Pour Israël, les vies américaines sont dérisoires

Des personnes en deuil regardent une dernière fois le corps d’Omar Asaad, 78 ans, lors de ses funérailles à Jiljiliya, en Cisjordanie, le 13 janvier 2022. (Photo AP)
Des personnes en deuil regardent une dernière fois le corps d’Omar Asaad, 78 ans, lors de ses funérailles à Jiljiliya, en Cisjordanie, le 13 janvier 2022. (Photo AP)
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Publié le Samedi 15 octobre 2022

Pour Israël, les vies américaines sont dérisoires

Pour Israël, les vies américaines sont dérisoires
  • Les familles de deux Américains tués après avoir été arrêtés par la police – l’un à New York, l’autre dans un petit village près de Ramallah – n’ont pas été du tout indemnisées de la même manière
  • Israël a versé une somme dérisoire à la famille d’un retraité vivant en Cisjordanie, M. Asaad, menotté, abandonné sur un chantier dans le froid par des soldats israéliens et décédé d’une crise cardiaque

Deux nouvelles ont été rapportées au même moment la semaine dernière au sujet d’une indemnisation offerte aux familles de deux Américains qui ont été tués après avoir été arrêtés par la police – l’un à Rochester, New York, et l’autre à Jiljilya, un petit village à l’extérieur de Ramallah, en Cisjordanie. Les deux incidents présentaient de nombreuses similitudes, mais leurs conséquences ont été radicalement différentes.

La victime new-yorkaise, Daniel Prude, 41 ans, se droguait en mars 2020 lorsqu’il a été détenu par des policiers qui avaient été appelés sur les lieux par son frère. M. Prude est décédé une semaine plus tard. Selon le rapport d’autopsie du médecin légiste, il serait mort asphyxié.

La victime de Ramallah, Omar Asaad, 78 ans, se trouvait à un poste de contrôle israélien en janvier 2022 lorsqu’il a été traîné hors de sa voiture par des soldats. Menotté, yeux bandés et poussé de force au sol sur un chantier de construction, il a été détenu pendant des heures dans le froid. Les Israéliens ont laissé M. Asaad au sol et il a été retrouvé mort tôt le matin. Les autorités israéliennes ont déclaré qu’il avait été victime d’une crise cardiaque.

Dans les deux cas, les autorités affirment que les victimes ont «résisté».

Dans le cas de M. Prude, les médias se sont montrés très critiques à l’égard de la police et les politiciens américains ont dénoncé la brutalité policière. La famille de M. Prude a intenté une action en justice contre le département de police de Rochester, a exigé des réponses et a demandé des comptes. L’affaire a fait la une des journaux aux États-Unis en tant qu’exemple du meurtre de Noirs par la police.

Compte tenu de la forte indignation et même de l’exagération de la faute des policiers – ceux-ci se sont rendus sur les lieux pour aider Prude sous l’emprise de la drogue et ont agi de manière très belliqueuse –, Rochester a décidé de régler le procès et d’indemniser la famille Prude à hauteur de douze millions de dollars (1 dollar = 1,03 euro). Comment aurait-il été possible de faire autrement, dans la mesure où la mort de M. Prude est une nouvelle démonstration de la manière avec laquelle la police assassine des hommes noirs?

Pendant ce temps, Israël ne répond pas aux plaintes déposées par les familles palestiniennes. Le pays a un double système de justice qui traite les non-juifs différemment des juifs et comprend 77 lois qui renforcent cette discrimination. Selon un article publié par Haaretz en février, une étude montre que seulement 3,8% des affaires pénales où des Palestiniens sont victimes ont abouti à des poursuites judiciaires.

Dans l’affaire Asaad, l’administration Biden a fait une déclaration publique similaire à celle, faible et inefficace, que le secrétaire d’État Antony Blinken avait faite en réponse au meurtre de la journaliste américaine Shireen Abu Akleh, abattue par un tireur d’élite israélien.

Face aux protestations molles du président Biden et de M. Blinken – et aux faux-fuyants des grands médias – le gouvernement israélien n’a subi aucune pression réelle pour faire quoi que ce soit, mais il a annoncé la semaine dernière qu’il verserait aux proches de M. Asaad la modique somme de 500 000 shekels (environ 139 000 euros).

On pourrait penser que, compte tenu des circonstances des deux décès, la famille de M. Prude aurait dû toucher 139 000 dollars et celle de M. Asaad douze millions de dollars. Prude se droguait et se battait contre la police, tandis que M. Asaad ne protestait que verbalement contre sa détention injustifiée, mais il a quand même été brutalisé par les soldats israéliens, qui l’ont ensuite laissé pour mort. Les circonstances d’un meurtre ne jouent-elles donc aucun rôle dans des affaires comme celle-ci? Les facteurs déterminants d’une affaire sont-ils davantage liés à la perception du public et au poids politique lorsqu’une victime est soutenue par de nombreuses voix puissantes exigeant que justice soit rendue?

Tragiquement, la politique détermine la valeur d’une vie américaine. La colère publique et celle du gouvernement a plus de poids dans la détermination de la justice que les faits eux-mêmes.

Peut-être que si Joe Biden ou Anthony Blinken exprimaient une plus grande indignation lorsque des compatriotes américains comme Omar Asaad et Shireen Abu Akleh étaient tués aux mains d’un gouvernement étranger, la responsabilité serait plus grande.

«La colère publique et celle du gouvernement a plus de poids dans la détermination de la justice que les faits eux-mêmes»

Ray Hanania

La somme d’argent a plus qu’une simple incidence économique pour les membres survivants de la famille. Elle est symbolique. Verser douze millions de dollars à la famille de M. Prude est synonyme de remords, de responsabilité et de désir d’éviter qu’une telle tragédie ait de nouveau lieu. Cet acte signifie que les autorités de Rochester ne veulent pas que cela se reproduise.

Qu’Israël verse une somme dérisoire à la famille de M. Asaad est un signe d’arrogance, de mépris et de manque de respect pour l’État de droit. Pire encore, cela montre que le gouvernement d’Israël ne se soucie vraiment pas qu’un Américain puisse être tué par ses soldats. Cela devrait offenser les Américains autant que de voir l’un des leurs assassiné par les troupes israéliennes.

 

Ray Hanania est un ancien journaliste politique et chroniqueur primé de la mairie de Chicago. Il peut être contacté sur son site Web personnel à l’adresse www.Hanania.com.

Twitter: @RayHanania

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com