Liz Truss réussira-t-elle à faire face aux obstacles?

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Publié le Lundi 12 septembre 2022

Liz Truss réussira-t-elle à faire face aux obstacles?

Liz Truss réussira-t-elle à faire face aux obstacles?
  • Selon l’institut de sondage YouGov, la moitié des Britanniques sont déçus de voir Liz Truss nommée au poste de Première ministre, un tiers sont «très déçus» et à peine 22 % ont exprimé leur satisfaction à l’égard de sa nomination
  • Lors de ce que Liz Truss a elle-même qualifié de son «entretien d’embauche le plus long», elle n’a pas réussi à convaincre les gens qu’elle avait une vision du monde cohérente et des principes solides

La dernière action officielle de la reine Élisabeth est le parfait symbole de ses sept longues décennies au service de la nation. En effet, elle a demandé à Liz Truss de former un nouveau gouvernement deux jours seulement avant son décès. La reine avait l’air frêle et faible, mais cela n’a pas empêché l’un des serviteurs les plus dignes et les plus loyaux de son pays de remplir son devoir et de confirmer la nomination du 15e Premier ministre sous son règne.
On peut uniquement espérer que certaines des qualités si rares démontrées par la reine tout au long de sa vie aient pu déteindre sur l’autre Elizabeth – Mary Elizabeth Truss – lors de cette rencontre. Après tout, l’un des aspects positifs de l’annonce selon laquelle Liz Truss avait remporté la course contre l’ancien chancelier, Rishi Sunak, à la tête du Parti conservateur, devenant, par conséquent, la nouvelle Première ministre du Royaume-Uni, est qu’elle a mis fin à sept semaines d’interminables débats publics ennuyeux et sans intérêt entre deux candidats qui avaient du mal à dissimuler leur haine mutuelle.
Aucun des deux n’a déclaré que le pays serait entre de bonnes mains si son adversaire remportait la course. On espère que M. Sunak a eu tort de prétendre que sa rivale parlait d’«économie fantastique». Cependant, tous deux ont laissé le public perplexe quant à ce qu'ils croient ou défendent exactement, au-delà de leur désir d'occuper le poste le plus important du pays, car ils n'ont cessé de faire volte-face dans leurs propositions sur la façon de gérer une économie en difficulté et une société en crise, tandis que de nombreux défis menacent la scène mondiale instable.
La palme de la réponse la plus flatteuse pour les cent soixante mille membres du Parti conservateur qui jouissent du privilège de décider du prochain chef du pays devrait revenir à Mme Truss, qui n’a pas pu répondre de manière claire à une question qui lui avait été posée pendant la campagne électorale: le président français, Emmanuel Macron, est-il un ami ou un ennemi? Elle refuse de trancher, affirmant qu’elle jugerait le président sur ses actes. Et dire que cette réponse a été formulée par quelqu’un qui, jusqu’à la semaine dernière, était ministre britannique des Affaires étrangères.
L’annonce des résultats n’est guère surprenante, mais la marge de victoire est beaucoup plus étroite que prévu, ce qui devrait inciter Liz Truss à se poser des questions. En effet, en plus de n’avoir le soutien que d’une minorité de députés conservateurs, elle n’a pas été reconnue par tous les membres du parti.
De plus, contrairement à son prédécesseur, Boris Johnson, qui a remporté les élections générales de 2019 avec l’une des plus grandes majorités de l’Histoire récente, Liz Truss n’a aucun mandat des électeurs. Elle devra donc traiter avec sagesse et sensibilité la majorité de ses députés qui, tout au long du processus de sélection, préférait largement son rival, M. Sunak. Il convient de mentionner que ces personnes ont travaillé avec elle pendant plus d’une décennie au sein du Parlement et du gouvernement.

Lors de ce que Liz Truss a elle-même qualifié de son «entretien d’embauche le plus long», elle n’a pas réussi à convaincre les gens qu’elle avait une vision du monde cohérente et des principes solides.

Yossi Mekelberg

En l’état actuel des choses, et selon l’institut de sondage YouGov, la moitié des Britanniques sont déçus de voir Liz Truss nommée au poste de Première ministre, un tiers sont «très déçus» et à peine 22 % ont exprimé leur satisfaction à l’égard de sa nomination. Les cyniques pourraient dire que le faible niveau de confiance dont font preuve le public et nombre de ses collègues du parti pourrait être son arme la plus puissante, car ce serait une belle surprise si elle dépassait les attentes actuelles qui sont au niveau le plus bas.
Bien qu’elle manque de charisme et d’éloquence, la nouvelle Première ministre compense par son ambition et une constance impitoyable qui semblent exceptionnelles, même au sein de l’environnement sans merci du Parti conservateur. Elle l’a prouvé dès son premier jour au pouvoir en éliminant tous les hauts responsables du gouvernement qui avaient soutenu Rishi Sunak. Une telle cruauté pourrait renforcer l’image qu’elle aime se donner d’elle-même en tant que dirigeante dure, semblable à Margaret Thatcher. Cependant, à moins qu’elle ne se mette immédiatement au travail avec son gouvernement, cela pourrait s’avérer une grave erreur de calcul, étant donné que ses collègues de Westminster et elle-même se trouvent sur un terrain glissant.
Évidemment, personne ne devrait envier les défis insurmontables auxquels fait face le nouveau gouvernement. L’inflation est à son plus haut depuis quarante ans. À l’approche de l’hiver, les prix de l’énergie menacent de plonger des millions de personnes dans la pauvreté et de provoquer la faillite de nombreuses entreprises. L’économie est frappée de plein fouet par une inflation élevée doublée d’une récession. La guerre en Ukraine fait rage et la question de l’Irlande du Nord reste une source de discorde au niveau des relations avec l’Union européenne (UE).
Lors de ce que Liz Truss a elle-même qualifié de son «entretien d’embauche le plus long», elle n’a pas réussi à convaincre les gens qu’elle avait une vision du monde cohérente et des principes solides. Il ne s’agit pas du fait d’avoir soutenu les Libéraux-démocrates dans sa jeunesse, ou même d’avoir été antimonarchiste pendant son adolescence et ses années universitaires. On parle d’une politicienne aguerrie et établie qui fait volte-face lorsqu’il est question de problèmes cruciaux dont souffre le pays ces dernières années. Elle oscille entre les deux extrêmes pour un débat donné, comme elle l’a fait pour le Brexit, passant de «remainer» à fervente «Brexiteer». Pour alléger la pression sur les familles à la suite de la crise énergétique, elle s’est opposée à un plafonnement des prix de l’énergie avant de dépenser 130 milliards de livres sterling (149,6 milliards d’euros) en aide d’urgence – ce à quoi elle a résisté pendant sa campagne pour la course à la direction du parti.
En outre, alors que des millions de personnes font face à l’incertitude quant à leur situation financière, craignant la pauvreté et la perte de leur maison à mesure que les taux d’intérêt augmentent, son insistance sur le fait qu’il est juste de réduire les impôts qui sont disproportionnellement bénéfiques pour les riches met également en lumière une personne qui manque d’empathie. Un tel manque d’humanité se manifeste également dans son soutien à l’expulsion des demandeurs d’asile vers le Rwanda, d’autant plus que cette mesure n’offre aucune garantie pour leurs droits et leur bien-être. Ensuite, il y a la mise en place par Liz Truss d’un gouvernement composé de ministres loyaux et partageant les mêmes idées: cela devrait inquiéter ceux qui souhaitent une certaine diversité d’opinions au sein de l’unité de prise de décision, et non une pensée de groupe et une fermeture cognitive face à des problèmes complexes. Cette démarche témoigne de son insécurité plutôt que de sa force et de sa détermination.
Liz Truss et son gouvernement méritent peut-être une courte période de répit pour prouver qu’ils ont un plan, mais il y a énormément de points d’interrogation, en particulier avec la nomination d’un ministre de l’Intérieur qui soutient le retrait de la Convention européenne des droits de l’homme, et d’un secrétaire d’État aux Affaires, à l’Énergie et à la Stratégie industrielle, sceptique face au changement climatique. Les avis sont partagés – pas lorsqu’il s’agit de décider si la France de M. Macron est une amie du Royaume-Uni –, mais lorsqu’il est question de la capacité de Liz Truss à diriger le Royaume-Uni en ces temps de crise. C’est à elle de convaincre les sceptiques.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

TWITTER: @Ymekelberg


NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.


Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com