Une aide au compte-gouttes n’est pas la bonne réponse aux malheurs de la Tunisie

La centralisation progressive du pouvoir par M. Saïed va à l'encontre de la politique d'inclusion sociale et politique qu'exige le FMI (Photo, AFP).
La centralisation progressive du pouvoir par M. Saïed va à l'encontre de la politique d'inclusion sociale et politique qu'exige le FMI (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 07 septembre 2022

Une aide au compte-gouttes n’est pas la bonne réponse aux malheurs de la Tunisie

Une aide au compte-gouttes n’est pas la bonne réponse aux malheurs de la Tunisie
  • Ce qui se passe en Ukraine compromet pour la Tunisie la possibilité de payer ses importations
  • Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 ne sont pas parvenus à instaurer le développement nécessaire à l'État tunisien

Il y a un an, les Tunisiens se sont rassemblés devant le Parlement pour protester contre le parti Ennahdha et le Premier ministre, Hichem Mechichi. Ils ont soutenu leur président, Kaïs Saïed, lorsqu'il a invoqué l'article d'urgence de la Constitution tunisienne et démis le Parlement ainsi que plusieurs ministres influents. M. Saïed a déployé l'armée dans les rues pour la première fois depuis la révolution. Son approche tranchante lui a valu son surnom: «Robocop». C’est ainsi que les Tunisiens l’appellent. Ces derniers espéraient en effet qu'il sortirait le pays de l'impasse politique dans laquelle il se trouvait.

Un an s'est écoulé depuis. Le pouvoir de M. Saïed s'est affermi. Le mois dernier, il a introduit une nouvelle Constitution. Le taux de chômage dans le pays avoisine les 40%. L'apathie, elle, est tout aussi élevée à mesure que le pays se précipite vers une catastrophe économique.

La crise des céréales constitue la plus pressante parmi celles auxquelles se trouve confrontée la Tunisie. Deux tiers de son approvisionnement est importé. La guerre en Ukraine a lourdement pesé sur l'importation de céréales; l'offre mondiale a été perturbée et les prix des produits de base ont augmenté. Cela a exacerbé la situation de ce pays qui passe pour être le deuxième plus grand consommateur de pâtes au monde. 

Ce qui se passe en Ukraine compromet pour la Tunisie la possibilité de payer ses importations. Si ses habitants font la queue pour se procurer des céréales à un prix élevé, elle ne peut pas se permettre de payer la cargaison. Le secrétaire général de l'Office tunisien des céréales (une société chargée de stocker les céréales pour le compte du gouvernement) a révélé au début de l'année que des milliers de tonnes de blé étaient bloquées en mer parce que la Tunisie n'était pas en mesure de payer la cargaison.

La semaine dernière, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement a approuvé un prêt souverain de 150,5 millions d'euros (soit 151 millions de dollars; 1 dollar = 1 euro) accordé à la Tunisie pour couvrir les frais d'importation de blé tendre, de blé dur et d'orge. En effet, le pain, la semoule, les pâtes et le couscous ont toujours été subventionnés par le gouvernement tunisien afin d’assurer la stabilité des prix. Ce prêt couvre 15% des consommations annuelles du pays. Il s'inscrit dans le cadre d'une feuille de route établie par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, l'Office tunisien des céréales et les autorités tunisiennes. L'objectif est «d'améliorer l'efficacité du secteur des céréales et de combler certaines lacunes structurelles», selon le communiqué officiel. Mais, en réalité, ce prêt ne permettra même pas de couvrir les défis considérables que la Tunisie doit relever.

Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 ne sont pas parvenus à instaurer le développement nécessaire à l'État tunisien. Aujourd'hui, la Tunisie apparaît comme un État que l'expérience démocratique mitigée a fait glisser vers le régime de l'homme fort. Ce pays a besoin d'une réforme rapide du secteur public et que soient résolues la crise de l'emploi et celle de la marginalisation géographique. La croissance timide (1,8%) que le pays a connue après la révolution s'est résorbée de près de 10% dans le sillage de la pandémie, qui a fait chuter le dinar tunisien de 50% ou presque.

 

Le prêt de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement ne permettra même pas de couvrir les défis considérables que la Tunisie doit relever.

Zaid M. Belbagi

 

Le gouvernement a élaboré son budget en se basant sur un cours moyen du pétrole de 75 dollars le baril. Néanmoins, il peine aujourd'hui à payer ses factures et se trouve contraint d'emprunter 7 milliards de dollars supplémentaires auprès de bailleurs de fonds étrangers et nationaux afin de relancer son économie. Jamais en vingt ans l'inflation n'a été aussi élevée qu'elle ne l'est aujourd'hui. La dette publique absorbera 82,6% du produit intérieur brut (PIB) d'ici à la fin de l'année. La dette étrangère, quant à elle, avait déjà atteint 100% du PIB l'année dernière.

Obtenir un prêt international est certes un impératif pour atténuer le déficit budgétaire du gouvernement tunisien. Cependant, les problèmes du pays sont de nature à la fois politique et économique. Un prêt du Fonds monétaire international (FMI) imposera des mesures d'austérité qui risquent de raviver les protestations populaires. Le prêt exigera de modifier en profondeur l'économie de l'État tunisien, notamment en réduisant les subventions accordées aux produits de base, mais aussi en allégeant la masse des salaires du secteur public, qui emploie 680 000 personnes sur les douze millions de Tunisiens.

Lors d’une récente visite, le FMI a bel et bien soutenu les efforts consentis par le gouvernement pour conserver la stabilité macroéconomique. Il a toutefois constaté que les prix élevés des produits énergétiques conjugués à l'inflation requéraient «des mesures d'urgence qui visent à résorber ces déséquilibres d'une manière viable sur le plan social». Ce scénario est loin de se vérifier si «la communauté internationale ne joue pas à nouveau un rôle important».

Une aide au compte-gouttes, telle que celle que fournit la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, ne pourra pas prévenir la calamité économique à laquelle la Tunisie se heurte. Le pays a en effet besoin d'une refonte complète du secteur public pour que l'aide du FMI soit garantie: voilà où le bât blesse. La centralisation progressive du pouvoir pratiquée par M. Saïed va à l'encontre de la politique d'inclusion sociale et politique qu'exige le FMI.

Avant la prise de pouvoir de Kaïs Saïed, la communauté internationale était encline à aider la Tunisie, ce pays étant la seule démocratie issue de la révolution dans le monde arabe. Cependant, dans un contexte de dissolution du Parlement, de limogeage des juges, de démantèlement des syndicats et de montée des inégalités sociales et régionales, il est peu probable que l'aide requise soit accordée. Si Kaïs Saïed se présente comme le défenseur de la classe ouvrière – qui continue de soutenir largement l'attaque qu'il mène contre les élites du pays –, il ne doit pas faire abstraction des besoins de cette classe, sous peine de perdre sa confiance et, avec elle, celle du FMI.

 

Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et conseille des clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). 

Twitter: @Moulay_Zaid

NDRL: L'opinion exprimée dans cette page est propre à l'auteur et ne reflète pas nécessairement celle d'Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com