Alors que la 80e session de l’Assemblée générale des Nations unies s’ouvre mardi, il est sans doute temps de faire le point sur cette organisation tentaculaire, huit décennies après sa création.
Née des cendres de deux guerres mondiales, l’ONU semble aujourd’hui tout sauf unie. La tendance est au repli national, et la loi de la jungle l’emporte sur le droit international à chaque tournant.
Les relations entre l’Europe et la Russie n’ont jamais été aussi dégradées depuis le sommet de la guerre froide. Quant à la relation entre les États-Unis et la Russie à l’ère Trump, elle reste difficile à cerner. Les leaders populistes prospèrent, tout comme les mouvements d’extrême droite, souvent marqués par un rejet xénophobe, anti-musulman, et oui, anti-ONU.
Autrefois, on aurait pu imaginer un élan collectif pour sauver l’ONU — des dirigeants proclamant sa valeur essentielle, l’accompagnant d’actions concrètes et, bien sûr, de financements.
Aujourd’hui, les appels humanitaires de l’ONU restent massivement sous-financés. Le secrétaire général António Guterres tentera de faire avancer des réformes financières et d’inciter les pays les plus riches à contribuer davantage, mais l’environnement est particulièrement hostile à une telle mission.
La tendance est au repli national, et la loi de la jungle l’emporte sur le droit international à chaque tournant.
Chris Doyle
Cette année, c’est le pays hôte qui se retrouve sous les projecteurs. Depuis un accord signé en 1947, les États-Unis accueillent le siège principal de l’ONU à New York. C’est à San Francisco, en 1945, que l’Organisation a vu le jour. L’Amérique a toujours été le principal donateur, assurant environ un quart du budget total — soit près de 13 milliards de dollars en 2023.
Le président Donald Trump souhaite réduire drastiquement ces contributions. Lors de son premier mandat, il a ciblé les financements volontaires versés aux agences de l’ONU. Il a également mis fin au financement de l’UNRWA. Aucun président américain ne s’est montré aussi hostile à l’ONU.
Mais cette attaque contre les financements ne fera peut-être pas la une. En amont de ce rassemblement annuel, c’est encore une fois la Palestine qui capte l’attention. L’administration Trump a interdit au président palestinien Mahmoud Abbas, ainsi qu’à plusieurs responsables palestiniens, de se rendre à New York. Cela semble violer l’accord sur le siège de l’ONU, qui contraint les États-Unis à délivrer des visas aux représentants étrangers.
Ce n’est pas une première. En 1988, sous Ronald Reagan, les États-Unis avaient refusé un visa à Yasser Arafat, alors dirigeant de l’OLP, l’empêchant de s’exprimer à l’ONU. L’Assemblée générale avait alors été déplacée en urgence à Genève, par un vote de 154 voix contre 2. La différence, en 2025, c’est que plus de 150 États reconnaissent désormais Abbas comme président d’un État.
Cette situation découle en grande partie de l’opposition de l’administration Trump aux actions d’un nombre croissant de pays qui envisagent de reconnaître un État palestinien ce mois-ci. Parmi eux : la France, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie, la Belgique, Malte et le Portugal. D’autres pourraient suivre. Cette question pourrait bien être la plus explosive de toute l’Assemblée.
Les États-Unis s’opposent aux actions d’un nombre croissant de pays qui envisagent de reconnaître un État palestinien ce mois-ci.
Chris Doyle
À cela s’ajoute l’urgence d’arrêter le génocide à Gaza — la reconnaissance de la Palestine, à elle seule, n’y mettra pas fin. Il est alarmant d’avoir lié la conduite d’Israël à cette reconnaissance. Il serait illusoire d’attendre des avancées majeures sur ce sujet à New York. De nombreux dirigeants préfèreront éviter d’irriter Trump sur plusieurs fronts, et ce, dans sa propre cour. Si des actions sont entreprises, ce sera probablement hors du cadre new-yorkais, ou limité à de nouveaux votes à l’Assemblée générale, qui, comme l’histoire l’a montré, risquent de rester symboliques.
La guerre en Ukraine devrait, elle, rester en toile de fond. Kiev pourrait vouloir internationaliser le sujet, mais Trump et Vladimir Poutine chercheront à imposer leur propre agenda. Trump, qui méprise les institutions multilatérales comme l’ONU, préfère les sommets bilatéraux.
D’autres crises majeures, comme celles affectant des générations entières, pourraient être évoquées — sans doute insuffisamment. Le Soudan a un besoin urgent d’attention, alors que la famine s’y installe et que l’accès humanitaire reste entravé.
Le climat, lui aussi, pourrait être relégué au second plan. Encore une fois, il s’agira peut-être simplement d’éviter de reculer davantage.
Mais malgré l’importance de ces enjeux, les projecteurs médiatiques se braqueront inévitablement sur ce que Trump dira depuis la tribune. Inutile d’être Nostradamus pour prédire qu’il ne fera pas dans la modération, et qu’il utilisera cette plateforme pour revendiquer ses succès et ses intentions. Ce ne sont pas les dirigeants du monde qu’il cherchera à convaincre, mais son électorat national.
Or, il faut élargir le regard. Les conflits doivent être résolus — notamment au Soudan et en Ukraine — et le génocide à Gaza stoppé. L’ONU a besoin d’une réforme en profondeur, mais l’objectif réaliste aujourd’hui est surtout de trouver des moyens pour qu’elle reste perçue comme pertinente. Plus que jamais, elle lutte pour sa survie. Ce combat doit être mené dès maintenant, tout en préparant les fondations pour assurer sa pérennité pour les 80 années à venir.
Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique à Londres.
X : @Doylech
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com