Liban: un Parlement «à la carte»!

Le président du Parlement libanais, Nabih Berri (C), dirige la 12e session parlementaire pour élire un nouveau président dans le centre-ville de Beyrouth, le 14 juin 2023. (AFP)
Le président du Parlement libanais, Nabih Berri (C), dirige la 12e session parlementaire pour élire un nouveau président dans le centre-ville de Beyrouth, le 14 juin 2023. (AFP)
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Publié le Samedi 17 juin 2023

Liban: un Parlement «à la carte»!

Liban: un Parlement «à la carte»!
  • Le tandem chiite refuse toute concession au sujet de la candidature de M. Frangié
  • L’élection d’un candidat totalement dévoué à la milice pro-iranienne précipiterait définitivement le Liban dans la sphère d’influence iranienne

Le Parlement libanais vient une nouvelle fois d’échouer à élire un président de la République. En réalité, c’est la douzième fois que le Parlement se réunit en vue d’accomplir sa mission première: mettre fin à une vacance présidentielle qui dure depuis plus de huit mois. 

Toutefois, il y avait eu ces dernières semaines un développement majeur après que les partis majoritairement chrétiens ainsi que ceux de l’opposition se sont mis d’accord autour d’un nouveau candidat, M. Jihad Azour, haut fonctionnaire au Fonds monétaire international (FMI). Cette candidature avait réussi à réunir un large éventail politique autour de l’opposition chrétienne farouche qui s’est manifestée face au candidat du tandem chiite (le mouvement Amal et le Hezbollah, NDLR), le chef du parti Marada, M. Sleiman Frangié. 

Toutes les prévisions donnaient le candidat de l’opposition gagnant au premier tour ainsi qu’au second, où il n’aurait eu qu’à obtenir une majorité simple de 65 voix sur les 128 qui représentent l’ensemble des députés pour devenir le prochain président de la république libanaise. 

Or, dans un pays comme le Liban, les choses ne sont pas aussi faciles qu’il n’y paraît. Autrement dit, avoir plus de soutiens ou de voix ne veut pas forcément dire qu’un candidat sera élu. Et pour cause: le système politique confessionnel au Liban donne aux trois grandes formations confessionnelles, les maronites (rappelons que le président doit être issu de cette communauté), les chiites et les sunnites, la possibilité de poser un veto contre  toute action politique, voire administrative, à tous les niveaux de l’appareil de l’État. C’est le président du Parlement et chef du parti chiite Amal, allié du Hezbollah, Nabih Berri, qui s’est chargé de convoquer le Parlement pour l’élection du président. Il a lui-même orchestré la sortie d’un nombre suffisant de députés afin de perdre le quorum et d’empêcher la tenue d’une seconde session – au cours de laquelle le candidat Azour, qui avait obtenu lors de la première plus de voix que le candidat Frangié (59 contre 51), se serait «dangereusement rapproché de la barre des 65 voix nécessaires à son élection». 

On a ainsi assisté à une gestion «à la carte» des affaires du Parlement libanais. En somme, les Libanais ont subi, impuissants, une nouvelle démonstration du peu de scrupules dont fait preuve une grande partie d’une classe politique qui refuse de voir en face les souffrances des Libanais. 

Néanmoins, la partie n’est pas terminée. À Beyrouth s’engage une nouvelle période de vide présidentiel. Le tandem chiite refuse toute concession au sujet de la candidature de M. Frangié. C’est un candidat qui, selon le chef de la milice pro-iranienne Hassan Nasrallah, serait à même de «protéger les arrières» de «la résistance» (le Hezbollah). Cette «qualité» fait son entrée dans le dictionnaire politique libanais. Dans l’hypothèse où le tandem réussirait à mettre Frangié en place au palais présidentiel, elle deviendrait de fait la condition sine qua none afin pour devenir président.

Laisser faire le Hezbollah sur la scène libanaise, arabe et internationale sans tenter de s’opposer à lui représenterait un précédent dangereux. L’élection d’un candidat totalement dévoué à la milice pro-iranienne pourrait finir par provoquer des changements dramatiques dans ce pays à la fois simple et compliqué. Elle précipiterait définitivement le Liban dans la sphère d’influence iranienne. Cette éventualité bousculerait le fragile équilibre des forces entre les différentes composantes confessionnelles libanaises. Elle déclencherait une colère populaire au sein de la composante chrétienne, qui réclamerait le fédéralisme en s’opposant à l’État centralisé. Enfin, l’élection d’un président dévoué au Hezbollah finirait par détruire l’identité culturelle première du pays du Cèdre. 

C’est vers le monde arabe que se tournent la plupart des Libanais. En effet, ils se sentent aujourd’hui bien seuls face à ce rouleau compresseur iranien qui menace d’écraser le petit pays qu’est le Liban.

 

Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban. 

Twitter: @AliNahar

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.