Trois scénarios pour une percée improbable sur la Syrie

Les ministres des Affaires étrangères, Sergei Lavrov (Photo, Fournie).
Les ministres des Affaires étrangères, Sergei Lavrov (Photo, Fournie).
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Publié le Lundi 26 juin 2023

Trois scénarios pour une percée improbable sur la Syrie

Trois scénarios pour une percée improbable sur la Syrie
  • Aujourd'hui, la Syrie est de facto divisée en trois régions
  • Le troisième et meilleur scénario est un accord nord-est-nord-ouest

Mercredi, le Kazakhstan a surpris tout le monde, notamment les Russes, en déclarant qu'il cesserait d'accueillir les pourparlers visant à résoudre le conflit syrien. L'annonce a été faite alors que les délégués clôturaient le 20e cycle de négociations, qui s'est tenu dans la capitale, Astana.

Cette décision se fonde sur le fait que les pourparlers entamés en 2017 ont atteint leur objectif. Cependant, en réalité, nous sommes loin d'une solution politique en Syrie. Une solution militaire n'est pas non plus à l'ordre du jour: le régime syrien ne peut pas faire face aux Américains au nord-est ou aux Turcs au nord-ouest. Ni la Turquie ni les États-Unis ne sont prêts à un nouveau face-à-face en Syrie.

Aujourd'hui, la Syrie est de facto divisée en trois régions. Le nord-est est contrôlé par les Forces démocratiques syriennes. Le Parti de l'Union démocratique kurde, connu sous le nom de PYD, est à l’origine des Forces démocratiques syriennes FDS, mais la Turquie considère ce groupe comme la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan, ou le PKK, le groupe terroriste qui mène des opérations sur le sol turc.

Les FDS opèrent sous protection américaine. Dans le nord-ouest, Hayat Tahrir al-Cham, anciennement connu sous le nom de Front Al-Nusra, est le principal groupe armé. Le nord-ouest — ou la grande région d'Idlib — est sous la protection de la Turquie. Le reste de la Syrie est sous le contrôle du régime d’El-Assad, certaines zones étant gérées par la Russie et d'autres par l'Iran.

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«Même si le régime syrien parvient à un accord, les Kurdes savent qu'il reviendra sur ses promesses.» 

Dania Koleilat Khatib

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Pour qu'il y ait une percée, ces trois régions doivent être réconciliées. Si deux de ces régions s'unissaient, cela mettrait la pression sur le troisième. Il existe trois scénarios possibles, mais ils sont tous aussi difficiles à réaliser; il est donc très probable que nous restions dans l'impasse.

Le premier scénario est celui d'un accord entre le régime syrien et les FDS. Cet accord serait encouragé par les Russes, accepté par les pays du Golfe et même toléré par les Etats-Unis. Brett McGurk, qui s'occupe actuellement du Moyen-Orient pour le Conseil national de sécurité des États-Unis, a écrit un article dans le magazine Foreign Affairs en 2019, dans lequel il a déclaré que la guerre en Syrie ne prendrait pas fin à la suite de la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies, mais plutôt par un accord entre les Kurdes et le régime.

Bien que les estimations varient, les FDS comptent environ 50 000 combattants entraînés et équipés par les États-Unis. Ils pourraient constituer l'ossature de l'armée syrienne et renforcer les forces d'El-Assad, soumises à des pressions financières. Cependant, les diverses discussions entre le PYD et le régime n'ont abouti à aucune avancée. Même si le régime syrien parvient à un accord, les Kurdes savent qu'il reviendra sur ses promesses.

De plus, le régime d’El-Assad, qui se considère comme le vainqueur de la guerre de 12 ans, ne ressent pas le besoin de céder quoi que ce soit aux Kurdes, qui se trouvent dans une position précaire. Il y a beaucoup de tensions avec la population arabe. Ils sont protégés par une force américaine minimale et sont constamment attaqués par les Turcs.

Le deuxième scénario possible est une prolongation des pourparlers d'Astana. Il s'agit d'un rapprochement entre la Turquie et Bachar el-Assad. Toutefois, ce scénario est tout aussi difficile à mettre en œuvre. Tout d'abord, la récente ouverture du président turc, Recep Tayyip Erdogan, à El-Assad était principalement à des fins électorales. L'opinion publique turque est de plus en plus hostile aux réfugiés syriens. L'opposition rendait Erdogan responsable du problème, affirmant qu'il empêchait leur retour en raison des mauvaises relations qu'il entretient avec Damas.

L'une des principales promesses de campagne des opposants d'Erdogan avant les élections présidentielles et législatives du mois dernier était de garantir le retour des réfugiés par le biais de négociations avec Damas. Erdogan a voulu retirer cet argument de l'arsenal de l'opposition et il a donc annoncé qu'il était prêt à rencontrer El-Assad pour la «paix» dans la région. Maintenant qu'Erdogan a remporté un nouveau mandat, il est peu probable qu'une telle rencontre ait lieu.

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«Erdogan, qui soutient l'opposition depuis plus de dix ans, ne peut pas la laisser tomber.»

Dania Koleilat Khatib

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El-Assad, qui a toujours eu une attitude intransigeante, conditionne toute rencontre à un retrait turc du nord-ouest. Cela est totalement irréaliste. Les habitants d'Idlib sont irréconciliables avec le régime syrien. Si le régime attaquait Idlib, il en résulterait une nouvelle vague de réfugiés que la Turquie ne pourrait pas accueillir, alors que la communauté internationale ne veut pas non plus voir une nouvelle vague de réfugiés ou un nouveau carnage créé par les forces d’El-Assad. De même, malgré sa rhétorique, El-Assad ne pouvait pas gérer Idlib avec tous les problèmes qu'elle connaît. Et Erdogan, qui soutient l'opposition depuis plus de dix ans, ne peut pas la laisser tomber. Cela affecterait grandement son image et sa crédibilité.

Le troisième et meilleur scénario est un accord nord-est-nord-ouest. Il est tout aussi difficile pour la simple raison qu’Ankara n'estime pas devoir faire de concessions aux Kurdes. Le problème du PKK est résolu à l'intérieur du pays, maintenant le PYD sous contrôle par diverses méthodes coercitives. Bien qu'une telle solution permette, à long terme, d'atteindre la stabilité, ce qui serait dans le meilleur intérêt de la Turquie, la politique turque a été menée de manière transactionnelle. Du point de vue turc, il n'est pas nécessaire de faire des concessions à un ennemi plus faible. De plus, la Turquie ne fait pas confiance au PYD, estimant que le groupe reviendra sur ses promesses dès qu'il en aura l'occasion.

Pour que cet accord se concrétise, Washington doit intervenir et conclure un marché avec la Turquie, donnant des garanties de sécurité à Ankara et aux Kurdes. L'accord devrait inclure que le PYD rende ses armes lourdes et moyennes. Le conseil local, aujourd'hui contrôlé par le PYD, doit également être élu démocratiquement afin de représenter la diversité des communautés et de réduire l'influence du PYD.

Afin de s'assurer que ces changements sont maintenus, des observateurs internationaux devraient être déployés. En contrepartie, la Turquie ouvrira sa frontière et autorisera l'écoulement de l'eau. Ankara a utilisé l'eau de l'Euphrate comme mesure coercitive contre les Kurdes en Syrie.

Cette solution, bien que difficile à atteindre, est la meilleure option car elle créera une pression suffisante sur El-Assad et ses alliés pour qu'ils respectent la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies et qu’ils acceptent une transition politique qui mettra fin au conflit.

 

  • Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la diplomatie à deux voies.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com