Emmanuel Macron doit lâcher du lest s'il veut sauver la démocratie française

Pour Emmanuel Macron, le déroulement des quatre prochaines années dans un contexte de colère populaire d’une telle ampleur est une réelle préoccupation (Photo, AFP).
Pour Emmanuel Macron, le déroulement des quatre prochaines années dans un contexte de colère populaire d’une telle ampleur est une réelle préoccupation (Photo, AFP).
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Publié le Jeudi 11 mai 2023

Emmanuel Macron doit lâcher du lest s'il veut sauver la démocratie française

Emmanuel Macron doit lâcher du lest s'il veut sauver la démocratie française
  • Les Français ne sont plus simplement en désaccord avec Emmanuel Macron, mais également avec le système présidentiel né avec la Ve République
  • Parrainer une nouvelle Constitution – et donc une nouvelle république – est la plus grande réussite professionnelle que le président français puisse espérer d’ici à la fin de son mandat

En 1958, Charles de Gaulle est sorti de sa retraite pour reprendre en main la scène politique désorganisée de la France. Ce faisant, le peuple français, qui a voté en masse pour les changements constitutionnels, est entré dans la Ve République, un régime à caractère nettement présidentiel.

Ce système, souvent comparé à une monarchie en raison des pouvoirs majeurs qu'il confère au président, a bien servi la France pendant près de soixante-cinq ans. Cependant, il devient de plus en plus controversé car il favorise des gouvernements unilatéraux. À titre d’exemple, après des mois de manifestations et de colère populaire, le rôle de la Constitution dans la facilitation des réformes des retraites controversées d’Emmanuel Macron a été mis en avant, alors que les manifestants scandaient «À bas la Ve République».

Emmanuel Macron a perdu l'éclat d'une nouvelle figure réformatrice un an après le début de son premier mandat. Poursuivant des réformes générales des dépenses publiques qui ont ébranlé les principes mêmes de l'État français, sa quête n'a pas été facilitée par sa tendance rapide à adopter les pratiques autocratiques de ses prédécesseurs, les rois Bourbon. Alors que son premier mandat a été caractérisé par les manifestations régulières éprouvantes du mouvement des Gilets Jaunes, il semble que son second mandat portera les cicatrices de sa refonte pyramidale du système des retraites.

Après avoir d'abord confié la tâche d’effectuer les réformes difficiles à sa Première ministre, le président français – presque inconscient de la colère populaire et de l'opposition parlementaire – a ensuite imposé le relèvement de l’âge de la retraite en utilisant l'article 49.3, un outil constitutionnel pratique permettant à la présidence d'éviter la paralysie gouvernementale et le chaos de la IVe République. Son utilisation dans ces circonstances s'est toutefois avérée excessive pour les Français qui, après des mois de grèves continues, de pénuries de carburant et d’amoncellements d'ordures, ne sont plus simplement en désaccord avec le président, mais également avec un système présidentiel du pays.

La stagnation économique a provoqué le développement de l'extrême droite et de ce fait, la popularité décroissante des présidents français

Zaid M. Belbagi

Jusqu'en 1958, les présidents français étaient très différents des figures jupitériennes actuelles. Élus par environ 80 000 fonctionnaires, ils ont supervisé un système sans consensus politique, avec un exécutif faible et caractérisé par de régulières chutes de gouvernements. Faute de majorité parlementaire, les Premiers ministres ont eu du mal à poursuivre les réformes, ce qui a conduit à un malaise politique continu, qui n'a pas été aidé par les deux guerres mondiales, l'occupation nazie et la Grande Dépression.

Les défauts du système ont atteint leur paroxysme en 1958, lorsque la guerre d'indépendance algérienne a pris la dimension d'une guerre civile et que la France a été confrontée à la perspective réelle d'un coup d'État militaire. L'incapacité du Parlement à choisir un gouvernement, associée au mécontentement populaire, a incité De Gaulle à demander la suspension du gouvernement ainsi qu’un nouveau système constitutionnel fondé sur le suffrage universel et un président fort. Les présidents ont ainsi reçu des pouvoirs exécutifs pour gouverner le pays en concertation avec un Premier ministre qu'ils nommeraient directement, ce qui n’était pas sans rappeler les anciens rois de France.

Ce qui a retardé toute critique de ce modèle, ce sont les «Trente Glorieuses», période au cours de laquelle l'industrie et l'économie françaises ont connu une croissance exponentielle, mettant fin aux difficultés des années de guerre. Cette prospérité a encouragé un système dans lequel les Français renonçaient à une partie importante de leurs revenus, mais obligeaient en retour l'État à soutenir de généreuses dépenses publiques.

Cependant, la stagnation économique a par la suite provoqué le développement de l'extrême droite et, avec elle, la baisse de popularité des présidents français, de Jacques Chirac à Emmanuel Macron. La désillusion du peuple à l’égard de ce système, qui visait initialement les présidents à titre individuel, englobe désormais un système qui est considéré comme donnant du pouvoir aux plus puissants tout en s’éloignant de toute notion d'égalité, chère aux citoyens français. Dans ce contexte, les pouvoirs consacrés par la Constitution sont de plus en plus dépassés.

La colère actuelle illustre clairement les lacunes d'un système dans lequel le Parlement peut souvent sembler superflu.

Zaid M. Belbagi

Lors des remous de la fin des années 1950, De Gaulle et son gouvernement se sont vu accorder six mois pour gouverner par décret. L'article 49.3 est venu garantir ce dispositif autocratique. S'il est peu probable que De Gaulle ait envisagé son utilisation régulière, l'actuelle Première ministre française, Élisabeth Borne, l'a utilisé onze fois au cours des dix derniers mois.

La colère actuelle autour du relèvement de l'âge de la retraite illustre clairement les lacunes d'un système dans lequel le Parlement peut souvent sembler superflu. Le taux de chômage le plus bas depuis des décennies et le rôle croissant de la France comme plaque tournante des services financiers n'ont guère atténué la colère de la population face à un système que les citoyens français d’aujourd’hui considèrent comme trop centralisé et donnant le pouvoir à une élite de technocrates avec une philosophie politique de «né pour gouverner», qu'ils voient comme étant incarnée par Macron.

L'isolement politique du président Macron a conduit l’été dernier à des luttes électorales, avec des avancées pour l'extrême gauche et l’extrême droite. Même avant la réforme des retraites, l'extrême gauche appelait à une «VIe République» pour neutraliser les pouvoirs de ce que son chef, Jean-Luc Mélenchon, a décrit comme le "président monarque"». Alors qu’Emmanuel Macron continue de s'appuyer sur les composantes impopulaires du système hyperprésidentiel, il renforce les extrémistes populistes qui pourraient très bien hériter des mêmes pouvoirs autoritaires si le président continuait de sombrer.

La réforme des retraites en France sera une réalité à partir de septembre. Cependant, pour Emmanuel Macron, le déroulement des quatre prochaines années dans un contexte de colère populaire d’une telle ampleur est une réelle préoccupation. Il ne reste plus à Emmanuel Macron, qui cherche à s'attaquer à des questions politiques controversées dans l'espoir de consacrer son héritage politique, qu’à rechercher un système politique plus inclusif durant le temps qu'il lui reste au pouvoir. Parrainer une nouvelle Constitution – et donc une nouvelle république – est la plus grande réussite professionnelle qu'il puisse espérer. La seule question est de savoir s'il lâchera du lest pour sauver la démocratie française.

 

Zaid M. Belbagi est chroniqueur politique, et conseiller de clients privés entre Londres et le CCG. Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com