Comment la Chine peut offrir à Abbas une bouée de sauvetage politique

Le président palestinien Mahmoud Abbas assiste à une réunion avec le Premier ministre chinois Li Qiang à Pékin le 15 juin 2023. (REUTERS)
Le président palestinien Mahmoud Abbas assiste à une réunion avec le Premier ministre chinois Li Qiang à Pékin le 15 juin 2023. (REUTERS)
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Publié le Dimanche 25 juin 2023

Comment la Chine peut offrir à Abbas une bouée de sauvetage politique

Comment la Chine peut offrir à Abbas une bouée de sauvetage politique
  • Pékin est disposé à investir, à mettre son argent et d'autres ressources en jeu avec les Arabes, tandis que les Américains et d'autres pays occidentaux sont réticents à partager leur technologie ou à travailler en partenariat avec les hommes d'affaires ar
  • Plutôt que d'adopter un rôle négatif vis-à-vis d'Israël, Pékin cherchera d'autres moyens de faire valoir son influence politique

Ceux qui suivent la stratégie politique de Mahmoud Abbas savent qu’il a un esprit unique. Le président palestinien rejette toute forme de résistance violente à l’occupation israélienne. Il a mis tous ses œufs dans le panier diplomatique. 

Abou Mazen – comme l’appellent ses amis – reconnait le déséquilibre de pouvoir qui existe. Il sait que les Palestiniens ne peuvent pas changer cet équilibre par une résistance violente. Depuis qu’il est au pouvoir, (et bien avant, voire pendant les négociations d’Oslo), il a toujours cru que le plus grand atout des Palestiniens est la justice de leur cause, et que le soutien du monde entier peut rectifier le déséquilibre actuel. 

C'est pourquoi le dirigeant palestinien vieillissant n'a pas hésité une seconde à accepter l'invitation de Pékin pour une visite d'Etat officielle de quatre jours en Chine. Abbas laisse entendre depuis un certain temps que si les Palestiniens ne négligent pas le rôle important de Washington dans le rétablissement de la paix, il doit y avoir une autre partie pour s'assurer que le soutien aveugle des États-Unis à Israël n'entraîne pas la poursuite de l'occupation et de la colonisation des territoires palestiniens occupés. 

La direction palestinienne entretient depuis des décennies de bonnes relations avec la Chine. Pékin a toujours soutenu les droits des Palestiniens et a été l'un des premiers pays à reconnaître l'État de Palestine. La Chine est également étroitement impliquée dans des liens économiques avec Israël.

La politique étrangère chinoise s'est récemment montrée plus assertive au Moyen-Orient, son effort le plus réussi récemment étant la promotion du rapprochement entre l'Iran et l'Arabie saoudite. Les relations sino-saoudiennes se sont tellement améliorées que plus de 10 milliards de dollars de contrats ont été signés lors de la première journée d'une conférence économique à Riyad ce mois-ci.

Une personne proche du président palestinien souligne que ce qui distingue les Chinois des Américains, c'est que Pékin est disposé à investir, à mettre son argent ainsi que d'autres ressources en jeu avec les Arabes, tandis que les Américains et d'autres pays occidentaux sont réticents à partager leur technologie ou à travailler en partenariat avec les hommes d'affaires arabes.

Lors du dernier sommet de la Ligue arabe à Riyad en mai, le président chinois Xi Jinping a invité le dirigeant palestinien à une visite d'État. Celle-ci a débuté le 13 juin et avait pour objectif de montrer la profondeur des relations sino-palestiniennes. La visite a été présentée comme une célébration des 35 ans de relations sino-palestiniennes, bien que les liens entre l'OLP et le Parti communiste chinois remontent à plusieurs décennies avant cela.

«Il doit y avoir une autre partie pour s'assurer que le soutien inconditionnel des États-Unis à Israël ne conduise pas à la poursuite de l'occupation et des colonies dans les territoires palestiniens occupés.» Daoud Kuttab

La Chine souhaite renforcer ses relations avec le monde arabe, convaincue qu'un effort sérieux est nécessaire pour soutenir les Palestiniens. Ces derniers aimeraient voir une aide plus importante et directe de la Chine et des investissements en Palestine, et souhaiteraient qu'une autre superpuissance défie la domination américaine au Moyen-Orient.

Selon la base de données de la COMTRADE des Nations Unies sur le commerce international, les exportations d'Israël vers la Chine en 2022 ont été estimées à 4,68 milliards de dollars, (1 dollar = 0,91 euro) tandis que les exportations de la Chine vers Israël ont atteint 16,48 milliards de dollars. Au cours des 21 dernières années, les exportations chinoises vers la Palestine ont augmenté à un taux annuel moyen de 19,2 %, passant de 6,15 millions de dollars en 2000 à 248 millions de dollars en 2021. Les exportations palestiniennes vers la Chine, principalement dans le domaine de l'art et de la sculpture, ont augmenté à un taux annuel moyen de 7,28 %, passant de 76 900 dollars en 2000 à 337 000 dollars en 2021.

Le soutien de la Chine aux droits des Palestiniens aux Nations Unies est presque parfait. Or, bien que la Chine soit membre permanent du Conseil de sécurité, sa position n'a guère été traduite en actions concrètes. Alors que Pékin se prépare à jouer un rôle politique plus important dans la région, il est possible que sa présence s'intensifie.

Cependant, il est peu probable que la Chine puisse réaliser une percée quelconque avec le gouvernement israélien actuel, malgré les tensions entre Tel Aviv et Washington. Ces tensions sont en grande partie basées sur la profonde méfiance de Joe Biden envers Benjamin Netanyahu et le soutien du président américain à son aile progressiste, qui s'oppose aux réformes judiciaires controversées et divisantes du Premier ministre israélien.

Les responsables palestiniens admettent que la Chine n'utilisera pas son poids économique pour faire pression sur Israël. Ce n'est pas la manière d'opérer de la Chine. Plutôt que d'adopter un rôle négatif vis-à-vis d'Israël, Pékin cherchera d'autres moyens de faire valoir son influence politique.

Ainsi, bien que la visite du dirigeant palestinien en Chine ait été davantage axée sur l'économie que sur la politique, on espère que la Chine pourra utiliser sa puissance économique pour réaliser des avancées politiques. Les responsables palestiniens espèrent également en secret que l'implication de la Chine servira de réveil aux Américains, les poussant à adopter un rôle plus proactif alors que le cycle de violence dans le conflit s'intensifie.

Le pouvoir de la Chine découle également du fait qu'elle renforce sa présence à l'échelle mondiale grâce à son style de politique étrangère axé sur les partenariats en matière de développement, de sécurité et de technologie. Elle s'efforce de construire un ordre mondial multipolaire afin de réduire la domination américaine.

De nombreux pays du Sud, d'Afrique et d'Amérique latine, trouvent dans la Chine, dans l'Organisation de coopération de Shanghai et dans le groupe BRICS, une nouvelle voie de développement ainsi qu’un moyen de s'éloigner de la domination occidentale. Ils constatent ainsi que la Chine offre la possibilité de créer une voie parallèle visant à établir un équilibre dans les relations avec les pays occidentaux contrôlés par les États-Unis, avec leur système financier et l'imposition de l'économie du dollar ainsi que la protection militaire.

Abbas et sa délégation ont été accueillis royalement en Chine. Ils sont rentrés chez eux optimistes quant à la détermination avec laquelle la Chine poursuivra ses objectifs au Moyen-Orient, y compris un effort sérieux pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Le dirigeant palestinien de 86 ans ne peut rien dire ou faire concernant les actions oppressives actuelles de l'armée israélienne et des colons en Palestine. Mais ce que Abbas espère, c'est ramener la raison politique et la diplomatie au premier plan.

Le temps dira s'il pourra reproduire son succès dans l'accord entre l'Iran et l'Arabie saoudite sur le conflit israélo-palestinien. Pour Abbas, il s'agit peut-être de sa dernière chance de faire évoluer la situation politique et de sauver la solution à deux États, ainsi que son propre héritage politique.

Daoud Kuttab est un ancien professeur de l'université de Princeton et le fondateur et ancien directeur de l'Institut des médias modernes de l'université Al-Quds à Ramallah.

Twitter: @daoudkuttab

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com