Du cessez‑le‑feu aux cadavres — l’histoire macabre des défunts de Gaza. Le fragile cessez‑le‑feu tient, parfois violé mais avec un bilan de morts bien réduit. Les Palestiniens peuvent dormir la nuit, leurs oreilles ne sont plus martelées par le bourdonnement sinistre des drones israéliens et les explosions de bombes terrifiant chaque âme survivante.
L’échange d’otages vivants et de détenus s’est déroulé de façon étonnamment fluide, vu les circonstances et le manque de confiance.
Pourtant ce sont les morts qui ont posé le plus de problèmes. Israël a menacé de punition pour le Hamas, ce qui signifie typiquement tous les Palestiniens de Gaza, si les 16 corps d’otages restants ne sont pas rendus.
Hamas affirme qu’il ne peut pas les localiser. On ne peut jamais être sûr que cela soit vrai mais les circonstances atténuantes rendent la revendication assez crédible.
L'ONU estime qu’il y a désormais plus de 61 millions de tonnes de décombres qui décorent Gaza, assez pour bâtir 15 Pyramides de Gizeh ou 25 Tour Eiffel au volume. Ce ne sont pas de simples décombres mais des maisons, hôpitaux, écoles, bibliothèques et boulangeries effondrés, le tout exposé à un risque de contamination dangereuse par des munitions non explosées ou des toxines comme l’amiante. Hamas a demandé de l’aide et la fourniture d’équipements vitaux comme des pelleteuses. Encore une fois, c’est sûrement équitable. Il faut aussi du carburant pour cela. La Turquie a déployé 81 experts ayant de l’expérience en réponse aux séismes.
Une enquête indépendante sur tout ce qui s’est passé à Gaza est requise. Chaque bâtiment détruit devrait être analysé.
Chris Doyle
Un autre défi est que les forces israéliennes contrôlent toujours 53 % de la bande de Gaza. Une ligne jaune invisible définit cette zone. Le jaune est devenu synonyme de mort. Bien que les Palestiniens ne puissent pas voir la ligne, et pour la plupart ne sachent même pas qu’elle existe, il semble que les forces israéliennes sachent où elle est. Le meurtre de 11 membres d’une famille à Zeitoun vendredi semble renforcer cela.
Les cadavres des otages israéliens doivent être retrouvés. Rien ne progressera tant que cela ne sera pas avancé.
Mais qu’en est‑il des cadavres palestiniens ? L’estimation de 10 000 cadavres sous les décombres circule depuis un moment. Le nombre réel doit être plus élevé. Des dizaines ont été récupérés depuis le cessez‑le‑feu. La médecine légale à Gaza est rudimentaire et, comme tout le reste, l’expertise et les installations ont été réduites en miettes, donc l’identification des corps est souvent impossible. Peut‑être que les vêtements ou les chaussures fourniront des indices. Israël aidera‑t‑il à dégager les décombres dans les 53 % de la Bande qu’il contrôle pour permettre le retour digne des corps ?
Les médias internationaux minimisent largement, voire ignorent, les cadavres jugés de moindre valeur.
De la même façon, Israël a libéré au moins 135 corps palestiniens jusqu’à présent dans le cadre de l’accord. Y avait‑il des rapports d’autopsie ou des explications officielles sur leurs décès ? Les responsables palestiniens disent qu’il n’y avait même pas de documents d’identification. Ce qu’il y avait, ont‑ils affirmé, ce sont des signes de torture, de brûlures et même d’exécution. Un responsable de la santé à Gaza les a décrits comme étant « ligotés comme des animaux, les yeux bandés » et qu’ils « présentaient d’horrifiques marques de torture et de brûlures qui révèlent l’ampleur des crimes commis en secret. » Les images sur les réseaux sociaux sont lugubres. Les Palestiniens affirment qu’il y avait des traces de chenilles de chars sur certains corps, montrant qu’ils auraient pu être roulés dessus alors qu’ils étaient vivants.
Où est l’attention portée sur le rapport de l’ONU qui déclarait qu’au moins 75 détenus palestiniens sont morts dans les prisons israéliennes ces deux dernières années ?
Gaza est encore remplie de cadavres ambulants : les corps émaciés des grandement malnutris.
Chris Doyle
Israël niera tout cela mais c’est pourquoi une enquête indépendante sur tout ce qui s’est passé à Gaza est nécessaire. L’ensemble de l’enclave est une immense scène de crime. Chaque bâtiment détruit devrait être analysé pour recueillir des preuves de ce qui s’est passé.
Israël a une longue histoire de rétention de corps palestiniens. Des organisations israéliennes de défense des droits de l’homme rapportent encore des cas où Israël utilisait des cadavres captifs dans les années 1990. Israël conserve des corps palestiniens comme monnaie d’échange pour de futures négociations, une pratique qu’il a reprise en 2015. Le droit international est clair : les corps doivent être traités avec respect et dignité et rendus aux familles dès que possible. Israël n’est jamais tenu pour responsable à ce sujet.
Puis il y a les morts vivants. Gaza est toujours pleine de cadavres ambulants : les corps décharnés des personnes souffrant de malnutrition sévère. L'aide arrive, mais elle est loin d'atteindre les quantités nécessaires pour faire face à la famine imposée par Israël. L'acheminement de l'aide vers le nord de la bande de Gaza, où elle est la plus nécessaire, est presque impossible, Israël ayant refusé d'ouvrir les points de passage dans le nord à cette fin.
Presque aucun dirigeant américain ou européen n’a condamné la fermeture par Israël du passage de Rafah et ses restrictions sur l’entrée de l’aide, qui sont déployées comme punition pour les échecs du Hamas à localiser les cadavres. La famine des Palestiniens comme arme reste admissible.
Tout cela renforce le racisme anti‑palestinien ancré dans une grande partie des arènes politiques et médiatiques internationales. Les récits sont centrés sur le destin des otages israéliens. Leurs familles comptent. La paix existe si les Israéliens ont leurs victimes rendues et qu’il n’y a plus d’attaques contre eux, mais cela n’inclut pas la fin des tueries ou de la souffrance des Palestiniens.
Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique à Londres.
X : @Doylech
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com