Tour de chauffe sur les retraites pour les députés à partir de lundi

La Première ministre française Elisabeth Borne prononce un discours lors d'une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale à Paris, le 17 janvier 2023. (Photo de Thomas SAMSON / AFP)
La Première ministre française Elisabeth Borne prononce un discours lors d'une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale à Paris, le 17 janvier 2023. (Photo de Thomas SAMSON / AFP)
Short Url
Publié le Samedi 28 janvier 2023

Tour de chauffe sur les retraites pour les députés à partir de lundi

  • C'est le coup d'envoi des travaux pratiques à l'Assemblée, avant l'épreuve dans l'hémicycle à compter du 6 février sur la réforme phare du nouveau quinquennat Macron
  • Au menu, dès l'article 1er figure la suppression progressive de la plupart des régimes spéciaux existants, dont ceux de la RATP et des industries électriques et gazières

PARIS: Les députés s'emparent lundi en commission du très contesté projet de réforme des retraites, pour un galop d'essai sur 7.000 amendements, sous l'oeil des opposants qui organisent mardi un temps fort de mobilisation dans la rue.

C'est le coup d'envoi des travaux pratiques à l'Assemblée, avant l'épreuve dans l'hémicycle à compter du 6 février sur la réforme phare du nouveau quinquennat Macron.

A partir de 9H30 lundi, la soixantaine de parlementaires de la commission des Affaires sociales va plancher, article par article, sur le texte qui prévoit un recul de l'âge légal de 62 à 64 ans et une accélération de l'allongement de la durée de cotisation.

Au menu, dès l'article 1er figure la suppression progressive de la plupart des régimes spéciaux existants, dont ceux de la RATP et des industries électriques et gazières.

Le temps est compté au Palais Bourbon. Les députés ont jusqu'à mercredi 20H pour se prononcer sur les quelque 7.000 amendements déposés, dont près de 6.000 par l'alliance de gauche Nupes.

C'est loin des 22.000 amendements en commission sur la précédente tentative de réforme de 2020, mais les députés risquent là aussi de ne pouvoir aller au bout.

Les délais resserrés sont imposés par le vecteur choisi par l'exécutif, un projet de budget rectificatif de la Sécu, qui limite à cinquante jours au total les débats au Parlement.

La présidente de la commission Fadila Khattabi (Renaissance) en "appelle à la responsabilité des uns et des autres" pour avancer mais des cadres de la majorité craignent que certains cherchent à "bordéliser".

Un avant-goût a été donné vendredi en commission des Finances, qui a donné un avis favorable au projet de loi après quelques accrocs entre LFI, RN et macronistes.

Les échanges pourraient être particulièrement tendus mardi, jour de  mobilisation interprofessionnelle nationale.

Après celle du 19 janvier, qui a vu de 1 à 2 millions de personnes, selon les sources, manifester contre la réforme, les syndicats espèrent faire au moins aussi bien, en vue d'une montée en puissance du mouvement.

Négliger ces "mobilisations d'ampleur (...) serait une faute" pour le gouvernement comme pour le Parlement, met en garde le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, samedi dans un entretien au Monde.

Les parlementaires, nombreux à avoir rencontré les leaders de la CGT ou de la CFDT, et à avoir reçu des amendements des syndicats, sont sous pression alors que l'opposition des Français s'accroît selon les sondages.

Riposte graduée

La gauche étrille un projet "solitaire, injuste et injustifié" voire "anti-femmes". Ses élus s'opposent en bloc aux 64 ans et récusent faire de l'obstruction, en évitant les amendements de pure forme. "On va adapter notre tactique au fur et à mesure, on veut que soit discuté l'article 7" sur l'âge, indique l'Insoumise Clémentine Autain.

Les députés RN combattent le report de l'âge, mais réservent leurs forces pour l'hémicycle.

De son côté, la droite, dont les voix sont cruciales pour que le texte soit adopté, fait monter les enchères. Les LR ont des demandes pour les femmes aux carrières hachées, ceux ayant commencé à travailler à 20 ans, sur les droits familiaux et encore un report de l'entrée en vigueur de la réforme.

La majorité présidentielle n'est pas en reste, mais a été priée de réfréner ses ardeurs pour tenir l'équilibre financier de la réforme. L'idée de contraintes plus fortes autour de l'emploi des seniors dans les grandes entreprises fait cependant son chemin chez Renaissance.

Il s'agit aussi de donner des gages aux alliés MoDem et Horizons, dont certains élus renâclent à soutenir la réforme. Elisabeth Borne a exhorté chacun à "faire vivre l'esprit d'équipage" et à rester "unis".

Même si le texte n'est pas adopté en commission, il sera présenté en séance le 6 février. Quoi qu'il en soit, c'est sa version initiale qui sera soumise, sans les amendements adoptés en commission - c'est la règle pour les textes budgétaires.

Deux semaines d'échanges sont programmées dans l'hémicycle, avec dans l'arène les ministres du Travail Olivier Dussopt et des Comptes publics Gabriel Attal, face à des députés promettant de "tenir la tranchée".

Retraites: les points chauds de la bataille à l'Assemblée

Carrières longues, femmes, emploi des seniors: les mêmes cibles sont dans le viseur des députés LR et d'une partie du camp présidentiel pour retoucher la réforme des retraites, tandis que gauche et RN vont pilonner les mesures d'âge.

Près de 7.000 amendements ont été déposés avant le début lundi de l'examen du texte en commission des Affaires sociales, prélude à la véritable épreuve du feu de l'hémicycle, à partir du 6 février.

L'exécutif, décidé à ne pas céder sur le recul de l'âge légal de départ à 64 ans, n'a pas fermé la porte à des "enrichissements". "A condition qu'ils ne coûtent pas très cher", nuance un cadre de la majorité.

Haro sur les 64 ans 

Les groupes de la Nupes (LFI, PS, PCF, EELV) affirment avoir écarté une stratégie d'"obstruction" massive, mais ils ont tout de même déposé près de 6.000 amendements. Ils y déclinent une panoplie de contre-propositions (retraite à 60 ans, rétablissement de l'ISF, taxation des dividendes) et y bombardent surtout la nouvelle borne des 64 ans.

Le petit groupe indépendant Liot fait également de cette mesure le motif principal de son opposition à la réforme et propose à la place des mesures incitatives via des surcotes.

Côté RN, le recul à 64 ans sera aussi une cible privilégiée.

Si de rares députés du camp présidentiel (Renaissance, Modem, Horizons) contestent aussi cette mesure phare, le groupe Modem cible une autre borne d'âge: il demande de ramener à 65 ans l'âge d'annulation des décotes (minorations de pension) pour certaines carrières "hachées" dues à une maladie, une maternité ou encore un licenciement. Cet "âge du taux plein" est aujourd'hui fixé à 67 ans et n'est pas modifié par la réforme.

Carrières (trop) longues 

C'est l'un des points de cristallisation: dans certains cas, des salariés ayant commencé à travailler tôt devront cotiser 44 ans pour une retraite pleine, et non 43 ans comme dans le cas commun d'ici 2027.

Le groupe LR, sur lequel le gouvernement espère pouvoir compter pour voter la réforme, a fait de la correction de cette "injustice" l'une de ses principales demandes.

"Cela reviendrait cher, mais si c'est le seul moyen de les convaincre, pourquoi pas", estime un cadre de Renaissance, dont certains membres plaident aussi pour un plafonnement à 43 ans, tout comme quelques députés Horizons.

Le cas des femmes 

Autre sujet majeur de contestation: le fait que les femmes, plus exposées à des parcours hachés, seront amenées à allonger davantage leur carrière en moyenne que les hommes avec le recul de l'âge légal.

Des demandes vont affluer de nombreux bancs, y compris de la majorité, pour corriger le tir.

Les députés LR proposent par exemple une annulation de décote à 66 ans, au lieu de 67 ans, à partir de deux enfants.

Les députés Modem suggèrent eux d'abaisser de deux trimestres par enfant l'âge légal de départ. Et d'intégrer un trimestre supplémentaire par enfant pour le calcul de la surcote, dans la limite de 4 trimestres.

Autres alliés des macronistes, malgré une poignée d'hésitants, les députés Horizons proposent une surcote des pensions des femmes pour qui le recul de l'âge légal réduirait l'avantage des trimestres attribués pour des naissances.

Emploi des seniors 

Les mesures prévues pour améliorer le taux d'emploi des seniors laissent beaucoup de députés sur leur faim, y compris dans le camp présidentiel.

La réforme prévoit la mise en place d'un "index" mesurant l'emploi des seniors dans les grandes entreprises, assorti d'une sanction financière, mais seulement en cas de non-publication.

Certains députés Renaissance demandent "un mécanisme contraignant" avec des objectifs, auquel le gouvernement n'a pas fermé la porte. Le Modem plaide pour une modulation de certaines cotisations patronales en fonction des taux d'emploi des plus de 55 ans.

«Revoyure»

Les députés Modem et LR insistent aussi pour insérer une "clause de revoyure", pour faire un bilan d'étape fin 2027 des effets de la réforme, et si besoin revoir et corriger.

LR aimerait aussi décaler à début 2024 le début du décalage progressif de l'âge légal de départ.

Riposte graduée 

Emmanuel Macron affirme que la réforme a été "démocratiquement validée" lors des élections du printemps qui lui ont confié un second mandat, mais une simple majorité relative à l'Assemblée.

La gauche étrille un projet "solitaire, injuste et injustifié" voire "anti-femmes". Ses élus s'opposent en bloc aux 64 ans et récusent faire de l'obstruction, en évitant les amendements de pure forme. "On va adapter notre tactique au fur et à mesure, on veut que soit discuté l'article 7" sur l'âge, indique l'insoumise Clémentine Autain.

Les députés RN combattent le report de l'âge, mais réservent leurs forces pour l'hémicycle.

De son côté, la droite, dont les voix sont cruciales pour que le texte soit adopté, fait monter les enchères. Les LR ont des demandes pour les femmes aux carrières hachées, ceux ayant commencé à travailler à 20 ans, sur les droits familiaux et encore un report de l'entrée en vigueur de la réforme.

La majorité présidentielle n'est pas en reste, mais a été priée de réfréner ses ardeurs pour tenir l'équilibre financier de la réforme. L'idée de contraintes plus fortes autour de l'emploi des seniors dans les grandes entreprises fait cependant son chemin chez Renaissance.

Il s'agit aussi de donner des gages aux alliés MoDem et Horizons, dont certains élus renâclent à soutenir la réforme. Elisabeth Borne a exhorté chacun à "faire vivre l'esprit d'équipage" et à rester "unis".

Même si le texte n'est pas adopté en commission, il sera présenté en séance le 6 février. Quoi qu'il en soit, c'est sa version initiale qui sera soumise, sans les amendements adoptés en commission - c'est la règle pour les textes budgétaires.

Deux semaines d'échanges sont programmées dans l'hémicycle, avec dans l'arène les ministres du Travail Olivier Dussopt et des Comptes publics Gabriel Attal, face à des députés promettant de "tenir la tranchée".


Les deux ex-prisonniers français disent qu'ils n'auraient «pas tenu» en Iran sans le soutien en France 

Cécile Kohler et Jacques Paris, les deux Français sortis mardi de prison en Iran et installés à l'ambassade de France à Téhéran, ont dit qu'ils n'auraient pu endurer une si longue détention sans la mobilisation en France pour les soutenir, a dit mercredi l'ambassadeur. (AFP)
Cécile Kohler et Jacques Paris, les deux Français sortis mardi de prison en Iran et installés à l'ambassade de France à Téhéran, ont dit qu'ils n'auraient pu endurer une si longue détention sans la mobilisation en France pour les soutenir, a dit mercredi l'ambassadeur. (AFP)
Short Url
  • "Ils m'ont demandé de passer un message pour dire à leurs familles, mais aussi à tous ceux qui les ont soutenus en France, que sans ce soutien, il n'auraient pas pu tenir", a dit Pierre Cochard sur la radio publique France Inter
  • "Il faut attendre le diagnostic des médecins, mais je les ai trouvés d'abord très heureux, très soulagés tous les deux, par cette libération, on le comprend après trois ans et demi de détention dans des conditions difficiles", a ajouté le diplomate

PARIS: Cécile Kohler et Jacques Paris, les deux Français sortis mardi de prison en Iran et installés à l'ambassade de France à Téhéran, ont dit qu'ils n'auraient pu endurer une si longue détention sans la mobilisation en France pour les soutenir, a dit mercredi l'ambassadeur.

"Ils m'ont demandé de passer un message pour dire à leurs familles, mais aussi à tous ceux qui les ont soutenus en France, que sans ce soutien, il n'auraient pas pu tenir", a dit Pierre Cochard sur la radio publique France Inter.

"Il faut attendre le diagnostic des médecins, mais je les ai trouvés d'abord très heureux, très soulagés tous les deux, par cette libération, on le comprend après trois ans et demi de détention dans des conditions difficiles", a ajouté le diplomate.

Après trois ans et demi de détention, ils ont été remis lundi aux autorités françaises à Téhéran et se trouvent actuellement à l'ambassade de France.

Pour autant, ils ne sont pas autorisés à quitter le territoire de la République islamique.

De son côté, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot a souligné sur la radio privée RTL que la France n'avait "pas de certitude sur le moment où" la libération définitive de Cécile Kohler et Jacques Paris interviendrait.

"Mais nous n'allons ménager aucun effort pour obtenir leur retour en France dans les meilleurs délais", a-t-il promis.

"Ce n'est qu'une étape, et nous allons continuer à nous mobiliser sans relâche pour obtenir leur libération définitive", a-t-il ajouté, insistant par ailleurs sur la discrétion nécessaire pour "garantir le succès de ce type de manœuvre diplomatique".

"Donc nous ne révélons pas le détail de ces discussions que nous avons avec les autorités à tous les niveaux du Président de la République jusqu'à l'ambassadeur à Téhéran que je veux féliciter pour sa mobilisation", a ajouté le ministre alors que les autorités iraniennes ont évoqué dès septembre un accord sur un échange de prisonniers.

Depuis une dizaine d'années, l'Iran multiplie les arrestations de ressortissants occidentaux, notamment français, les accusant le plus souvent d'espionnage, afin de les utiliser comme monnaie d'échange pour relâcher des Iraniens emprisonnés dans des pays occidentaux ou afin d'obtenir des gages politiques.

Au moins une vingtaine d'Occidentaux seraient encore détenus, selon des sources diplomatiques.

Dans le cas de Cécile Kohler et Jacques Paris, Téhéran a rendu publique le 11 septembre la possibilité d'un accord de libération des deux Français en échange de Mahdieh Esfandiari, une Iranienne arrêtée en France en février pour avoir fait la promotion du terrorisme sur les réseaux sociaux. Son avocat français, Me Nabil Boudi, s'est réjoui de la libération Cécile Kohler et Jacques Paris, assurant que sa cliente a été "détenue injustement".

Celle-ci a été libérée sous contrôle judiciaire dans l'attente de son procès prévu en janvier.


Fin de vie: Falorni et Biétry demandent un référendum à Macron avant l'été, faute de loi

Le député Olivier Falorni, à l'origine des propositions de loi sur la fin de vie, et l'ancien journaliste Charles Biétry, atteint de la maladie de Charcot, ont demandé mardi à Emmanuel Macron d'organiser un référendum sur ces textes avant l'été, faute d'adoption parlementaire. (AFP)
Le député Olivier Falorni, à l'origine des propositions de loi sur la fin de vie, et l'ancien journaliste Charles Biétry, atteint de la maladie de Charcot, ont demandé mardi à Emmanuel Macron d'organiser un référendum sur ces textes avant l'été, faute d'adoption parlementaire. (AFP)
Short Url
  • Deux propositions de loi, une première consensuelle sur les soins palliatifs, et une autre, nettement plus sensible, sur la création d'une aide à mourir, ont été votées fin mai en première lecture à l'Assemblée
  • Plusieurs sources parlementaires ont évoqué ces dernières semaines un examen en janvier à la chambre haute, où la majorité de droite pourrait modifier les textes

BORDEAUX: Le député Olivier Falorni, à l'origine des propositions de loi sur la fin de vie, et l'ancien journaliste Charles Biétry, atteint de la maladie de Charcot, ont demandé mardi à Emmanuel Macron d'organiser un référendum sur ces textes avant l'été, faute d'adoption parlementaire.

Deux propositions de loi, une première consensuelle sur les soins palliatifs, et une autre, nettement plus sensible, sur la création d'une aide à mourir, ont été votées fin mai en première lecture à l'Assemblée, mais la chute du gouvernement de François Bayrou a reporté leur examen au Sénat.

Plusieurs sources parlementaires ont évoqué ces dernières semaines un examen en janvier à la chambre haute, où la majorité de droite pourrait modifier les textes, et le ministre des Relations avec le Parlement Laurent Panifous a annoncé la semaine dernière un nouveau débat à l'Assemblée en février.

"Le parcours de ce texte n'avance pas comme il le devrait. Régulièrement retardé, reporté, réinscrit puis de nouveau ajourné... Cela devient insupportable!", déplorent MM. Falorni et Biétry, dans un courrier remis mardi matin au président de la République à l'occasion d'une visite de M. Macron aux Assises de l'économie de la mer à La Rochelle, selon le député apparenté MoDem de Charente-Maritime.

"Pourtant, les malades en fin de vie, eux, n'ont pas le temps d'attendre. Vis-à-vis d'eux, cette situation de blocage est une forme d'indécence", ajoutent les deux hommes.

"C'est pour cela que, si cet enlisement se poursuivait en début d'année prochaine, nous vous demandons solennellement de consulter directement les Français par référendum avant l'été 2026 sur les textes de loi votés en mai dernier par les députés", poursuivent-il.

M. Macron avait lui-même évoqué en mai un référendum, en cas d'"enlisement" au Parlement, tout en précisant qu'il le ferait "avec beaucoup de précaution".

Il répondait alors à une interpellation de Charles Biétry, atteint de la maladie de Charcot, à travers une courte vidéo où la question de l'ancien patron des sports de Canal+, qui aura 82 ans mercredi, était lue par une voix de synthèse.


Le procès du cimentier français Lafarge pour financement du terrorisme s'ouvre à Paris

Après avoir ouvert l'audience, peu après 13H00 GMT, la présidente du tribunal, Isabelle Prévost-Desprez, a commencé à appeler un à un les prévenus à la barre pour leur énoncer les infractions dont ils sont accusés. (AFP)
Après avoir ouvert l'audience, peu après 13H00 GMT, la présidente du tribunal, Isabelle Prévost-Desprez, a commencé à appeler un à un les prévenus à la barre pour leur énoncer les infractions dont ils sont accusés. (AFP)
Short Url
  • Le tribunal correctionnel les jugera jusqu'au 16 décembre pour financement d'entreprises terroristes, et pour certains aussi pour non-respect de sanctions financières internationales
  • Au côté de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, sont jugés à Paris l'ancien PDG du cimentier français Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens

PARIS: Le procès du groupe français Lafarge et de huit anciens responsables, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont le groupe Etat islamique, en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie, s'est ouvert mardi à Paris, une première en France pour une multinationale.

Après avoir ouvert l'audience, peu après 13H00 GMT, la présidente du tribunal, Isabelle Prévost-Desprez, a commencé à appeler un à un les prévenus à la barre pour leur énoncer les infractions dont ils sont accusés.

Le tribunal correctionnel les jugera jusqu'au 16 décembre pour financement d'entreprises terroristes, et pour certains aussi pour non-respect de sanctions financières internationales.

Au côté de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, sont jugés à Paris l'ancien PDG du cimentier français Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens, dont l'un, visé par un mandat d'arrêt international, devrait être absent au procès.

Lafarge est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes rebelles jihadistes - dont certains, comme l'organisation Etat islamique (EI) et Jabhat al-Nosra, ont été classés comme "terroristes" - afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord de la Syrie.

La société avait investi 680 millions d'euros dans ce site, dont la construction avait été achevée en 2010.

Intermédiaires 

Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n'a évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, et maintenu l'activité de ses salariés syriens jusqu'en septembre 2014, date à laquelle l'EI a pris le contrôle de l'usine.

Dans ce laps de temps, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s'approvisionner en matières premières auprès de l'EI et d'autres groupes, et pour que ces derniers facilitent la circulation des employés et des marchandises.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes en 2016, une du ministère de l'Economie pour violation d'embargo et l'autre des associations Sherpa, Centre européen pour les droits constitutionnels (ECCHR) et de onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.

Le nouveau groupe issu de la fusion de 2015 - d'abord baptisé LafargeHolcim, puis renommé Holcim en 2021 -, qui a toujours pris soin de se désolidariser des faits antérieurs à cette opération, avait entretemps lancé une enquête interne.

Confiée aux cabinets d'avocats américain Baker McKenzie et français Darrois, elle avait conclu en 2017 à des "violations du code de conduite des affaires de Lafarge".

Et en octobre 2022, Lafarge SA avait plaidé coupable aux Etats-Unis d'avoir versé à l'EI et Jabhat Al-Nosra près de 6 millions de dollars et accepté d'y payer une sanction financière colossale de 778 millions de dollars.

En France, Lafarge encourt jusqu'à 1,125 million d'euros d'amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation d'embargo, l'amende encourue est plus lourde, allant jusqu'à 10 fois le montant de l'infraction qui sera retenu in fine par la justice.

"Responsabilités des multinationales" 

Selon la défense de Bruno Lafont, qui conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes, l'accord de plaider-coupable est une "atteinte criante à la présomption d'innocence, qui jette en pâture les anciens cadres de Lafarge" et avait pour objectif "de préserver les intérêts économiques d'un grand groupe".

Pour l'ex-PDG, qui "attend de pouvoir enfin défendre son honneur, et de comprendre ce qui s'est passé", le procès qui s'ouvre permettra d'"éclaircir" plusieurs "zones d'ombre du dossier", comme le rôle des services de renseignement français.

Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d'informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait "absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie".

Sherpa, partie civile dans le dossier, estime de son côté que ce procès est une "occasion inédite pour la justice française de se pencher sur la responsabilité des multinationales lorsqu'elles opèrent dans des zones de conflit".

Un autre volet retentissant de ce dossier est toujours à l'instruction, le groupe ayant aussi été inculpé pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie et en Irak.