Les Palestiniens d'Israël peuvent changer la donne en participant aux élections

Des Palestiniens manifestent au cimetière de Fallouja, à Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, le 16 août 2022 (Photo, AFP).
Des Palestiniens manifestent au cimetière de Fallouja, à Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, le 16 août 2022 (Photo, AFP).
Short Url
Publié le Jeudi 18 août 2022

Les Palestiniens d'Israël peuvent changer la donne en participant aux élections

Les Palestiniens d'Israël peuvent changer la donne en participant aux élections
  • Un dilemme surgit à l’approche de chaque élection des membres de la Knesset: voter ou s'abstenir?
  • Si l'on se réfère aux données historiques, on constate que les citoyens palestiniens d'Israël participent beaucoup moins aux élections que la population juive

Un dilemme surgit à l’approche de chaque élection des membres de la Knesset: voter ou s'abstenir? Parmi les différents segments de la société israélienne, les Palestiniens sont les plus concernés par cette problématique.

D’une part, le fait de se rendre aux urnes en grand nombre leur permet d'exercer le droit fondamental de tout citoyen: changer le résultat des élections et élire ses représentants. D'autre part, après avoir participé à vingt-quatre élections générales pendant près de soixante-quinze ans, ils ne sont guère parvenus à améliorer leur statut ou à promouvoir leur développement social et économique.

Curieusement, on prévoit une faible participation aux élections générales de novembre prochain parmi les électeurs palestiniens (à peine 40%). L'un des partis qui les représentent faisait pourtant partie de la coalition gouvernementale sortante pour la première fois dans l'histoire du pays. À moins que cela n'explique justement cette réticence à voter.

La journaliste israélienne Hanin Majadli l'a bien dit: les élections prévues en novembre prochain ne présentent aucun intérêt pour les électeurs palestiniens, car ces derniers estiment que les partis arabes n'ont rien à leur offrir et parce qu’ils ne croient plus qu'une représentation plus importante à la Knesset améliorerait leur statut ou leur qualité de vie. Cette affirmation est sans doute en grande partie vraie. Toutefois, la solution ne consiste pas à renoncer complètement au processus démocratique, mais à s'y engager avec le sens du devoir et le désir de renforcer la représentation à la Knesset.

Si l'on se réfère aux données historiques, on constate que les citoyens palestiniens d'Israël participent beaucoup moins aux élections que la population juive. Ainsi, le taux de participation aux dernières élections générales était de 67,4% pour l'ensemble de la population. Seule une proportion de 44,6% de Palestiniens y a participé. Cela témoigne d'une méfiance à la fois légitime et inquiétante à l'égard de l'ensemble du processus démocratique du pays.

Les élections de 2020 ont dérogé à cette règle. Cette année-là, tous les partis palestiniens se sont présentés sur une seule liste et ils ont décroché quinze sièges, un record. En dépit de son attractivité évidente pour les électeurs, cette alliance s'est effondrée en raison de divergences idéologiques et personnelles. Lors des élections suivantes, l'année dernière, ces partis se sont présentés séparément. Le taux de participation a chuté et ils n'ont remporté que dix sièges.

On ne peut reprocher aux citoyens palestiniens d'Israël leur réticence, voire leur apathie, à l'égard de leur droit d'élire leurs représentants. En effet, ils ont été marginalisés de la vie sociale et politique depuis la création du pays en tant qu'État essentiellement sioniste et juif; au fil du temps, la droite et l'extrême droite ont fini par dominer cet État. Mais, pour cette raison précise, les Palestiniens d'Israël ne doivent pas laisser le terrain libre à ceux qui souhaitent les exclure complètement du paysage national. Une importante participation – qui sera sans doute la plus élevée jamais observée auprès des électeurs palestiniens – est indispensable pour contrer la formation d'un gouvernement dirigé par Benjamin Netanyahou et l'extrême droite.

Les Palestiniens d'Israël ne doivent pas laisser le terrain libre à ceux qui souhaitent les exclure complètement du paysage national.

Yossi Mekelberg

Soutenir en masse les partis arabes ou les groupes sionistes plus progressistes n'apportera pas l'effet désiré dans l'immédiat: les citoyens palestiniens ne jouiront pas du jour au lendemain d'une égalité absolue à tous les niveaux. Cette démarche leur permettrait néanmoins de faire un pas important vers cet objectif tout en évitant l'alternative, bien plus terrible, que constitue un gouvernement formé de racistes éhontés. Dire que la politique est l'art du possible peut sembler un cliché usé, mais il reste tout à fait approprié dans le contexte que nous évoquons.

Si les Palestiniens décident de participer aux élections avec la même assiduité que les Juifs, la représentation de la communauté palestinienne à la prochaine Knesset pourra passer de dix à seize sièges. Cela suffirait à empêcher le pays de tomber aux mains d'un gouvernement hostile à la coexistence judéo-arabe. Plus important encore, les représentants palestiniens joueront dans ce cas un rôle déterminant dans la formation du prochain gouvernement.

Les détracteurs du gouvernement sortant déplorent à juste titre le fait que le statut de la minorité palestinienne d'Israël n'ait pas beaucoup progressé au cours du court mandat de ce gouvernement. Par ailleurs, le rêve tant attendu d'une société fondée sur le respect mutuel, la dignité et les droits humains et politiques universels pour tous les citoyens apparaît aujourd'hui comme une véritable utopie.

Les villes palestiniennes attendent toujours les budgets qui leur sont destinés et ne parviennent pas à résoudre les crises aiguës du logement, de la planification et de la construction ni à réduire la criminalité dans leurs communautés. Néanmoins, le gouvernement actuel a supprimé l'un des obstacles psychologiques et concrets les plus importants qui entravent la construction d'une société meilleure et plus égalitaire. Il y est parvenu en intégrant un parti arabo-palestinien et un parti islamiste.

Le chemin à parcourir reste long. Mais, vu l'état déplorable de la société israélienne, un pas important a été franchi, qui marque l'une des réalisations les plus significatives de la coalition sortante, dirigée par Naftali Bennett et Yaïr Lapid. Cette percée est largement imputable à l'approche constructive et responsable adoptée par le parti Ra'am (Liste arabe unie, NDLR) et par son leader, Mansour Abbas, qui ont éclipsé à de nombreuses reprises les petites chamailleries des autres partenaires de la coalition. Mais il convient de rappeler que ce gouvernement regroupe une majorité insignifiante, des forces d'opposition réfractaires et le groupe d'opposition le plus médiocre, le plus toxique et le plus partial de l'histoire du pays.

Les partis palestiniens ainsi que les partis sionistes et juifs israéliens marqués par la polarisation, la fragmentation et l'instabilité ne sont pas nécessairement les facteurs qui empêchent les citoyens palestiniens d'Israël de jouer le rôle qu'ils devraient et pourraient jouer. C'est plutôt cette conviction qu'ont les Palestiniens vis-à-vis d'élections qui, selon eux, ne leur offriront aucun changement positif. Pour réaliser leur potentiel électoral, les partis palestiniens ne doivent pas nécessairement se présenter sous une même bannière; un certain nombre de partis distincts peuvent représenter la diversité de leur communauté. Mais, pour que tous ces partis rencontrent le succès lors des élections, ils doivent convaincre leurs partisans que si ces derniers leur accordent leur voix et leur confient le pouvoir politique, ils pourront influencer la politique israélienne et devenir des partenaires égaux au sein du gouvernement et de la société.

Dans le monde idéal auquel aspirent certains d'entre nous, les partis juifs et palestiniens se côtoieront. Les deux communautés trouveront une place dans la vie politique et serviront les intérêts de tout le monde. Il convient de bâtir une identité israélienne dans laquelle l’importante minorité palestinienne, qui représente un cinquième de la population, fera partie intégrante du pays et jouira des mêmes droits et avantages que la population juive. Si la minorité palestinienne vote en grand nombre lors des prochaines élections, un pas important vers la réalisation de cette aspiration sera franchi.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA de Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale.

Twitter: @YMekelberg

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com