La Turquie renforce son arsenal contre la presse avant les élections

Des personnes participent à une manifestation contre l'arrestation de neuf journalistes travaillant pour des médias kurdes, dont l'agence de presse Mezopotamya à Istanbul, le 31 octobre 2022. (Photo, AFP)
Des personnes participent à une manifestation contre l'arrestation de neuf journalistes travaillant pour des médias kurdes, dont l'agence de presse Mezopotamya à Istanbul, le 31 octobre 2022. (Photo, AFP)
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Publié le Vendredi 02 décembre 2022

La Turquie renforce son arsenal contre la presse avant les élections

  • En octobre, le Parlement turc a adopté une nouvelle loi qui punit la diffusion de «fausse nouvelle» jusqu'à trois ans de prison, sans définir ce qui peut constituer une fausse information
  • La loi sur la désinformation permet aux autorités de suspendre internet ou de restreindre l'accès aux réseaux sociaux comme après l'attentat du 13 novembre à Istanbul (six morts, 81 blessés)

ISTANBUL: "Une arme de plus contre nous": à quelques mois d'élections cruciales en Turquie, le gouvernement a renforcé son arsenal répressif déjà bien garni contre la presse et l'opposition, s'inquiètent journalistes et activistes.

"La loi sur la désinformation, c'est une arme de plus contre nous dans l'arsenal du gouvernement", déplore Gokhan Bicici, rédacteur en chef du site d'information indépendant dokuz8NEWS, à Istanbul.

"Ils avaient déjà des armoires pleines de fusils et des dizaines d'outils et d'armes à leur disposition" pour réduire au silence les médias, indique-t-il à l'AFP depuis son bureau sur la rive asiatique de la ville.

Il cite notamment "l'insulte au président", accusation qui a permis ces dernières années de poursuivre des dizaines de milliers de voix critiques - étudiants, sportifs et même une ancienne Miss Turquie.

En octobre, le Parlement turc a adopté une nouvelle loi qui punit la diffusion de "fausse nouvelle" jusqu'à trois ans de prison, sans définir ce qui peut constituer une fausse information...

Le parti AKP (islamo-conservateur) et ses alliés nationalistes du MHP, majoritaires au Parlement, ont voté des amendements jugés "dangereux" et même "dystopiques" par les défenseurs des droits civils.

«Pouvoir discrétionnaire»

Pour le spécialiste du droit numérique Yaman Akdeniz, cette loi accorde "un large pouvoir discrétionnaire aux autorités" avec un risque patent d'arbitraire en période pré-électorale.

"Il n'est donc pas surprenant que la première personne poursuivie à ce titre soit le chef du principal parti d'opposition", relève-t-il.

Probable candidat à la présidentielle de juin 2023 face au chef de l'Etat Recep Tayyip Erdogan, Kemal Kilicdaroglu, patron du CHP, est poursuivi pour avoir accusé sur Twitter le gouvernement d'être responsable de "l'épidémie de méthamphétamine" qui frappe la Turquie.

M. Erdogan a ardemment défendu la loi, dénonçant les réseaux sociaux "sans limite, ni moralité, ni éthique qui attisent la polarisation et le feu de la haine".

Il s'était pourtant lui-même appuyé sur Twitter pour mobiliser ses partisans lors de la tentative de coup d'Etat de juillet 2016.

Avec la loi sur la désinformation, "le gouvernement pourra exercer un contrôle considérable sur les médias sociaux", redoute Emma Sinclair-Webb, représentante de Human Rights Watch.

"La loi (les) place dans une position très difficile: soit ils se conforment et suppriment des contenus; soit ils divulguent les données de leurs utilisateurs sous peine d'énormes amendes", détaille-t-elle.

Entré en vigueur alors que la cote du chef de l'Etat était au plus bas à cause de la crise économique et d'une inflation dépassant les 80%, le texte permet aux autorités de suspendre internet ou de restreindre l'accès aux réseaux sociaux comme après l'attentat du 13 novembre à Istanbul (six morts, 81 blessés).

«Davantage de pression»

Dans le viseur également, les journalistes et médias kurdes: Fatma Demirelli, directrice de l'ONG de soutien à la liberté d'expression P24, cite "de nouvelles arrestations visant un grand nombre de journalistes depuis cet été".

"Nous craignons que cette nouvelle loi (...) n'aggrave encore la situation", assure-t-elle à l'AFP.

Fin octobre, neuf journalistes ont été interpellés à Istanbul et d'autres villes du pays dont Diyarbakir, dans le sud-est à majorité kurde, accusés de liens avec des mouvements qualifiés de "terroristes", comme le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) auquel les autorités ont attribué l'attentat d'Istanbul.

Ce qui a porté à 76 le nombre de journalistes derrière les barreaux en Turquie, selon le décompte de la plateforme de surveillance de la liberté de la presse, Expression Interrupted.

Reporters Sans Frontières classe pour sa part la Turquie au 149e rang - sur 180 pays - de son index sur la liberté de la presse.

Fatos Erdogan, journaliste de dokuz8NEWS, affirme que les reportages sont de plus en plus difficiles.

"Nous avons déjà été victimes de violences mais j'ai le sentiment qu'il y aura davantage de pression", croit-elle, se disant "inquiète pour notre sécurité".

"Poursuites et menaces font partie de notre quotidien", confirme son rédacteur en chef, Gokhan Bicici.

"Désormais, se montrer prudents et éviter autant que possible d'être une cible est la principale préoccupation des journalistes en Turquie, même pour les plus libres d'entre eux", ajoute-t-il.


Un an après la chute d’Assad, les Syriens affichent un fort soutien à al-Chareh

Des citoyens syriens brandissent leurs drapeaux nationaux lors des célébrations marquant le premier anniversaire du renversement de l'ancien président Bachar al-Assad à Damas, lundi. (AP)
Des citoyens syriens brandissent leurs drapeaux nationaux lors des célébrations marquant le premier anniversaire du renversement de l'ancien président Bachar al-Assad à Damas, lundi. (AP)
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  • Un sondage révèle un optimisme croissant et un large soutien aux progrès du gouvernement après la chute d’Assad
  • L’Arabie saoudite apparaît comme le pays étranger le plus populaire, Trump reçoit également un soutien marqué

LONDRES : Alors que les Syriens ont célébré cette semaine le premier anniversaire de la chute de Bachar Al-Assad, une enquête menée dans le pays révèle un soutien massif au nouveau président et place l’Arabie saoudite comme principal partenaire international apprécié.

L’ancien président avait fui le pays le 8 décembre 2024, après une offensive éclair de l’opposition jusqu’à Damas, mettant fin à 14 ans de guerre civile.

La campagne était menée par Ahmad al-Chareh, aujourd’hui président du pays, qui s’efforce de stabiliser la Syrie et de rétablir des relations avec ses partenaires internationaux.

Ces efforts ont été salués dans un sondage récemment publié, montrant que 81 % des personnes interrogées ont confiance dans le président et 71 % dans le gouvernement national.

Les institutions clés bénéficient également d’un fort soutien : plus de 70 % pour l’armée et 62 % pour les tribunaux et le système judiciaire.

L’enquête a été menée en octobre et novembre par Arab Barometer, un réseau de recherche américain à but non lucratif.

Plus de 1 200 adultes sélectionnés aléatoirement ont été interrogés en personne à travers le pays sur une large gamme de sujets, notamment la performance du gouvernement, l’économie et la sécurité.

Le large soutien exprimé envers al-Chareh atteint un niveau enviable pour de nombreux gouvernements occidentaux, alors même que la Syrie fait face à de profondes difficultés.

Le coût de la reconstruction dépasse les 200 milliards de dollars selon la Banque mondiale, l’économie est dévastée et le pays connaît encore des épisodes de violence sectaire.

Al-Chareh s’efforce de mettre fin à l’isolement international de la Syrie, cherchant l’appui de pays de la région et obtenant un allègement des sanctions américaines.

Un soutien clé est venu d’Arabie saoudite, qui a offert une aide politique et économique. Le sondage place le Royaume comme le pays étranger le plus populaire, avec 90 % d’opinions favorables.

Le Qatar recueille lui aussi une forte popularité (plus de 80 %), suivi de la Turquie (73 %).

La majorité des personnes interrogées — 66 % — expriment également une opinion favorable envers les États-Unis, saluant la décision du président Donald Trump d’assouplir les sanctions et l’impact attendu sur leur vie quotidienne.

Après sa rencontre avec al-Chareh à Washington le mois dernier, Trump a annoncé une suspension partielle des sanctions, après en avoir déjà assoupli plusieurs volets.

Le sondage montre que 61 % des Syriens ont une opinion positive de Trump — un niveau supérieur à celui observé dans une grande partie du Moyen-Orient.

En revanche, l’enthousiasme est bien moindre concernant les efforts américains pour normaliser les relations entre la Syrie et Israël.

Seuls 14 % soutiennent cette démarche, et à peine 4 % disent avoir une opinion favorable d’Israël.

Lors du chaos provoqué par la chute d’Assad, l’armée israélienne a occupé de nouveaux territoires dans le sud de la Syrie et a mené de fréquentes attaques au cours de l’année écoulée.

Plus de 90 % des Syriens considèrent l’occupation israélienne des territoires palestiniens et les frappes contre l’Iran, le Liban et la Syrie comme des menaces critiques pour leur sécurité.

Dans Foreign Policy, Salma Al-Shami et Michael Robbins (Arab Barometer) écrivent que les résultats de l’enquête donnent des raisons d’être optimiste.

« Nous avons constaté que la population est pleine d’espoir, favorable à la démocratie et ouverte à l’aide étrangère », disent-ils. « Elle approuve et fait confiance à son gouvernement actuel. »

Mais ils notent aussi plusieurs sources d’inquiétude, notamment l’état de l’économie et la sécurité interne.

Le soutien au gouvernement chute nettement dans les régions majoritairement alaouites.

La dynastie Assad, au pouvoir pendant plus de 50 ans, était issue de la minorité alaouite, dont les membres occupaient de nombreux postes clés.

L’économie reste la principale préoccupation : seuls 17 % se disent satisfaits de sa performance, et beaucoup s’inquiètent de l’inflation, du chômage et de la pauvreté.

Quelque 86 % déclarent que leurs revenus ne couvrent pas leurs dépenses, et 65 % affirment avoir eu du mal à acheter de la nourriture le mois précédent.

La sécurité préoccupe aussi : 74 % soutiennent les efforts du gouvernement pour collecter les armes des groupes armés et 63 % considèrent l’enlèvement comme une menace critique.

À l’occasion de l’anniversaire de la chute d’Assad, lundi, al-Chareh a affirmé que le gouvernement œuvrait à construire une Syrie forte, à consolider sa stabilité et à préserver sa souveraineté.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Israël mène une série de frappes contre le Hezbollah au Liban

Des soldats libanais debout sur un véhicule militaire à Alma Al-Shaab, près de la frontière avec Israël, dans le sud du Liban. (AFP)
Des soldats libanais debout sur un véhicule militaire à Alma Al-Shaab, près de la frontière avec Israël, dans le sud du Liban. (AFP)
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  • Israël a frappé vendredi plusieurs sites du Hezbollah au sud et à l’est du Liban, ciblant notamment un camp d’entraînement de sa force d’élite al-Radwan, malgré le cessez-le-feu conclu en novembre 2024
  • Ces raids interviennent alors que l’armée libanaise doit achever le démantèlement des infrastructures militaires du Hezbollah le long de la frontière israélienne d’ici le 31 décembre

BEYROUTH: Israël a mené une série de frappes aériennes contre le sud et l'est du Liban vendredi matin, selon les médias officiels, l'armée israélienne affirmant viser des objectifs du Hezbollah pro-iranien dont un camp d'entrainement.

Malgré un cessez-le-feu conclu en novembre 2024 avec le groupe islamiste libanais, Israël continue de mener des attaques régulières contre le Hezbollah, l'accusant de se réarmer.

Selon l'Agence nationale d'information (Ani), les raids de vendredi, qualifiés en partie de "violents", ont visé une dizaine de lieux, certains situés à une trentaine de km de la frontière avec Israël.

Dans un communiqué, l'armée israélienne a affirmé avoir "frappé un complexe d'entrainement" de la force d'élite du Hezbollah, al-Radwan, où des membres de la formation chiite apprenaient "l'utilisation de différents types d'armes", devant servir dans "des attentats terroristes".

L'armée israélienne a également "frappé des infrastructures militaires supplémentaires du Hezbollah dans plusieurs régions du sud du Liban", a-t-elle ajouté.

L'aviation israélienne avait déjà visé certains des mêmes sites en début de semaine.

Ces frappes interviennent alors que l'armée libanaise doit achever le démantèlement le 31 décembre des infrastructures militaires du Hezbollah entre la frontière israélienne et le fleuve Litani, situé à une trentaine de km plus au nord, conformément à l'accord de cessez-le-feu.

Les zones visées vendredi se trouvent pour la plupart au nord du fleuve.

Le Hezbollah a été très affaibli par la guerre, avec notamment l'assassinat de son chef historique, Hassan Nasrallah, par une frappe israélienne en septembre 2024 à Beyrouth.

Depuis, les Etats-Unis ont accru la pression sur les autorités libanaises pour désarmer le groupe.


Pluies diluviennes et vents puissants ajoutent au chaos qui frappe Gaza

Sous des trombes d'eau, l'océan de toile et de bâches s'est transformé en marécage. Tous les auvents dégoulinent à grosses gouttes. (AFP)
Sous des trombes d'eau, l'océan de toile et de bâches s'est transformé en marécage. Tous les auvents dégoulinent à grosses gouttes. (AFP)
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  • A al-Zawaida, dans le centre de la bande de Gaza, des mares forcent les gens à marcher dans l'eau stagnante, qui leur arrive aux chevilles, ou à sauter d'un îlot de sable émergé à un autre
  • Selon un rapport de l'ONU, 761 sites, abritant environ 850.000 déplacés, présentent un risque élevé d'inondation dans la bande de Gaza

GAZA: Pelle à la main, des Palestiniens portant des sandales en plastique et des pulls fins creusent des tranchées autour de leurs tentes dans le quartier de Zeitoun, à Gaza-ville, rempart dérisoire face aux pluies torrentielles qui s'abattent depuis des heures.

Dès mercredi soir, la tempête Byron a balayé le territoire palestinien, bordé par la mer Méditerranée, inondant les campements de fortune et ajoutant à la détresse de la population, déplacée en masse depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, le 7 octobre 2023.

A Zeitoun, le campement planté au milieu des décombres a des allures cauchemardesques, sous un ciel chargé de gros nuages gris et blancs.

Sous des trombes d'eau, l'océan de toile et de bâches s'est transformé en marécage. Tous les auvents dégoulinent à grosses gouttes.

Accroupis sur des briques posées dans la boue, un groupe d'enfants mangent à même des faitouts en métal devant l'ouverture d'un petit abri en plastique, en regardant le ciel s'abattre sur le quartier.

"Nous ne savions pas où aller" 

A al-Zawaida, dans le centre de la bande de Gaza, des mares forcent les gens à marcher dans l'eau stagnante, qui leur arrive aux chevilles, ou à sauter d'un îlot de sable émergé à un autre.

"La nuit dernière a été terrible pour nous et pour nos enfants à cause des fortes pluies et du froid, les enfants ont été trempés, les couvertures et les matelas aussi. Nous ne savions pas où aller", raconte à l'AFP Souad Mouslim, qui vit sous une tente avec sa famille.

"Donnez-nous une tente décente, des couvertures pour nos enfants, des vêtements à porter, je le jure, ils ont les pieds nus, ils n'ont pas de chaussures", implore-t-elle.

"Jusqu'à quand allons-nous rester comme ça? C'est injuste", dit-elle en élevant la voix pour couvrir le bruit des gouttes frappant la toile.

Selon un rapport de l'ONU, 761 sites, abritant environ 850.000 déplacés, présentent un risque élevé d'inondation dans la bande de Gaza.

Le territoire connait généralement un épisode de fortes pluies en fin d'automne et en hiver, mais la dévastation massive due à la guerre l'a rendu plus vulnérable.

"La situation est désespérée", résume Chourouk Mouslim, une déplacée originaire de Beit Lahia, dans le nord de Gaza, elle aussi sous une tente à al-Zawaida.

"Nous ne pouvons même pas sortir pour allumer un feu" pour cuisiner ou se chauffer, déplore-t-elle, avant d'ajouter qu'elle n'a de toutes les manières ni bois, ni gaz.

Dans ce territoire dont les frontières sont fermées, où l'aide humanitaire arrive en quantité insuffisante selon l'ONU, malgré l'entrée en vigueur d'une trêve le 10 octobre, les pénuries empêchent une population déjà démunie de faire face à ce nouveau problème.

Lointaine reconstruction 

Sous les tentes, les plus chanceux bâchent le sol ou le recouvrent de briques pour empêcher que le sable humide ne détrempe leurs affaires. Dans les zones où le bitume n'a pas été arraché, des bulldozers continuent de déblayer les décombres des bâtiments détruits.

Beaucoup de gens restent debout, à l'entrée des abris, plutôt que de s'asseoir une surface mouillée.

"La tempête a eu un impact grave sur la population, des bâtiments se sont effondrés et une grande partie des infrastructures étant détruite, elles ne permettent plus d'absorber cet important volume de pluie", note Mahmoud Bassal, le porte-parole de la Défense civile de Gaza.

Cette organisation, qui dispense des premiers secours sous l'autorité du Hamas, a affirmé que la tempête avait causé la mort d'une personne, écrasée par un mur ayant cédé. Elle a ajouté que ses équipes étaient intervenues après l'effondrement partiel de trois maisons durant les fortes pluies.

La Défense civile a averti les habitants restés dans des logements partiellement détruits ou fragilisés par les bombardements qu'ils se mettaient en danger.

"Les tentes, c'est inacceptable", estime M. Bassal, "ce qui doit être fourni maintenant, ce sont des abris qu'on peut déplacer, équipés de panneaux solaires, avec deux pièces, une salle de bain et toutes les installations nécessaires pour les habitants. Seulement à ce moment-là, la reconstruction pourra commencer".