L’accord «un pour un» entre le Royaume-Uni et la France résoudra-t-il le dilemme migratoire ?

La politique du “un pour un” annoncée la semaine dernière ne sera peut-être pas la solution miracle pour sauver le mandat de Starmer. (Photo d’archive / AFP)
La politique du “un pour un” annoncée la semaine dernière ne sera peut-être pas la solution miracle pour sauver le mandat de Starmer. (Photo d’archive / AFP)
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Publié le Lundi 21 juillet 2025

L’accord «un pour un» entre le Royaume-Uni et la France résoudra-t-il le dilemme migratoire ?

L’accord «un pour un» entre le Royaume-Uni et la France résoudra-t-il le dilemme migratoire ?
  • L’échec de la politique migratoire britannique est devenu l’échelle sur laquelle grimpent les partis populistes de droite
  • La vérité est venue de Macron lui-même : il a attribué la hausse des traversées à… Brexit

La politique dite du “un pour un”, annoncée la semaine dernière, ne sera peut-être pas la solution miracle qui sauvera le mandat de Keir Starmer.

Oubliez le rebranding de l’“Entente cordiale” en “Entente amicale”, salué par le roi Charles lorsqu’il a porté un toast aux relations entre les deux voisins historiques lors de la visite d’État d’Emmanuel Macron — la première d’un président français au Royaume-Uni depuis 2008. Oubliez aussi l’accord de dissuasion nucléaire conclu entre Londres et Paris.

Oubliez le mantra de Macron appelant à s’unir pour “sauver” la démocratie européenne. Oubliez la nécessité de libérer l’Europe de ses dépendances excessives “à la fois envers les États-Unis et la Chine”. Oubliez la nécessité de défendre un modèle démocratique menacé, selon lui, par “les ingérences étrangères, la manipulation de l’information, la domination des esprits par les émotions négatives et l’addiction aux réseaux sociaux”, comme il l’a déclaré devant le Parlement. Oubliez l’engagement répété à soutenir l’Ukraine, omniprésent dans chaque rencontre officielle entre dirigeants britanniques et français. Enfin, oubliez la volonté de trouver une solution au conflit à Gaza ou d’atténuer le blocus humanitaire imposé aux Palestiniens, ainsi que la menace de reconnaître unilatéralement la Palestine.

Oubliez tous ces dossiers essentiels évoqués lors des trois jours de visite d’État de Macron. L’attention s’est concentrée sur un sujet bien plus pressant : la migration transmanche, devenu un casse-tête pour le Premier ministre Keir Starmer et son gouvernement travailliste, au même titre qu’il l’a été pour tous ses prédécesseurs depuis le milieu des années 1990. Mais aujourd’hui, la pression s’intensifie, car l’échec de la gestion migratoire britannique est devenu un tremplin pour les partis populistes de droite comme Reform UK.

L’échec de la politique migratoire britannique est devenu l’échelle sur laquelle grimpent les partis populistes de droite. 

Mohamed Chebaro

La politique “un pour un”, présentée par Londres et Paris comme un programme pilote, prévoit que certains migrants arrivés au Royaume-Uni par bateau soient renvoyés en France. Cette mesure ne sera peut-être pas suffisante pour sauver le mandat de Starmer. Bien qu’il ait décrit l’accord comme “révolutionnaire” et susceptible d’enrayer les flux records enregistrés cette année, il faudra du temps pour en évaluer l’efficacité.

Starmer espère que l’expulsion de ceux qui traversent la Manche brisera le modèle migratoire utilisé ces dernières années. Il espère également que cela enverra un message clair aux candidats à la traversée : s’ils viennent par bateau, ils seront renvoyés d’où ils viennent. En échange de chaque retour, une autre personne sera autorisée à venir légalement au Royaume-Uni dans le cadre d’un programme de réunification familiale ou en raison d’un lien existant avec le pays.

Ce programme pilote devrait commencer dans les semaines à venir, avec environ 50 retours par semaine.

Plus de 21 000 migrants ont traversé la Manche dans des embarcations de fortune depuis le début de l’année, soit 55 % de plus que sur la même période l’année dernière. Bien que les nouvelles mesures ne soient pas encore testées, les autorités françaises ont récemment démontré de nouveaux moyens de pression : des policiers ont été vus en train de crever les bateaux gonflables avec des couteaux alors qu’ils étaient encore en eaux peu profondes. Cette pratique dangereuse n’a pas encore été contestée en justice par les défenseurs des droits de l’homme, mais elle pourrait s’avérer difficile à appliquer sur l’ensemble du littoral.

Les données recueillies des deux côtés de la Manche sont alarmantes. Depuis mai 2024, date à laquelle le ministère de l’Intérieur britannique a commencé à publier ces données, les autorités françaises ont empêché plus de 33 000 migrants de traverser la Manche vers le Royaume-Uni. Cela inclut 21 317 personnes entre mai et décembre 2024 et 12 321 en 2025.

La France a également enregistré 1 158 “événements” sur cette période, c’est-à-dire des tentatives de départ empêchées ou des arrestations de passeurs. Cela signifie que seuls quatre migrants sur dix sont arrêtés — un chiffre que Starmer voudra voir grimper, alors qu’il subit la pression de ceux qui exploitent les échecs migratoires pour retourner l’opinion publique contre le gouvernement. En parallèle, ces tensions alimentent le mécontentement dans certaines communautés, pouvant conduire à des actes violents et nuire à la paix civile.

La vérité est venue de Macron lui-même : il a attribué la hausse des traversées à… Brexit. 

Mohamed Chebaro

Cette vérité, que ni le gouvernement ni une partie de l’opinion britannique ne souhaitaient entendre, est apparue dans une déclaration de Macron durant sa visite. Il a affirmé que le départ du Royaume-Uni de l’UE avait aggravé la situation dans la Manche, en fermant les voies légales de migration et en rompant l’accès aux accords européens de réadmission. Il semble que ceux qui ont conçu et imposé le Brexit ont négligé les paramètres juridiques nécessaires aux renvois. Ce vide est devenu un facteur d’attraction majeur. En résumé, la dure réalité est que le Brexit a eu l’effet inverse de celui promis en matière migratoire.

Cependant, le Brexit n’est pas l’unique facteur en cause. D’autres éléments ont contribué à exposer le système d’immigration britannique, notamment les politiques d’austérité des 14 années de gouvernements conservateurs, ainsi que les régimes de visas inefficaces censés attirer les travailleurs nécessaires à l’économie. Beaucoup de ces travailleurs ont finalement abusé du système et sont devenus une charge pour un État providence déjà affaibli.

Le sommet franco-britannique de la semaine dernière a permis de renforcer la coopération stratégique entre les deux voisins. Mais son succès ou son échec dépendra essentiellement de la capacité des deux pays à endiguer la migration transmanche — une hausse qui découle clairement du Brexit. Le plan “un pour un” semble solide sur le papier, mais sa mise en œuvre dépend de nombreux paramètres échappant au contrôle de Macron et Starmer.

Il convient enfin de rappeler qu’à population égale, le Royaume-Uni reçoit moins de demandes d’asile que la France ou la moyenne européenne. Le ministère français de l’Intérieur a enregistré 157 947 demandes d’asile en 2024, contre 108 138 au Royaume-Uni. À l’échelle de l’UE, un peu moins d’un million de demandes ont été déposées sur la même période. Si le nouvel accord avec la France doit fonctionner, le Royaume-Uni devra se préparer à en accueillir davantage.

Mohamed Chebaro est un journaliste libano-britannique qui a plus de 25 ans d'expérience dans les domaines de la guerre, du terrorisme, de la défense, des affaires courantes et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com