré l'antipathie de la Turquie à son égard, Ankara se rend compte qu'Al-Assad est la seule option de leadership en Syrie», a-t-il déclaré à Arab News.
Selon Ramani, étant donné que la Turquie tente d'apaiser les tensions avec les puissances régionales, telles que les Émirats arabes unis et l'Égypte, éliminer la Syrie comme source de tension sert certainement cet agenda.
Depuis le début de la guerre civile en Syrie, la Turquie a mené de nombreuses opérations militaires dans le nord de la Syrie en vue de lutter contre les militants kurdes syriens qu'elle associe au PKK.
Selon l’accord d'Adana de 1998 entre la Syrie et la Turquie, les deux parties sont tenues de prendre les mesures nécessaires afin d’éloigner les combattants du PKK de la frontière syrienne.
Ankara a déployé des milliers de soldats en Syrie et y a installé des dizaines d'avant-postes et de bases militaires, ce que Damas considère comme une violation de sa souveraineté.
La dernière rencontre entre la Turquie, la Russie et l'Iran dans le cadre du processus d'Astana s'est tenue en décembre. Il reste à voir comment les désaccords potentiels d’Ankara avec Moscou sur sa politique de neutralité pro-ukrainienne affecteront la dynamique en Syrie.
Selon Ramani, la Turquie a tenté de cloisonner ses désaccords avec la Russie sur l'Ukraine dans son engagement avec Moscou en Syrie.
«Les patrouilles entre la Russie et la Turquie se sont poursuivies dans le nord de la Syrie, alors même que les chars russes brandissent le symbole Z de soutien à la guerre à laquelle la Turquie s'oppose. Le porte-parole de la présidence turque, Ibrahim Kalin, a mentionné la capacité de la Turquie à s'engager avec la Russie sur des théâtres, comme la Syrie, tout en désapprouvant sa conduite en Ukraine, comme un modèle à suivre pour les pays occidentaux», a-t-il expliqué.
Comme la Turquie n'a pas adhéré aux sanctions occidentales contre la Russie, Ramani ne s'attend pas à ce que Moscou ait des objections au dialogue avec Ankara en Syrie.
«La Russie accueillera favorablement les pourparlers entre la Turquie et Al-Assad», a-t-il déclaré.
Pour Siccardi, la Turquie a beaucoup à perdre en Syrie et un changement du statu quo à Idlib pourrait entraîner des conséquences catastrophiques pour Ankara.
«Plus de 3 millions de civils s'y sont réfugiés. Une offensive du régime d'Al-Assad, soutenu par Moscou, pourrait pousser beaucoup de personnes à passer en Turquie, où près de 4 millions de Syriens ont déjà trouvé refuge. Cela serait extrêmement préjudiciable pour Erdogan, qui œuvre pour le retour en toute sécurité de la majeure partie des Syriens vivant actuellement en Turquie. Pour éviter cette conséquence, Ankara continuera à être très prudente et à protéger ses relations avec Moscou.»
L'année dernière, Erdogan a évoqué le spectre d'une nouvelle campagne militaire turque contre les forces kurdes dans le nord de la Syrie. Pour l’instant, une telle offensive n'est pas à l'ordre du jour au niveau national.
Aydin Sezer, un expert des relations Turquie-Russie, a déclaré à Arab News: «Mais, dans l'espoir de remporter les élections législatives et présidentielles du pays en 2023, tout nouveau plan d'opération militaire en Syrie aidera Erdogan à se rapprocher de ses circonscriptions nationalistes afin d’obtenir un soutien inestimable.»
«L'année dernière, la Russie n'a donné à la Syrie le feu vert à aucun plan d'offensive militaire. Mais, compte tenu des équilibres actuels entre la Russie et les États-Unis sur le conflit ukrainien, Moscou pourrait faire pression en faveur d’une offensive militaire en Syrie contre les combattants kurdes, juste pour entraîner les forces américaines dans une nouvelle tourmente», a-t-il ajouté.
Toujours Selon Sezer, si le rapprochement entre Ankara et Damas porte ses fruits avant les élections, le rapatriement des réfugiés peut avoir lieu avec quelques gains politiques.
Il a expliqué que «Damas peut demander à Ankara de reprendre les combattants de l'Armée nationale syrienne, qui ont pour la plupart la nationalité turque, et offrir son aide pour le rapatriement des réfugiés syriens», ajoutant: «Si la Turquie prend des mesures coordonnées avec les Émirats arabes unis en Syrie, elle devrait ainsi aligner ses stratégies avec la Russie.»
Ankara a, au cours des quatre dernières années, maintenu un contact de faible niveau avec Damas par le biais de leurs services de renseignement.
Mais en 2019, Erdogan a assuré qu'il ne parlerait jamais à Al-Assad, «qui est responsable de la mort de plus d'un million de Syriens».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com