La guerre des volontés risque de bloquer la voie du changement au Soudan

Le chef de l’armée soudanaise, Abdel Fattah al-Burhane (Photo, Reuters).
Le chef de l’armée soudanaise, Abdel Fattah al-Burhane (Photo, Reuters).
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Publié le Mardi 25 avril 2023

La guerre des volontés risque de bloquer la voie du changement au Soudan

La guerre des volontés risque de bloquer la voie du changement au Soudan
  • Al-Burhane et Dagalo se sont emparés du pouvoir, après que le soulèvement populaire de 2019 a renversé Omar el-Béchir, dans un contexte de détérioration des conditions économiques
  • Chaque dirigeant essaye prétendument de sauver la révolution et accuse l’autre d’avoir ravivé les vestiges à tendance islamiste de l’ère Béchir

Tout le monde s’attendait à un affrontement entre l’armée et les unités paramilitaires au Soudan, ce qui ébranlerait la transition du pays vers un régime civil et la ferait potentiellement disparaître. Le régime militaire de facto du Soudan – dirigé par le chef de l’armée, Abdel Fattah al-Burhane et son adjoint, Mohamed Hamdan Dagalo, surnommé «Hemeti», qui est à la tête des Forces de soutien rapide (FSR), une milice devenue depuis un groupe paramilitaire – a supervisé la quête d’un système représentatif de gouvernement civil depuis le coup d’État d’octobre 2021. Ce n’est pas pour tout de suite, apparemment. Alors que les combats se poursuivent dans la capitale Khartoum et dans d’autres parties du pays et que de puissantes factions militaires rivales se battent pour contrôler le pays, on risque de voir la violence dégénérer en une guerre civile totale.

Le Soudan est familier avec le régime militaire autocratique. M. Al-Burhane et Dagalo se sont emparés du pouvoir, après que le soulèvement populaire de 2019, dans un contexte de détérioration des conditions économiques, a renversé Omar el-Béchir, l’autocrate qui avait dirigé le pays pendant trente ans.

Soldat vétéran, Abdel Fattah al-Burhane est devenu un officier de haut rang au cours des derniers jours du règne de M. El-Béchir. Il a prêté serment en tant que dirigeant par intérim du Soudan en avril 2019. Plus tard cette année-là, il a présidé le Conseil de souveraineté composé de personnalités militaires et civiles chargées de diriger la transition du pays vers un régime démocratique à part entière. Deux ans plus tard, il a mené un coup d’État et arrêté le Premier ministre et son gouvernement civil, avant de retourner à la table des négociations, à la lumière d’une spirale de troubles politiques et économiques incontrôlable. En juillet de l’année dernière, M. Al-Burhane a surpris par son serment de vouloir «faire de la place aux forces politiques et révolutionnaires et à d’autres ressortissants» pour former un gouvernement civil.

L’accord-cadre signé à la fin de l’année dernière ne pouvait masquer les mois de tensions exacerbées entre l’armée et les paramilitaires des FSR. Ces frictions ont été aggravées par les clauses de l’accord-cadre final, soutenu par la communauté internationale, et qui devait être signé au début de ce mois. Il appelait à la fois l’armée et les FSR à céder le pouvoir. Deux questions s’avèrent particulièrement litigieuses. L’une est le calendrier d’intégration des FSR dans les forces armées régulières et l’autre concerne le moment où l’armée serait officiellement placée sous contrôle civil.

Jamais encore n’avait-on assisté à des scènes de combats si chaotiques avec utilisation de chars, d’artillerie, de camionnettes équipées de mitrailleuses et de puissance aérienne dans les zones densément peuplées de la capitale et d’autres villes. Ces scènes ne laissent présager rien de bon pour les 46 millions de citoyens du pays, qui espéraient que le soulèvement pourrait éloigner le Soudan de ses décennies d’autocratie, de conflits internes et d’isolement économique sous Omar el-Béchir.

Al-Burhane et Dagalo pourraient se livrer bataille jusqu’au bout, car ils ont placé la barre très haut.

Mohamed Chebaro

Un conflit de l’ampleur de ces derniers jours pourrait également déstabiliser une région instable qui borde le Sahel, la mer Rouge et la corne de l’Afrique. Si les combats perdurent, ils risquent de s’étendre à la région occidentale du Darfour ravagée par la guerre et aux zones du nord et de l’est du Soudan près des frontières avec l’Égypte et l’Éthiopie, sachant que les deux parties sont armées jusqu’aux dents et ne manquent pas de ressources pour se réapprovisionner. Cette situation pourrait également devenir un conflit ouvert susceptible d’être utilisé dans la lutte d’influence entre la Russie, la Chine et les États-Unis, ainsi qu’entre des puissances régionales influentes qui ont auparavant courtisé divers acteurs au Soudan.

Aucune des deux parties n’a hésité à justifier la guerre selon les lignes traditionnelles. Chaque dirigeant essaye prétendument de sauver la révolution et accuse l’autre d’avoir ravivé les vestiges à tendance islamiste de l’ère Béchir. M. Al-Burhane et Dagalo pourraient se livrer bataille jusqu’au bout, car ils ont placé la barre très haut. Les observateurs du Soudan ont souvent mis en garde contre les forces massives à leur disposition, qui pourraient laisser place à des dégâts considérables.

Il est peu probable qu’ils répondent favorablement aux appels internationaux et régionaux pour mettre en place un cessez-le-feu durable ou reprendre leur dialogue et leurs négociations. C’est ce qui ressort clairement de la guerre des mots, l’armée ayant qualifié les FSR de «rebelles», exigeant leur dissolution, tandis que Mohamed Hamdan Dagalo a traité Abdel Fattah al-Burhane de «criminel» et lui a reproché d’avoir provoqué toute cette destruction à l’échelle du pays.

Les ressources et la taille de l’armée nationale, notamment sa puissance aérienne, devraient la rendre supérieure aux forces de M. Dagalo. Il ne faut pas sous-estimer les FSR pour autant, car elles sont puissantes, bien armées et bien organisées. Malheureusement, cela fait craindre un conflit prolongé en plus d’une crise économique de longue durée et de besoins humanitaires à grande échelle dans le pays.

Le monde, occupé par le conflit ouvert en Ukraine, est plus divisé que jamais. Alors que le Moyen-Orient espérait un certain répit, il n’a guère eu le temps d’assimiler les avantages qui pourraient émerger du nouvel accord négocié par la Chine entre l’Arabie saoudite et l’Iran qui devrait normalement se traduire par la fin du conflit au Yémen, avant que le Soudan n’explose soudain comme une autre zone de conflit susceptible de le rester pendant des années.

 

Mohamed Chebaro est un journaliste libano-britannique, consultant en médias et formateur qui compte plus de vingt-cinq ans d’expérience sur la guerre, le terrorisme, la défense, les affaires courantes et la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com