La crise libyenne revient sur le tapis à la suite de la signature d'un nouvel accord avec la Turquie

La ministre libyenne des Affaires étrangères, Najla al-Mangoush (à droite), et le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, lors d'une conférence de presse tenue à Tripoli le 3 octobre 2022 (Photo, AFP).
La ministre libyenne des Affaires étrangères, Najla al-Mangoush (à droite), et le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, lors d'une conférence de presse tenue à Tripoli le 3 octobre 2022 (Photo, AFP).
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Publié le Mardi 18 octobre 2022

La crise libyenne revient sur le tapis à la suite de la signature d'un nouvel accord avec la Turquie

La crise libyenne revient sur le tapis à la suite de la signature d'un nouvel accord avec la Turquie
  • Le protocole d’accord a suscité une vive opposition de la part de plusieurs pays, notamment la France, la Grèce, les États-Unis et l'Allemagne
  • Il faudra attendre la suite des événements pour voir si la communauté internationale reconnaîtra les droits légitimes de la Turquie

Une délégation turque de haut niveau s'est rendue ce mois-ci dans la capitale libyenne, Tripoli, pour une visite officielle. Cette délégation était composée du ministre des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu; du ministre de la Défense, Hulusi Akar; du ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles, Fatih Dönmez; du ministre du Commerce, Mehmet Mus; du directeur de la communication présidentielle, Fahrettin Altun; et du porte-parole de la présidence, Ibrahim Kalin.

Ils se sont entretenus avec une délégation libyenne dirigée par la ministre des Affaires étrangères, Najla Mangoush. Les deux parties ont négocié et signé un protocole d'accord portant sur l’exploration du gaz et du pétrole. Le Premier ministre libyen, Abdelhamid Dabaiba, a pris part à la cérémonie de signature. Ce mémorandum a toutefois suscité une vive opposition de la part de plusieurs pays, notamment la France, la Grèce, les États-Unis et l'Allemagne. Ces derniers l'ont accusé de porter atteinte au droit international, sans préciser quelle disposition du droit international cet accord violait.

La Turquie a réagi en rappelant que cet accord concernait les deux pays et qu’aucun autre pays n’avait le droit d’interférer. Si les pays concernés ont réagi de la sorte, c'est sans doute en raison de la déclaration suivante faite par M. Cavusoglu: «Nous conclurons de nombreux projets portant sur plusieurs domaines afin de traduire la coopération étroite entre la Turquie et la Libye.»

Les pays qui s'opposent à la signature de ce protocole d'accord avec la Turquie ont exigé ce qui suit: tout accord international signé par le gouvernement d'union nationale basé à Tripoli doit impérativement être entériné par la Chambre des représentants qui siège à Tobrouk. Toutefois, le président de la Chambre des représentants, Aguila Salah, a sensiblement changé d'attitude. Avant de se rendre à Ankara en août, il a déclaré aux médias: «En politique, les choses peuvent changer et évoluer. La rivalité ne dure pas indéfiniment. Nos intérêts concordent avec ceux de la Turquie.»

En effet, la situation en Libye ne cesse d’évoluer. Les nouvelles réalités risquent de provoquer de nouveaux changements dans l'attitude des grands responsables. Cependant, la Chambre des représentants semble favoriser la ratification des mémorandums d'entente passés avec la Turquie en 2019, tout comme celui signé il y a deux semaines.

Si elle fait preuve de discernement, la Turquie pourra tirer parti de cette opportunité, notamment parce qu'elle est favorable au gouvernement libyen reconnu par les Nations unies.

Yasar Yakis

Mais la Grèce, les États-Unis, la France et l'Allemagne ont trouvé une nouvelle justification. Ils affirment cette fois-ci que le mandat du Premier ministre Dabaiba est arrivé à échéance le 24 décembre 2021. Il ne dispose donc d'aucune légitimité pour signer un accord avec un pays étranger. Cette bataille de reproches semble se prolonger tant qu'un gouvernement reconnu par la communauté internationale ne sera pas formé en Libye.

La controverse qui prévaut actuellement repose sur des allégations contradictoires. Pour M. Dabaiba, les élections qui étaient prévues en décembre de l'année dernière n'ont pas été tenues pour une multitude de raisons. Il conserve donc son poste de Premier ministre en attendant la tenue d'élections et la fin de la crise constitutionnelle en Libye. La Chambre des représentants, quant à elle, estime que le mandat d’Abdelhamid Dabaiba est arrivé à son terme. Elle a donc élu un nouveau Premier ministre, en l'occurrence Fathi Bachagha, qui occupait le poste de ministre de l'Intérieur au sein du gouvernement de M. Dabaiba.

Durant les périodes agitées de l'Histoire des pays, il arrive que des figures politiques changent de camp ou s'allient avec les adversaires d'hier. Tel est en gros le scénario qui se produit en Libye. La Turquie se réjouit d'entretenir de bonnes relations aussi bien avec Abdelhamid Dabaiba qu'avec M. Bachagha. Mais Fathi Bachagha est d'origine turque, comme le suggère son nom (qui signifie «grand seigneur» en turc). Par conséquent, si elle fait preuve de discernement, la Turquie pourra tirer parti de cette opportunité, notamment parce qu'elle est favorable au gouvernement libyen reconnu par les Nations unies. Elle a en effet signé trois protocoles d'accord avec ce dernier. Ankara a informé le bureau du secrétaire général des Nations unies de deux de ces trois protocoles d'accord, comme le veut la tradition. Néanmoins, la Turquie possède des intérêts légitimes en Libye plus importants que ceux de la France, des États-Unis et de l'Allemagne.

Il faudra attendre la suite des événements pour voir si la communauté internationale reconnaîtra les droits légitimes de la Turquie. Les premiers indices laissent présager que les pays susmentionnés ne ménageront aucun effort pour ignorer les droits de la Turquie, et ce en raison de l'isolement de ce pays au niveau international. Le refus d'Ankara d'appuyer l'Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) dans ses sanctions contre la Russie encouragera davantage la communauté transatlantique à s'opposer à la Turquie dans les zones grises.

Le ministre grec des Affaires étrangères, Nikos Dendias, s'est précipité au Caire pour persuader l'Égypte de soutenir la position de son pays qui s’oppose au protocole d'accord signé entre la Turquie et le gouvernement de Tripoli au sujet des hydrocarbures.

Dans le monde arabe, un sage mythique du nom de Joha réglait les problèmes épineux de la manière la plus simple qui soit. On raconte que deux hommes se disputaient un jour devant Joha. Après avoir écouté le premier, Joha lui dit: «Vous avez raison.» Il écouta le second et lui dit qu'il avait lui aussi raison. Ébahie, la femme de Joha s'exclama: «Joha, tu as dit aux deux hommes qu'ils avaient raison. Mais quel est donc ce jugement?» Joha se tourna alors vers sa femme et lui dit: «Toi aussi, tu as raison.» La Libye traverse une crise constitutionnelle qui pourrait également inciter à déclarer aux trois parties qu'elles ont toutes raison.

 

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie, et membre fondateur du parti AK au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com