Les trois scénarios potentiels de l'accord entre Riyad et Téhéran

Les ministres saoudien, iranien et chinois des Affaires étrangères se serrent la main à Pékin, jeudi (Photo, Xinhua via AP).
Les ministres saoudien, iranien et chinois des Affaires étrangères se serrent la main à Pékin, jeudi (Photo, Xinhua via AP).
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Publié le Vendredi 07 avril 2023

Les trois scénarios potentiels de l'accord entre Riyad et Téhéran

Les trois scénarios potentiels de l'accord entre Riyad et Téhéran
  • Le fait que cette rencontre ait eu lieu moins d'un mois après l'accord de Pékin du 10 mars, témoigne de l'efficacité de la Chine et de la détermination des deux pays à faire avancer les choses
  • Du point de vue saoudien, il s'agit d'une victoire incontestable jusqu'à présent, non seulement pour l’Arabie saoudite, mais aussi pour la région, les marchés mondiaux et la sécurité énergétique

La rencontre de jeudi à Pékin entre les ministres saoudien et iranien des Affaires étrangères a constitué une étape importante sur une voie inattendue qui pourrait potentiellement mener à un niveau de stabilité régionale jamais atteint depuis plus de quarante ans.

Le fait que cette rencontre ait eu lieu moins d'un mois après l'accord de Pékin du 10 mars, témoigne de l'efficacité de la Chine et de la détermination des deux pays à faire avancer les choses.

Riyad et Téhéran étaient représentés jeudi par leurs ministres des Affaires étrangères, ce qui laisse penser que les dirigeants des deux pays sont confiants dans l'accord et qu'ils ont maintenant délégué les détails aux organes gouvernementaux compétents. C'est pourquoi il était important que la signature de l'accord initial se fasse en présence d'Ali Chamkhani, général à deux étoiles et secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, et de Mosaed al-Aiban, conseiller de la cour royale saoudienne de très haut rang et l'un des bras droits les plus fiables du prince héritier. D'après ce que j'ai compris, cette décision a été prise sur l'insistance de l’Arabie saoudite et a désarmé les cyniques qui prédisaient que l'accord avait peut-être été accepté par le ministère iranien des Affaires étrangères, mais pas par l'État profond ou par l'appareil de sécurité iranien. Cela ne laisse à Téhéran aucun moyen de se défiler en prétendant que l'accord n'a pas été approuvé par tous les membres du régime (personne ne croit qu'il existe une véritable séparation des pouvoirs, mais c'est un argument qui a déjà été utilisé auparavant).

On m'a souvent demandé au cours du mois dernier s'il était probable que le régime iranien respecte l'accord. Seuls les hauts responsables de Téhéran ont la réponse à cette question. Ce que je sais, et tout négociateur vous le dira, c'est qu'il est vrai qu'il suffit de peu de choses pour qu'un tel accord s'effondre.

«Les négociateurs iraniens sont souvent décrits comme ayant la patience des tisserands de tapis persans, ils ont toujours joué la carte du temps.»

    Faisal J. Abbas

Les négociateurs iraniens sont souvent décrits comme ayant la patience des tisserands de tapis persans. Que ce soit avec l’Arabie saoudite ou avec les pays occidentaux, ils ont toujours joué la carte du temps. Dans le cas de l'Arabie saoudite, ils ont exploité le fait que tous nos rois accédaient au trône à un âge avancé. Les Iraniens savaient donc que ce n'était qu'une question de temps avant qu'ils n'aient à faire face à un nouveau dirigeant pour lequel ils ne seraient pas une priorité tant qu'il n'aurait pas mis de l'ordre dans ses affaires internes. Lorsqu'il traite avec les démocraties occidentales, l'Iran comprend que les dirigeants élus changent au bout de quelques années. Même lors de la transition Trump-Biden à la Maison Blanche, tout ce que Téhéran avait à faire était de supporter la campagne de pression maximale du premier jusqu'à ce que le second arrive. Les dirigeants iraniens étaient déterminés à relancer l'accord sur le nucléaire iranien, ce qui signifiait qu'ils pouvaient exiger des concessions.

La bonne nouvelle, c’est que rien de tout cela n’a d’influence sur l'accord parrainé par Pékin qui a été signé le 10 mars. La particularité de celui-ci, c'est qu'il bénéficie de la présence d'une «authentification à deux facteurs» – le prince héritier, Mohammed ben Salmane, d'une part, et la Chine de l'autre.

Le prince héritier – jeune, dynamique et puissant – apporte la stabilité interne et la continuité de la politique étrangère pour les décennies à venir, ce qui permet aux responsables concernés de se concentrer sur chaque détail de l'accord jusqu'à ce qu'ils le mènent à bien. D'autre part, le fait qu’il ait été négocié par la Chine et non par les États-Unis signifie que Téhéran ne peut s'y soustraire grâce à une administration à Washington qui pourrait ne pas bénéficier d'un soutien bipartisan au Congrès et qui, en tout état de cause, partira à l'issue de son mandat.

Il s'agit également de la première apparition de la Chine sur la scène mondiale en tant qu'agent de la paix et d'un test du respect qu'elle inspire en tant que superpuissance mondiale. La Chine s'est engagée à investir 300 milliards de dollars (1 dollar américain = 0,92 euro) en Iran, son principal partenaire commercial, sur une période de vingt-cinq ans. Il ne fait donc aucun doute que le dragon chinois sera attentif à Téhéran afin de s'assurer que l'accord soit respecté – à mon avis, c'est la seule façon de le faire.

Cela signifie-t-il que le succès est garanti ? En politique, ce n'est jamais le cas. Cependant, trois scénarios sont possibles.

«Ce qui rend cet accord différent, c'est qu'il bénéficie de la présence d'une "authentification à deux facteurs" – le prince héritier, Mohammed ben Salmane, d'une part, et la Chine de l'autre.»

    Faisal J. Abbas

Le plus pessimiste est que l'Iran ne respecte pas l'accord. Ce serait une énorme occasion manquée pour la paix régionale, mais cela signifierait aussi que Téhéran aurait contrarié un pays de la taille et du poids de la Chine, l'un des deux seuls amis de l'Iran sur la scène mondiale (l'autre, la Russie, étant très occupée en ce moment). Pour l'Arabie saoudite, cela signifierait simplement un retour au statu quo, et nous avons plus de quarante ans d'expérience dans la lutte contre les activités déstabilisatrices de l'Iran et contre ses milices.

Le scénario le plus probable et le plus réaliste est que l'accord progresse lentement mais sûrement. Il comprend déjà un engagement mutuel à ne pas agresser ou soutenir une agression l'un contre l'autre. Pas plus tard que jeudi, la milice houthie au Yémen, soutenue par l'Iran, a proposé de prolonger la trêve de six mois, ce qui représente un signe positif. Avec le rétablissement des missions diplomatiques, les deux puissances régionales peuvent communiquer directement et utiliser des moyens diplomatiques afin d’aider les gouvernements concernés à parvenir à la stabilité et aux meilleurs résultats possibles dans les zones de tension telles que le Yémen, le Liban, l'Irak et la Syrie.

Le scénario le plus optimiste serait que nous nous réveillions un jour et que nous découvrions que tous les conflits régionaux provoqués par l'Iran ont été résolus, notamment le retrait des forces iraniennes de l'Irak, du Liban et de la Syrie – mais cela est peu probable compte tenu de l'ampleur des investissements et des intérêts iraniens dans ces pays.

Mais dans tous les cas, du moins du point de vue saoudien, il s'agit d'une victoire incontestable jusqu'à présent, non seulement pour l’Arabie saoudite, mais aussi pour la région, les marchés mondiaux et la sécurité énergétique.

 

 

Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef d'Arab News. 
Twitter: @FaisalJAbbas

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com