Les divisions politiques: une menace majeure pour le régime iranien

Ebrahim Raïssi prend la parole lors d’un rassemblement à l’occasion du 43e anniversaire de la révolution islamique à Téhéran, en Iran, le 10 février 2022 (Photo, Reuters).
Ebrahim Raïssi prend la parole lors d’un rassemblement à l’occasion du 43e anniversaire de la révolution islamique à Téhéran, en Iran, le 10 février 2022 (Photo, Reuters).
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Publié le Mardi 20 décembre 2022

Les divisions politiques: une menace majeure pour le régime iranien

Les divisions politiques: une menace majeure pour le régime iranien
  • Des personnalités politiques majeures ont commencé à critiquer l’establishment après la mort de Mahsa Amini, comme l’ex-président Mohammed Khatami
  • Un grand nombre de personnalités publiques de haut niveau, de célébrités et d’athlètes soutiennent les manifestants et se retournent également contre le régime

Le régime iranien observe plusieurs signes d’alerte sur le plan intérieur qui pourraient mettre en danger son maintien au pouvoir s’ils ne sont pas résolus ou traités de manière adéquate.

Tout d’abord, il est important de souligner que le régime iranien est traditionnellement un establishment monolithique, dans lequel les différents partis et personnalités politiques sont unanimes lorsqu’il s’agit de questions majeures au niveau national, régional et mondial. Tous les différents partis et personnalités politiques constituent une partie essentielle de la classe politique. Nombre d’entre eux, y compris l’ancien président Hassan Rohani, étaient de fervents partisans ou des pères fondateurs de la théocratie iranienne.

En outre, pour être un homme politique en Iran, il faut prouver fermement sa loyauté à l’égard des principaux piliers de la classe politique. Velayat-e faqih est le pilier central de la pensée politique chiite exposée par feu l’ayatollah Khomeini. Il impose au peuple un système politique fondé sur la tutelle et exige qu’une figure religieuse chiite dirige la nation.

De surcroît, une autre condition essentielle pour faire partie de l’appareil étatique, pour se présenter aux élections ou pour être un homme politique est d’approuver les règles de base du soutien et de l’obéissance au Guide suprême, ainsi que la mission du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et d’autres forces militaires dont l’objectif est de diffuser les doctrines révolutionnaires et religieuses de l’Iran à l’intérieur du pays et au-delà de ses frontières.

Si, à un moment ou à un autre, une personne montre ne serait-ce qu’un léger signe de remise en question, de contestation ou de désobéissance à ces règles, ou si sa loyauté envers le régime est mise en doute, elle s’expose à de graves conséquences, notamment l’emprisonnement, l’assignation à résidence ou l’interdiction de se présenter à des élections ou même de travailler pour l’establishment théocratique.

Néanmoins, cette union semble désormais se détériorer à la suite des manifestations qui ont éclaté en septembre en raison de la mort de Mahsa Amini. Des personnalités politiques majeures ont commencé à critiquer l’establishment. Par exemple, la semaine dernière, l’ex-président Mohammed Khatami a mis en garde le gouvernement et s’est rangé aux côtés des manifestants qui se soulèvent contre le régime théocratique.

«Je conseille aux responsables de prendre en compte la présence (des manifestants) et, au lieu de la traiter de manière inappropriée, d’adopter une approche plus souple, de les écouter et, avec leur aide, de reconnaître les mauvais aspects de la gouvernance avant qu’il ne soit trop tard pour qu’ils s’orientent vers une bonne gouvernance», a déclaré M. Khatami.

«Il ne faut pas accepter que la liberté et la sécurité soient placées l’une contre l’autre et que, par conséquent, la liberté soit piétinée sous prétexte de maintenir la sécurité, ou d’assurer la sécurité, qui est une condition pour l’établissement de l’ordre et du bon ordre dans la société», a-t-il ajouté. M. Khatami a également approuvé le slogan populaire «Femme, vie, liberté», le qualifiant de beau message «qui témoigne du mouvement vers un avenir meilleur».

Outre les personnalités politiques, certains partis appellent le régime à changer de politique avant qu’il ne soit trop tard. En octobre, le parti réformateur Démocratie a publié une déclaration urgente demandant une refonte du système: «Il existe un besoin indéniable de formuler une nouvelle Constitution selon les exigences du jour et en accord avec les nouvelles demandes du peuple (...). Ce n’est qu’en organisant un référendum pour modifier la Constitution, inclure les demandes du peuple et résoudre les ambiguïtés que nous pouvons espérer changer la situation, satisfaire le peuple et aussi créer un espoir pour l’avenir.»

Le fait qu’un grand nombre de personnalités publiques de haut niveau, de célébrités et d’athlètes soutiennent les manifestants et se retournent contre le régime constitue un autre signe d’alerte. Ce soutien est sans précédent et c’est pourquoi le régime a menacé les célébrités, en particulier les actrices qui apparaissent en public sans le voile obligatoire. En septembre, Mohsen Mansouri, gouverneur de la province de Téhéran, a averti que le gouvernement aurait affaire aux «célébrités qui attisent les émeutes et à celles qui signent des contrats (lucratifs) avec la radio et la télévision, mais qui, en période d’émeutes, prennent position contre la sécurité et l’ordre. Bien sûr, il se peut que nous ne traitions pas certains cas immédiatement pour des raisons matérielles, mais il ne fait aucun doute que nous les traiterons après quelques jours et au moment opportun.»

«Un grand nombre de personnalités publiques de haut niveau, de célébrités et d’athlètes soutiennent les manifestants et se retournent contre le régime»

 

Dr Majid Rafizadeh

Enfin, certains proches des plus hautes autorités iraniennes prennent également leurs distances avec les dirigeants. Un exemple frappant est la sœur du Guide suprême, Ali Khamenei, Badri Hosseini Khamenei, qui a critiqué ce mois-ci l’ensemble de la classe politique et a appelé au renversement du «califat despotique» de son frère. Elle a écrit dans une lettre ouverte: «Le régime n’a apporté que souffrance et oppression à l’Iran et aux Iraniens. J'espère voir bientôt la victoire du peuple et le renversement de cette tyrannie au pouvoir en Iran.»

En somme, il s’agit d’un avertissement important pour le régime iranien: des divisions apparaissent au sein de l’establishment théocratique, et des célébrités et des personnalités de haut niveau se retournent de plus en plus contre la classe politique et affichent leur soutien aux manifestants.

 

Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain diplômé de Harvard. Twitter: @Dr_Rafizadeh

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com