La guerre en Ukraine remodèle l’Europe, au bout de cent jours de conflit

Après cent jours de combats, le dénouement du conflit ukrainien reste très incertain (Photo, AFP).
Après cent jours de combats, le dénouement du conflit ukrainien reste très incertain (Photo, AFP).
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Publié le Dimanche 05 juin 2022

La guerre en Ukraine remodèle l’Europe, au bout de cent jours de conflit

La guerre en Ukraine remodèle l’Europe, au bout de cent jours de conflit
  • Mercredi dernier, le Danemark a massivement voté en faveur de son intégration à la politique de défense commune de l’UE, lors d’un référendum historique pour supprimer une clause de non-participation vieille de trois décennies
  • Politiquement aussi, l’importance stratégique des principaux États d’Europe de l’Est et centrale s’accroît, notamment à travers des blocs comme le groupe des neuf de Bucarest

Après cent jours de combats, le dénouement du conflit ukrainien reste très incertain mais, ce qui se précise, c’est la façon dont il remodèle de manière significative l’Europe, du Nord au Sud et d’Est en Ouest.

Au moment où les répercussions de la guerre se ressentent sur tous les pays du continent, on relève quelques tendances sous-régionales clés. Prenons l’Europe du Nord, par exemple, où l’incidence sur la défense et la sécurité se fait particulièrement ressentir.

La semaine prochaine, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, s’entretiendra avec les dirigeants de la Suède et de la Finlande, qui ont toutes deux demandé à adhérer à l’alliance militaire. Il rencontrera également les dirigeants de la Turquie qui s’est opposée à leur adhésion. Son objectif est que les deux nations puissent rejoindre le club le plus tôt possible.

Mercredi dernier, le Danemark a massivement voté en faveur de son intégration à la politique de défense commune de l’UE, lors d’un référendum historique pour supprimer une clause de non-participation vieille de trois décennies, malgré son appartenance à l’Otan.

Aussi importante que soit cette dynamique de défense en Europe du Nord, l’évolution la plus importante pourrait être à l’Est, où l'importance de cette sous-région au niveau du continent a pris une grande ampleur.

Ce n’est pas seulement parce que les nations là-bas ont été les plus durement touchées par les effets de l’invasion russe de plusieurs manières, y compris la vague de réfugiés fuyant l’Ukraine. À plus grande échelle, le conflit a accentué un processus qui était déjà en cours et dans lequel l’influence politique en Europe dévie vers l’Est.

Certes, la France et l’Allemagne demeurent les pays les plus influents de l’UE dans l’Ouest toujours prépondérant du continent. Cependant, la situation change pour un certain nombre de raisons, dont le poids économique croissant de l’Europe centrale et orientale. Deux décennies après l’adhésion des huit premières nations centrales et orientales à l’UE, on assiste à une convergence économique croissante avec l'Europe occidentale.

Politiquement aussi, l’importance stratégique des principaux États d’Europe de l’Est et centrale s’accroît, notamment à travers des blocs comme le groupe des neuf de Bucarest (Bulgarie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie et Slovaquie), qui devrait se réunir dans la semaine à venir.

Certains des dirigeants de ces nations, dont le Premier ministre hongrois Viktor Orban, ont suscité beaucoup de controverse en raison de leurs positions populistes. D’autres, cependant, comme le Premier ministre estonien Kaja Kallas, établissent un programme plus constructif lors des sommets européens. Pendant ce temps, des personnes-clés nommées à Bruxelles s’imposent, dont Valdis Dombrovskis de Lettonie, le vice-président exécutif de la Commission européenne en charge du commerce.

L’influence croissante des États d’Europe de l’Est et centrale n’a pas uniquement été remarquée en Europe. Plusieurs puissances étrangères, dont les États-Unis et la Chine, manifestent un intérêt accru pour la région. Prenons l’exemple de la Chine, qui renforce son initiative «la ceinture et la route» dans la région. De nombreux États d’Europe de l’Est et centrale, dont la Croatie, la République tchèque et la Hongrie, ont déjà signé des accords en lien avec cette initiative.

Ce n’est en aucun cas le seul événement qui met l’accent sur la diplomatie croissante de Pékin dans la région. Un autre exemple est le groupement 16 + 1 qui vise à renforcer la coopération entre la Chine, onze États membres de l’UE et cinq pays des Balkans (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, République tchèque, Estonie, Grèce, Hongrie, Lettonie, Monténégro, Macédoine du Nord, Pologne, Roumanie, Serbie, Slovaquie et Slovénie) dans les domaines de l’investissement, du transport, de la finance, de la science, de l’éducation et de la culture.

Bruxelles a conscience de ces développements et s’inquiète de la possibilité que des parties extérieures «divisent pour mieux régner» dans le but de saper les intérêts collectifs du continent. C’est pour cette raison que la Commission européenne consolide son propre programme d’intégration ambitieux après l’Ukraine, saisissant cette chance historique pour faire évoluer le projet «d’une union toujours plus étroite».

Dans le domaine de la défense, par exemple, la mise en œuvre d’un programme pan-européen plus fort prend de plus en plus d’ampleur. Cet objectif n’a pas seulement été renforcé par les récentes décisions de la Suède, de la Finlande et du Danemark sur le front de la sécurité. Ce programme militaire est également fortement promu par des dirigeants nationaux et régionaux-clés comme le président français Emmanuel Macron et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Cette dernière a soutenu le projet d’une armée européenne afin que le continent puisse réagir de manière plus crédible aux menaces contre la paix, lorsqu’elle a occupé le poste de ministre allemande de la Défense. De son côté, M. Macron est favorable à une plus grande autonomie stratégique de l’UE en matière de défense, et pas seulement en raison de la situation en Ukraine. En outre, il affirme que le récent pacte de sécurité Aukus conclu entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, qui constitue une offense diplomatique pour la France après l’annulation d’un accord de défense qu’elle avait conclu avec l’Australie, souligne pourquoi les pays de l’Europe devraient travailler davantage ensemble dans ce domaine.

Ainsi, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a considérablement modifié le paysage à travers le continent. En employant différentes dynamiques dans diverses sous-régions, Bruxelles intensifie maintenant son plan pour s’assurer de son aptitude à offrir une vision audacieuse à l’échelle du bloc qui puisse répondre aux défis et possibilités, tant nationaux qu’étrangers, qui se profilent à l’horizon à l’échelle du continent.

 

Andrew Hammond est un associé à la London School of Economics.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com