Comment l’extrême droite instrumentalise la migration

Des manifestants brandissent des pancartes et des banderoles alors qu'ils quittent une manifestation devant l'hôtel Bell, à Epping, le 27 juillet 2025. (AP Photo)
Des manifestants brandissent des pancartes et des banderoles alors qu'ils quittent une manifestation devant l'hôtel Bell, à Epping, le 27 juillet 2025. (AP Photo)
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Publié le Jeudi 31 juillet 2025

Comment l’extrême droite instrumentalise la migration

Comment l’extrême droite instrumentalise la migration
  • La question des migrants et de la migration est devenue politiquement périlleuse au Royaume-Uni, mettant en difficulté le gouvernement centriste de Keir Starmer
  • À mesure que le monde technologique échappe à tout contrôle, les sociétés occidentales sont à la merci d’une extrême droite montante

Les manifestations violentes au Royaume-Uni, comme celles survenues ces derniers jours devant un hôtel accueillant des demandeurs d’asile à Epping, dans l’Essex, illustrent comment l’extrême droite intensifie l’utilisation de la désinformation, avec l’aide d’un univers numérique sans contrôle, pour propager la peur, la haine et des appels à l’action pouvant dégénérer en émeutes à travers le pays.

Les dernières manifestations ont éclaté presque exactement un an après les émeutes violentes à Southport et les affrontements dans plusieurs villes britanniques, à la suite du meurtre choquant de trois jeunes filles poignardées lors d’un cours de danse. Des jours d’émeutes ont secoué le pays après que le meurtrier a été rapidement présenté comme un migrant — alors qu’il s’agissait en réalité d’un adolescent né au Royaume-Uni, issu d’une famille rwandaise installée dans les années 1990.

Les scènes violentes à Epping pourraient être le symptôme d’un phénomène dépassant largement la question des demandeurs d’asile ou d’un hôtel, certaines parties semblant appliquer une nouvelle idéologie politique fondée sur la haine et la discorde civile à des fins de pouvoir. Les habitants se sont éloignés de ces violences, affirmant qu’elles ne représentent en rien leur communauté, et rappelant que rien de tel n’était jamais arrivé dans cette paisible banlieue de classe moyenne de 12 000 habitants.

Les manifestations à Epping ont débuté après l’arrestation et l’inculpation d’un demandeur d’asile de 38 ans, arrivé fin juin, pour trois agressions sexuelles. Des crimes odieux comme celui-ci, qu’ils soient commis par des locaux ou des étrangers, existent dans tous les pays du monde. Mais leur traitement relève de la police et de la justice, non de groupes ou d’activistes aux intentions cachées, qui cherchent à les instrumentaliser pour semer le trouble.

Des images des manifestations ont rapidement circulé sur les réseaux sociaux, rappelant ce qui s’est produit à Southport en juillet dernier. Comme à Southport, des groupes extérieurs à la communauté locale ont saisi l’occasion pour attiser la colère et l’indignation. Des policiers ont même été attaqués.

Ce qui rend les manifestations d’Epping particulièrement dangereuses, c’est qu’elles semblent s’inscrire dans une série de mouvements antimigrants similaires apparus ailleurs. Il y a eu des manifestations dans la ville de Diss, dans le Norfolk, devant un hôtel comparable, ainsi que des affrontements qui ont duré plusieurs jours à Ballymena, en Irlande du Nord, le mois dernier, après l’arrestation de deux adolescents d’origine roumaine accusés de tentative de viol sur une jeune fille.

À Epping, au nord-est de Londres, huit policiers ont été blessés et plus de vingt manifestants arrêtés. Des hauts responsables de la police ont averti que ces événements sont une « fusée de détresse » annonçant de futurs troubles, et un rappel de la facilité avec laquelle les tensions peuvent éclater, ainsi que du manque de préparation des forces de l’ordre.

Tous les représentants de la loi s’accordent à dire que, comme à Southport l’année dernière, ces manifestations ne sont pas issues de mouvements locaux spontanés. Ce sont les réseaux sociaux qui ont permis leur coordination entre groupes extrémistes. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’elles n’ébranlent la cohésion civique du pays, à moins que les autorités ne prennent des mesures pour faire taire les voix de la discorde. Certains cherchent sciemment à propager la haine pour se donner une stature politique et se présenter comme les défenseurs des intérêts des laissés-pour-compte de la nation, face à une prétendue « invasion » étrangère.

Les propos des dirigeants de Reform UK, le parti dirigé par Nigel Farage, s’inscrivent dans cette logique et ne doivent pas être ignorés par le gouvernement. Farage a déclaré la semaine dernière que le Royaume-Uni était « au bord d’une désobéissance civile à grande échelle », affirmant que les manifestants devant l’hôtel d’Epping étaient « de vraies familles inquiètes », bien que nombre d’entre eux portaient des cagoules pour dissimuler leur identité.

Les enjeux soulevés par ces manifestations deviennent d’autant plus préoccupants dans le contexte de telles déclarations, alors que les gouvernements — au Royaume-Uni comme ailleurs — subissent une pression croissante pour en faire plus, dans un climat de faible croissance économique.

La question des migrants et de la migration est devenue politiquement périlleuse au Royaume-Uni, mettant en difficulté le gouvernement centriste de Keir Starmer, alors que Reform, parti d’extrême droite anti-immigration, progresse dans les sondages.

À mesure que le monde technologique échappe à tout contrôle, les sociétés occidentales sont à la merci d’une extrême droite montante.

                                                          Mohamed Chebaro

Il est évident que l’immigration et la précarité alimentent la perte de confiance du public envers les responsables politiques, comme l’a souligné la vice-première ministre Angela Rayner la semaine dernière, lors d’un briefing sur un projet qu’elle pilote pour renforcer la cohésion sociale. Selon elle, ces deux facteurs sont à l’origine du désenchantement populaire. Elle a également pointé du doigt l’influence des réseaux sociaux et l’isolement croissant des individus, souvent seuls ou connectés, comme autant de facteurs favorisant l’émergence de troubles.

De nombreuses études dans le monde sont arrivées à des conclusions similaires, mais la plupart des politiques mises en place sont insuffisantes, car elles ne traitent pas les racines du problème. La majorité des démocraties occidentales sont prises au piège, entre deux périls.

À mesure que le monde numérique devient incontrôlable, les sociétés occidentales se retrouvent à la merci d’une extrême droite en pleine ascension, qui gagne en influence en exploitant la colère persistante liée aux inégalités, aux services publics défaillants et à la crise économique mondiale. Des experts alertent sur les manœuvres types d’une extrême droite internationale, à la recherche de failles systémiques à exploiter pour des gains politiques ou autres.

La question migratoire en Europe est la porte d’entrée idéale pour ces politiciens d’extrême droite et ces forces anti-establishment, qui ne cherchent pas la justice sociale mais uniquement le pouvoir.

Dès lors que les États reconnaîtront que les mouvements d’extrême droite sont connectés, structurés — et que leur principal outil est un univers numérique nocif, régi par des algorithmes incontrôlés qui diffusent des contenus toxiques et sensationnalistes — alors des solutions pourront être envisagées.

Sinon, les gouvernements occidentaux continueront de proposer des réponses inefficaces et seront balayés par le tsunami de mécontentement à venir — que l’extrême droite se tient prête à chevaucher pour servir ses propres intérêts.

Mohamed Chebaro est un journaliste libano-britannique qui a plus de 25 ans d'expérience dans les domaines de la guerre, du terrorisme, de la défense, des affaires courantes et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com