La Cisjordanie, nouvelle priorité stratégique pour Netanyahou

Des personnes en deuil portent le corps de Yamen Hamed lors de ses funérailles en Cisjordanie, le 31 octobre 2025. (AFP)
Des personnes en deuil portent le corps de Yamen Hamed lors de ses funérailles en Cisjordanie, le 31 octobre 2025. (AFP)
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Publié le Mardi 04 novembre 2025

La Cisjordanie, nouvelle priorité stratégique pour Netanyahou

La Cisjordanie, nouvelle priorité stratégique pour Netanyahou
  • Netanyahou voit la Cisjordanie comme sa prochaine cible stratégique, cherchant à consolider son pouvoir interne et à poursuivre la colonisation
  • La Cisjordanie subit déjà un contrôle total israélien, marqué par l’expansion des colonies, la violence des colons, l’effondrement économique palestinien et l’affaiblissement extrême de l’Autorité palestinienne

Depuis des semaines, la question sur la Palestine lancée sans relâche à chaque expert ou pseudo-expert est : « Et maintenant ? » Un génocide à grande échelle à Gaza s’est transformé en un semi-cessez-le-feu, une guerre israélienne intermittente qui mettra à l’épreuve la détermination de l’administration Trump. Combien de temps encore les hauts responsables américains pourront-ils passer à « garder Bibi » avant que le président ne perde patience ?

Mais si la nouvelle normalité devient ce génocide au ralenti, avec moins de bombardements et une aide minimale, quelles sont les options de Benjamin Netanyahou ? Depuis deux ans, sa méthode repose sur une escalade à outrance. Il redoute sans doute le calme sur le front intérieur et ce que cela signifierait pour ses passages devant les tribunaux, alors il a allumé tous les fronts, de Gaza à l’Iran.

Tous les fronts sont des options possibles pour le dirigeant israélien. L’Iran est peut-être le plus risqué. La Syrie, sans doute pas pour l’instant, car le nouveau président syrien doit se rendre à Washington dans une semaine. Netanyahou lorgne aussi sur le Liban, alors que l’intensité des frappes israéliennes s’accroît.

Pourtant, la Cisjordanie doit être l’option la plus tentante sur le menu de l’incendiaire géopolitique. D’abord, c’est ce qui importe à lui et à ses camarades extrémistes de la coalition au pouvoir. Finaliser la prise de contrôle de la Cisjordanie est le rêve du club du « Grand Israël ». Ensuite, non seulement cela lui permettrait de recoller sa coalition chancelante pour un temps, mais il rencontrerait aussi moins d’opposition interne. Enfin, le président américain Donald Trump a peut-être écarté l’annexion formelle de la Cisjordanie, mais ce n’est pas là l’essentiel : c’est le programme de nettoyage ethnique et de colonisation de peuplement qui menace l’existence palestinienne. Entre janvier et la mi-septembre, Israël a approuvé un nombre record de 25 000 unités de colonisation.

L’annexion est une diversion. Netanyahou peut la brandir comme une option nucléaire et menacer les acteurs internationaux. Il s’en est servi pour obtenir les accords d’Abraham, feignant qu’un engagement à ne pas annexer était une grande concession — tout comme Trump présente son veto à l’annexion comme une preuve de fermeté envers Bibi.

La réalité est que la Cisjordanie est déjà sous contrôle total d’Israël. La loi civile israélienne s’applique sur tout le territoire — pour les Israéliens. Les Palestiniens, eux, subissent la loi militaire israélienne. Le système d’apartheid est profondément enraciné. Si Netanyahou annexait, Israël devrait alors affronter des accusations d’apartheid encore plus féroces, puisque plus de trois millions de Palestiniens vivraient dans « Israël » sans citoyenneté ni droit de vote.

C’est le programme de nettoyage ethnique et de colonisation de peuplement qui menace l’existence palestinienne. 

                                                      Chris Doyle

Même sans annexion, le mouvement des colons peut, avec l’aide directe de l’armée, poursuivre son redoutable assaut contre les communautés rurales palestiniennes. La dernière semaine d’octobre a vu 60 attaques de colons contre des Palestiniens, bien que les victimes ne prennent souvent plus la peine de les signaler.

L’objectif est stratégique : vider des zones clés comme les collines du sud d’Hébron de tous les Palestiniens, les forcer à se regrouper dans les villes, afin que les colonies puissent s’étendre et renforcer encore leur emprise sur l’existence palestinienne dans la région. Le plan apocalyptique E1 suivra son cours.

Alors que Gaza est anéantie, l’armée israélienne mène une invasion plus discrète mais tout aussi dévastatrice du nord de la Cisjordanie, ciblant en particulier les camps de réfugiés. Israël a utilisé des avions et un armement lourd à une échelle inédite depuis le pic de la Seconde Intifada.

L’option de Netanyahou sera d’étendre cette offensive à toutes les zones de la Cisjordanie, ce qui deviendra plus facile si moins de troupes israéliennes sont nécessaires à Gaza. Combien des 19 camps de réfugiés de Cisjordanie n’auront pas été envahis dans un an ? En parallèle, avec l’éviscération de l’UNRWA, la question des réfugiés palestiniens subira un coup presque fatal.

Un avantage supplémentaire pour le Premier ministre israélien sera de mettre en lumière la faiblesse et l’irrélevance de l’Autorité palestinienne, que cette coalition israélienne exècre, lui refusant tout rôle, même minimal, à Gaza. Elle l’a rendue impuissante sur le plan sécuritaire et, grâce à une série de mesures du ministre des Finances et colon Bezalel Smotrich, presque en faillite.

L’économie de la Cisjordanie a été écrasée. Son produit intérieur brut a chuté de 17 % en 2024. Sans les mesures israéliennes, l’économie palestinienne de Cisjordanie entre 2000 et 2024 aurait été 68 % plus importante, soit une perte équivalente à 170 milliards de dollars. La liberté de mouvement et l’accès ont été réduits : une nouvelle phalange de barrières et de checkpoints rend les déplacements plus longs, plus pénibles et plus dangereux. Les pogroms de colons sont fréquents : ils attaquent maisons et commerces, brûlent des voitures. Durant la récolte des olives de cette année, l’ONU rapporte que plus de 4 000 oliviers ont été vandalisés. Les colons, aidés par leurs nouveaux avant-postes, interdisent aux Palestiniens l’accès à un nombre croissant de leurs oliveraies. Le prix de l’huile d’olive palestinienne explose.

L’Autorité palestinienne est virtuellement en faillite. Les salaires ne peuvent plus être versés. Elle ne peut plus investir dans les infrastructures publiques. Ce qui reste pourrait s’effondrer à tout moment.

Cela souligne à quel point les propositions de Trump, limitées à Gaza, sont erronées. La Cisjordanie et Gaza font partie de l’État de Palestine. Celui-ci est pulvérisé dans son ensemble. Ce n’est pas seulement Gaza.

Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique à Londres.

X : @Doylech

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com