Le gouvernement de Liz Truss en mode de crise

Lizz Truss au parlement britannique (Photo, Fournie).
Lizz Truss au parlement britannique (Photo, Fournie).
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Publié le Mardi 04 octobre 2022

Le gouvernement de Liz Truss en mode de crise

Le gouvernement de Liz Truss en mode de crise
  • Ce vendredi, la livre sterling s'échangeait à peine au-dessus de la parité avec le dollar américain — son taux le plus bas jamais enregistré par rapport au dollar américain
  • D'un point de vue politique, la débâcle du budget est le pire départ possible pour le premier ministre Truss

Liz Truss a été choisie comme nouveau Premier ministre britannique il y a moins d'un mois par les membres du parti qui la considéraient comme une personne fiable. Pourtant, son gouvernement est déjà confronté à une perte potentielle de confiance dans sa stratégie économique.

La semaine dernière, Kwasi Kwarteng, le nouveau ministre des Finances, a dévoilé un budget d'urgence extraordinaire en vue d’une relance économique, notamment des niveaux massifs de nouvelles dépenses et des dizaines de milliards de livres de réductions d'impôts dans ce qui était le plus grand programme de relance non financé depuis au moins les années 1970.

Les marchés ont rejeté ses propositions de façon spectaculaire, provoquant la réaction la plus négative de mémoire d'homme à un événement budgétaire britannique.

La crise s'est aggravée ces derniers jours, la décision de la Banque d'Angleterre d'exclure toute augmentation d'urgence des taux d'intérêt ayant entraîné de nouvelles ventes de la livre sur les marchés des devises. Les marchés financiers sont encore loin de savoir comment la banque centrale du Royaume-Uni va réagir, comme en témoignent les fluctuations de la livre sterling, l'optimisme concernant une éventuelle intervention sur les taux d'intérêt ayant cédé la place à la déception face à l'échec de cette intervention.

Ce vendredi, la livre sterling s'échangeait à peine au-dessus de la parité avec le dollar américain — son taux le plus bas jamais enregistré par rapport au dollar américain.

La Banque d'Angleterre espère que la panique initiale du marché, alors que les investisseurs comprennent les implications du budget de Kwarteng, finira par se calmer. Pourtant, il existe un risque important que la banque et le gouvernement perdent le contrôle de ces événements qui évoluent rapidement.

Signe que les décideurs internationaux sont de plus en plus alarmés par les récentes turbulences au Royaume-Uni, Raphael Bostic, président de la Banque de réserve fédérale d'Atlanta, s’est exprimé cette semaine. Il a révélé que la vente de la livre reflétait une incertitude croissante quant à l'orientation de l'économie britannique. Cela s'ajoute aux préoccupations similaires soulevées la semaine dernière par l'ancien secrétaire au Trésor Larry Summers.

Si Kwarteng a dû s'attendre à une réaction négative des marchés à son budget, il n'a manifestement pas mesuré toute l'ampleur de l'angoisse des investisseurs. Il s'agissait d'une grave erreur de sa part ; il était clair depuis un certain temps que son annonce pouvait déclencher un grave effondrement financier.

Prenez, par exemple, le stratège en matière de change de la Deutsche Bank, Shreyas Gopal, qui a averti le 7 septembre, le jour où Truss a été officiellement nommée Première ministre, que les risques d'une «crise de la livre sterling» ne devaient pas être sous-estimés.

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«Les députés conservateurs sont très inquiets quant au jugement politique et économique du nouveau ministre des Finances et du Premier ministre.»

 

    Andrew Hammond

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Gopal a averti que «la prime de risque sur les gilts britanniques (dette publique) augmente déjà... une crise peut sembler extrême mais elle n'est pas sans précédent: la combinaison de dépenses budgétaires agressives, d'un choc énergétique sévère et d'un glissement de la livre sterling a déjà fini par obliger le Royaume-Uni à recourir à un prêt du Fonds monétaire international au milieu des années 1970».

Gopal était loin d'être le seul au sein de la communauté des marchés financiers à émettre des avertissements. En outre, Truss a également été très clairement prévenue, à de nombreuses reprises, par l'ancien ministre britannique des Finances, Rishi Sunak, son rival défait dans la course à la direction du Parti conservateur, que ses plans économiques étaient des «contes de fées réconfortants.»

La raison pour laquelle Kwarteng a refusé d'écouter ces avertissements n'est pas claire à 100 %. Ni, d'ailleurs, pourquoi il a décidé de licencier le secrétaire permanent au Trésor, Tom Scholar, qui aurait pu être une personne clé pour donner au nouveau gouvernement des conseils critiques constructifs sur ses options fiscales.

S'étant lui-même enfoncé dans un profond trou politique, Kwarteng doit maintenant relever un défi de taille pour s'en sortir. Ces derniers jours, il n'a pas réussi à rassurer les marchés agités en promettant de présenter la stratégie de réduction de la dette du gouvernement dans une déclaration, à la fin du mois de novembre.

Nombreux sont ceux qui, sur les marchés financiers, semblent désormais penser que les discours fermes ne suffiront pas et que les coûts d'emprunt officiels devront augmenter plus fortement et plus rapidement que prévu pour tenter d'inverser la tendance à la baisse de la livre sterling. L'ironie de la situation est que cela pourrait bien anéantir toute impulsion donnée par le programme de croissance de Kwarteng.

D'un point de vue politique, la débâcle du budget est le pire départ possible pour le Premier ministre Truss. Les députés conservateurs sont déjà très inquiets quant au jugement politique et économique du nouveau ministre des Finances et du Premier ministre.

Dans ce contexte, Kwarteng pourrait voir son avenir politique compromis au cours des prochains mois. Même si Truss ne le jettera pas par-dessus bord sans un véritable combat, cette possibilité reste néanmoins importante, à moins que son paquet budgétaire ne produise des dividendes de croissance clairs.

Le principal bénéficiaire des déboires de Truss sera probablement le parti travailliste, qui a tenu sa conférence annuelle à Liverpool cette semaine. Les résultats d'un sondage YouGov publiés vendredi donnent à l'opposition plus de 30 points de pourcentage d'avance sur les conservateurs au pouvoir, la plus grande avance du parti travailliste depuis la première victoire électorale écrasante de Tony Blair il y a 25 ans.

Bien que le parti travailliste ne tienne rien pour acquis, étant donné l'instabilité de l'humeur politique, il y a un sentiment croissant au sein de ce parti que le vent pourrait tourner contre les chances des conservateurs de remporter un cinquième mandat consécutif historique. En effet, certaines comparaisons ont été établies entre les événements de ce mois-ci et la crise dite du «lundi noir» de septembre 1992, lorsque le gouvernement conservateur du Premier ministre John Major a été contraint de relever les taux d'intérêt après l'échec de sa stratégie économique.

Aucune époque politique n'est identique à une autre et il existe des différences essentielles, ainsi que des similitudes, entre 1992 et aujourd'hui. Toutefois, il semble de plus en plus probable que les conservateurs perdent un nombre important de sièges lors des prochaines élections et que le parti travailliste redevient le plus grand parti de la Chambre des communes pour la première fois depuis les gouvernements de Blair et de Gordon Brown.

 

  • Andrew Hammond est professeur associé à LSE IDEAS (Centre des affaires internationales, de la diplomatie et de la stratégie) de l'école d'économie de Londres.

 

Les opinions exprimées par les auteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com