Face aux réalités de la colonisation israélienne en Cisjordanie

Une école dans le village d’Al-Tuwani en Cisjordanie occupée, le 12 mars 2021 (Photo, Wikimedia Commons).
Une école dans le village d’Al-Tuwani en Cisjordanie occupée, le 12 mars 2021 (Photo, Wikimedia Commons).
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Publié le Jeudi 06 octobre 2022

Face aux réalités de la colonisation israélienne en Cisjordanie

Face aux réalités de la colonisation israélienne en Cisjordanie
  • Entre 2017 et 2021, Israël a construit plus de cinquante nouvelles colonies en Cisjordanie, dont au moins trente-cinq sont des avant-postes
  • Les élections israéliennes du 1er novembre pourraient aboutir une fois encore à l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement d’extrême droite

Le petit Ahmed ne devait pas avoir plus de six ans et, heureusement, il n’était pas trop lourd. Je l’ai porté sur mes épaules et nous avons traversé ensemble la rive rocheuse pour éviter que ses pieds nus ne s’écorchent au contact des rochers et des chardons. Autour de nous se trouvaient huit autres enfants palestiniens, quelques activistes israéliens et autres dignitaires étrangers.

Chaque jour, ces enfants sont accompagnés sur le trajet de l’école sur une périlleuse distance d’un kilomètre et demi. Le harcèlement par les colons israéliens est monnaie courante, allant même jusqu’aux jets de pierre. Au plus fort de la pandémie de Covid-19, les enfants n’étaient protégés que par les activistes, que activistes israéliens étaient leurs seuls gardiens, mais les colons n’hésitent pas à les frapper également.

Al-Tuwani, dans les collines du sud d’Hébron, est le seul endroit de toute la Cisjordanie où les soldats israéliens jouent un rôle dans la protection des enfants palestiniens. À Hébron, j’ai vu des colons attaquer des enfants palestiniens en route vers l'école devant des soldats qui ne réagissaient même pas. Mais, en 2004, une sous-commission de la Knesset (Parlement israélien) ordonne à l’armée d’escorter ces enfants sur la colline à côté de l’avant-poste des colons de Havat Maon. Notre rôle était de les conduire jusqu’au point de rencontre. Les voitures des colons garées sur la colline montraient qu’ils attendaient. Des diplomates européens se sont joints à nous pour assister à ce rituel quotidien, mais c’en était trop pour les soldats israéliens et leur commandant a déclaré le lieu comme zone militaire fermée.

C’est incroyable. L’armée ne devrait pas être nécessaire. Dans un système même presque normal, l’armée avertirait les colons de ne pas attaquer les enfants et les arrêterait immédiatement s’ils le faisaient. Cela met en évidence le pouvoir extraordinaire des colons, qui vivent au-dessus des lois. L’avant-poste est lui-même illégal au regard du droit international et, pour le moment, selon la loi israélienne également.

Les colons de cet avant-poste sont réputés être les plus violents des environs. Au début du mois de septembre, ils ont cassé les deux bras de Hafez Hureini. Il a été arrêté sur la base de fausses accusations de meurtre puis emprisonné, m’a-t-il précisé, pendant onze jours avant que des preuves vidéo ne montrent qu’il était totalement innocent. Il rit quand je lui demande si les colons seront tenus responsables.

Un activiste israélien m’explique qu’il y a douze avant-postes dans la région, dont Havat Maon. Souvent, les colons sont installés sur une colline jouxtant une colonie mère. Ce n’est pas le nombre de colons qui importe, mais plutôt le lopin de terre supplémentaire sur lequel les colons établissent leur contrôle. Plus loin sur la route, un autre récent avant-poste domine une vallée et les colons plantent une vigne pour faire bonne mesure.

Entre 2017 et 2021, Israël a construit plus de cinquante nouvelles colonies en Cisjordanie, dont au moins trente-cinq sont des avant-postes, comme tant d’autres que j’ai vus dans les collines au sud d’Hébron. Il s’agit d’une véritable aubaine pour les colons. Ils deviennent de plus en plus audacieux, motivés par le silence de la communauté internationale et le soutien du gouvernement israélien.

Pour les entreprises illégales, les avant-postes disposent de services de pointe, contrairement à leurs voisins palestiniens, qui n’en ont pas. Ils ont l’électricité et l’eau courante ainsi que des routes d’accès appropriées. Alors que nous passons devant un avant-poste, une pelleteuse commence à creuser une autre nouvelle route d’accès. Les activistes israéliens signalent cette situation à l’armée qui, en théorie, devrait mettre un terme à ces activités illégales. Pas de chance.

La semaine dernière, l’armée israélienne n’a pas hésité à annoncer qu’elle doterait également ces avant-postes de systèmes d’observation, d’éclairage, de sonorisation et de matériel de lutte contre les incendies. Ces systèmes seront portables. Pourquoi? Parce que toute construction permanente serait illégale en vertu des lois en vigueur.

Cette zone des collines du sud d’Hébron couvre près de trois mille hectares. Les bergers palestiniens vivent dans de simples habitations en béton ou des cabanes. Certains se trouvent aussi dans des grottes à Masafer Yatta, une zone qu’Israël a désignée comme «zone de tir 918». Depuis le début des années 1980, Israël tente d’expulser de force les habitants palestiniens.

Les écoliers passent devant l’avant-poste pour rentrer chez eux à Al-Tuwani. Mais ils ne sont pas non plus en sécurité chez eux. Al-Tuwani est l’un des douze villages palestiniens situés à l’intérieur de la zone de tir et les familles qui y vivent se considèrent comme chanceuses, car le village est situé à la frontière. Une chance très relative. Toute la zone devient plus dangereuse, avec plus d’exercices de tir réel. Entrer et sortir est également plus difficile. Les Palestiniens d’Al-Tuwani n’ont pas de voitures. Il n’y a pas de routes goudronnées. En effet, l’armée israélienne a confisqué des dizaines de véhicules dans la zone.

Un excellent groupe israélien a obtenu un financement pour des panneaux solaires et des éoliennes afin de fournir une énergie limitée, mais ceux-ci sont susceptibles d’être confisqués ou détruits. Les Palestiniens ont besoin d’un permis pour en disposer et ils ne sont pas en mesure de l’obtenir. Les avant-postes des colonies ne font pas face à de telles privations.

Nous buvons un thé à l’intérieur d’une grotte où vit une famille. Ils se sont installés là, car ce lieu est plus sûr que les bâtiments à l’extérieur. Le père de famille explique qu’il a grandi dans une grotte où se trouve désormais l’avant-poste de Havat Maon. Pour survivre, la famille a dû vendre la majeure partie de son troupeau de moutons et de chèvres. Le temps et les ressources s’épuisent.

En mai, la Cour suprême israélienne a décidé que l’armée israélienne pouvait expulser plus de mille habitants palestiniens de Masafer Yatta. Un nouvel épisode de nettoyage ethnique est en préparation, d’autant plus que le dernier appel a été rejeté.

Les avant-postes de colons ne sont pas aléatoires et Masafer Yatta n’est pas unique. De telles scènes se reproduisent dans de nombreuses régions de Cisjordanie. Les avant-postes sont la pierre angulaire de l’expansion des colonies, enfermant les Palestiniens dans des espaces de plus en plus restreints et les privant de moyens de subsistance. Les autorités israéliennes veulent regrouper les éleveurs palestiniens de Masafer Yatta dans la ville même de Yatta.

 

«Les colons deviennent de plus en plus audacieux, motivés par le silence international et les encouragements du gouvernement israélien.»- Chris Doyle

 

Les élections israéliennes du 1er novembre pourraient bien aboutir une fois encore à l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement d’extrême droite. Benjamin Netanyahou a courtisé certains des groupes racistes les plus extrémistes, dont Otzma Yehudit et son chef, Itamar Ben-Gvir, qui pourrait bien devenir ministre dans une coalition dirigée par M. Netanyahou. M. Ben-Gvir soutient l’expulsion des Palestiniens. Plus d’un observateur politique israélien affirme que la «légalisation» de ces avant-postes de colons pourrait être le prix qu’exige Itamar Ben-Gvir pour soutenir une coalition. Ce serait officialiser l’accaparement massif des terres.

Quel ordre de grandeur cela représente-t-il? Les activités de colonisation sont considérables, avec une population de plus de six cent cinquante mille habitants en Cisjordanie. En plus des cent vingt colonies officielles, il existe plus de cent quarante avant-postes. Les collines du sud d’Hébron sont un parfait exemple de la façon dont cela fonctionne.

L'État israélien peut qualifier les avant-postes de «non autorisés», mais la réalité est qu’ils font partie intégrante du plan visant à imposer la réalité d’un État unique, dans lequel les Palestiniens n’ont d’avenir qu’en tant que main-d’œuvre sans droits, fragmentée, impuissante et soumise.

 

Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.

Twitter: @Doylech

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com