Un dilemme américano-israélien au moment où la voie diplomatique avec l’Iran se referme rapidement

(Photo: AFP)
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Publié le Dimanche 22 janvier 2023

Un dilemme américano-israélien au moment où la voie diplomatique avec l’Iran se referme rapidement

Un dilemme américano-israélien au moment où la voie diplomatique avec l’Iran se referme rapidement
  • Ces derniers mois, les tensions entre l’Iran et d’autres zones de la communauté internationale, notamment les États-Unis et l’Europe, se sont intensifiées, et pas seulement autour de la question nucléaire
  • Les États-Unis et Israël aimeraient voir les manifestations actuelles à travers l’Iran se transformer en une révolution à part entière qui conduirait au renversement du régime

Au début de ce mois, les forces aériennes américaines et israéliennes ont mené un exercice conjoint à la base aérienne de Nevatim, dans le sud d’Israël. Les avions de combat américains F-15, ainsi que les avions de combat furtifs F-35 israéliens, ont simulé ce qui a été décrit comme des frappes sur des cibles situées au plus profond du territoire ennemi. À la lumière de l’impasse au niveau de la relance de l’accord sur le nucléaire iranien, cette phrase n’est rien de plus qu’un euphémisme pour les deux forces aériennes menant une attaque contre les installations nucléaires de l’Iran et d’autres sites stratégiques dans ce pays.

Ces derniers mois, les tensions entre l’Iran et d’autres zones de la communauté internationale, notamment les États-Unis et l’Europe, se sont intensifiées, et pas seulement autour de la question nucléaire. Cela mène à la conclusion, certes dangereuse, que la voie des négociations diplomatiques se referme rapidement, remplacée par des accrochages continus. Reste à savoir quelle sera l’ampleur du conflit et s’il se soldera par une confrontation militaire directe.

Lors d’une conférence de presse récente, le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a été catégorique en déclarant que le plan d’action global conjoint, ou accord sur le nucléaire iranien, n’est pas une priorité pour Washington en termes de calendrier ou de contexte. Mais il a également mis en garde Téhéran, insistant que la position de l’administration de Washington est claire – «que l’Iran n’obtienne jamais l’arme nucléaire». Pour souligner la détermination de Joe Biden à arrêter les avancées de l’Iran vers une capacité militaire nucléaire, M. Sullivan s’est rendu en Israël la semaine dernière et a rencontré les dirigeants politiques et militaires du pays pour discuter de stratégies visant non seulement à éviter l’évolution de la menace nucléaire de Téhéran mais également à contrer ses autres activités menaçantes dans la région.

L’Iran se positionne de plus en plus comme un État paria, en recourant à la brutalité contre son propre peuple sur le plan intérieur, en fournissant des «drones kamikazes» à la Russie pour qu’elle les utilise contre l’Ukraine et en jouant un rôle préjudiciable dans des endroits comme le Yémen, la Syrie et le Liban, ainsi qu’au sein du conflit israélo-palestinien. Un facteur central dans le règlement des conflits internationaux par la négociation est de favoriser la confiance et la bonne volonté mutuelles. Pendant les mandats des présidents plus pragmatiques comme Mohammed Khatami et surtout Hassan Rohani, lorsque l’accord sur le nucléaire a été conclu, la communauté internationale, en particulier l’Occident, était prête à prendre des risques avec ses interlocuteurs iraniens,  puisque dans le contexte des réalités politiques complexes à Téhéran, l’accord avait également reçu la bénédiction des éléments les plus radicaux de la direction, dont le guide suprême Ali Khamenei.

Les membres du groupe P5+1 du Conseil de sécurité de l’ONU s’étaient implicitement mis d’accord sur le fait que, pour le régime de Téhéran, l’accord concerne non seulement la levée des sanctions internationales à son encontre mais aussi qu’un tel développement était une étape de plus vers l’autonomisation des éléments les plus pragmatiques au sein du régime, puisqu’ils seraient à l’origine de la levée des sanctions et de l’amélioration de la situation économique du pays qui en résulterait.

Les États-Unis et Israël aimeraient voir les manifestations actuelles à travers l’Iran se transformer en une révolution à part entière qui conduirait au renversement du régime.

- Yossi Mekelberg

Cette deuxième hypothèse est difficile à corroborer ou à réfuter, puisque le retrait peu perspicace des États-Unis de l’accord sur le nucléaire sous l’administration Trump a changé la dynamique de cet accord et conduit à l’accélération du projet nucléaire iranien. Avec cette triste saga, les États-Unis et Israël font face à un dilemme crucial: leur engagement à empêcher l’Iran de développer des armes nucléaires mérite-t-il le recours direct à la force militaire, ou peut-il être atteint par des sanctions, pes pressions diplomatiques et des opérations clandestines?

En Israël, il y a un nouveau gouvernement – le plus belliciste de son histoire – qui fait déjà face à une profonde crise constitutionnelle. À l’exception du Premier ministre Benjamin Netanyahou, dont les perspectives au Moyen-Orient sont de contenir l’Iran et en particulier ses ambitions nucléaires, le reste du gouvernement s’intéresse davantage à la politique intérieure d’Israël et à ses relations avec les Palestiniens. Cela devrait donner à Netanyahou plus de liberté pour définir sa stratégie vis-à-vis de l’Iran et pas seulement sur la question nucléaire. II est possible qu’Israël affronte l’Iran et son allié le Hezbollah en Syrie et au Liban afin de les empêcher de renforcer davantage leur bastion en Syrie et de continuer à armer leur allié libanais avec des armes plus sophistiquées. Cela est une véritable source de préoccupation, puisque l’État hébreu pourrait se retrouver dans une confrontation l’opposant au Hezbollah, avec les encouragements de Téhéran.

De même, la « guerre entre les guerres », qui implique un large éventail d’opérations secrètes, y compris des assassinats et des cyberattaques, devrait se poursuivre, mais la question est de savoir si celles-ci devraient s’intensifier, non seulement à mesure que l’Iran se rapproche de la capacité militaire nucléaire mais aussi en raison des efforts de Netanyahou pour détourner l’attention de ses propres difficultés intérieures, en particulier son procès pour corruption.

Joe Biden et son administration ont peu confiance en Netanyahou. Le président était l’adjoint d’Obama lorsque l’accord sur le nucléaire a été signé et que Netanyahou, alors Premier ministre d’Israël, était intervenu brutalement dans la politique intérieure américaine pour tenter d’arrêter cet accord nucléaire de 2015. Pourtant, si les États-Unis décident de mener une opération militaire contre l’Iran, les capacités d’Israël dans les airs et au niveau du renseignement pourraient être très utiles. Cependant, cela pourrait également compliquer la scène politique régionale, surtout si les éléments antidémocratiques en Israël renforcent davantage leur emprise sur la société et la politique du pays, et que leur gouvernement se rapproche de l’annexion, bien que de facto, de la Cisjordanie.

Au même moment, Téhéran sous-estime l’antagonisme qu’il crée en soutenant Moscou dans sa guerre injustifiée et brutale contre l’Ukraine et par sa propre brutalité contre ceux qui participent aux manifestations légitimes contre la mort de Mahsa Amini. Des centaines de personnes ont déjà été tuées par les forces de sécurité ou exécutées à l’issue de procès sommaires. La pendaison plus tôt cette semaine de l’Irano-britannique Ali Reza Akbari, qualifiée par le ministre britannique des Affaires étrangères, James Cleverly, d’«acte barbare qui mérite d’être condamné avec la plus grande fermeté possible», est un nouvel élan pour que la communauté internationale réponde de manière décisive.

Les États-Unis et Israël aimeraient voir les manifestations actuelles à travers l’Iran se transformer en une révolution à part entière qui conduirait au renversement du régime. Mais il est peu probable que cela se produise bientôt, puisque les manifestations n’ont pas réussi à rassembler suffisamment d’élan et de personnes. Cela pousse les États-Unis, Israël, et bien d’autres, à se demander quel comportement adopter vis-à-vis du régime et pas seulement sur la question nucléaire. Pour l’instant, on ne sait pas si l’un ou l’autre, ou même les deux, ont une réponse adéquate au-delà de quelques mises au point qui pourraient s’avérer insuffisantes.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com