Les Palestiniens, unis par leur histoire tragique, divisés par la politique

Un manifestant affronte les forces israéliennes lors d'une manifestation contre le projet israélien d'annexer des parties de la Cisjordanie occupée, Tulkarem, 5 juin 2020 (Photo, Reuters).
Un manifestant affronte les forces israéliennes lors d'une manifestation contre le projet israélien d'annexer des parties de la Cisjordanie occupée, Tulkarem, 5 juin 2020 (Photo, Reuters).
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Publié le Vendredi 11 décembre 2020

Les Palestiniens, unis par leur histoire tragique, divisés par la politique

Les Palestiniens, unis par leur histoire tragique, divisés par la politique
  • Le pire anniversaire de la tragique histoire palestinienne est celui des massacres de 1982 dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila au Liban
  • Ce sont les tragédies qui définissent la lutte palestinienne. Mais en réalité, la véritable définition de la tragédie des Palestiniens est leur incapacité à parler d’une seule voix puissante et unique

C’est comme si chaque jour marquait l'anniversaire d'une tragédie ou d'une souffrance dans l'histoire palestinienne. La souffrance est devenue l’essence même de l’identité palestinienne – elle nous rassemble et nous définit en tant que peuple.
C’est comme ça que j’ai grandi, avec en permanence en tête ce calendrier des événements de l’histoire palestinienne. Ces dates ont influencé ma façon d’être. En 1989, j'ai même créé une base de données appelée «Baladi», qui documentait chronologiquement les tragédies et les événements douloureux palestiniens, mais la tâche était ardue et immense, car toutes ces données que je collectais me semblaient ne pas avoir de fin. 
Le 29 novembre est l’anniversaire du vote de partition de 1947 à l'Organisation des nations unies (ONU) – une action qui a conduit à la Nakba (déplacement forcé de 700 000 Palestiniens lors de la création de l'État d'Israël en 1948), une cicatrice indélébile dans nos vies. Le pire anniversaire, cependant, reste celui des massacres de 1982 dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila au Liban, qui ont commencé le 16 septembre. Pendant trois jours, il y a eu un nombre tellement important de civils massacrés que même aujourd’hui, personne ne sait exactement combien d’hommes, de femmes et d’enfants ont été assassinés de sang-froid.
Le massacre de Deir Yassin
Mais ces événements n’ont pas été uniques dans la longue histoire tragique des Palestiniens. Le 9 avril 1948, deux organisations terroristes – dont les dirigeants sont plus tard devenus Premiers ministres d'Israël – ont massacré les habitants d'un village agricole non combattant appelé Deir Yassin. Le nombre de personnes tuées n’est pas vraiment connu. Les  premières informations faisaient état de 250 victimes, mais plus tard, après des années de propagande israélienne dans les médias d'information occidentaux, le nombre de victimes a été réduit à environ 100 (comme s'il existait une différence morale entre massacrer 100 innocents au lieu de 250). 
Le 5 juin 1967 est le jour où les Arabes sont entrés en guerre contre Israël. Les bombardements de l'Égypte et la collusion avec la Syrie et la Jordanie ont donné à Israël l'excuse de lancer une attaque «préventive» qui a brisé la fierté arabe en six jours seulement. Le 8 juin, les forces israéliennes ont attaqué l'USS Liberty alors qu'il se trouvait dans les eaux internationales à environ 25 milles marins d’Arish, en Égypte. Le navire surveillait le conflit alors qu'Israël envahissait la Jordanie et prenait le contrôle de Jérusalem-Est arabe. Lors de l'attaque du Liberty, Israël a tué 34 militaires américains et en a blessé 171 autres. C'est un miracle que le navire n'ait pas coulé et tué chacun des 358 Américains à bord.

Chaque année, le 25 février, il est un autre jour que les Palestiniens commémorent: ce jour de 1994, où un extrémiste à la double citoyenneté américaine et israélienne, a pénétré dans la mosquée Ibrahimi à Hébron, vêtu d'un uniforme militaire israélien et équipé d'une mitrailleuse militaire israélienne.

Il a tué 29 musulmans agenouillés pour la prière, et en a blessé 125 autres. L'agresseur, Baruch Goldstein, qui, ironiquement, était un médecin et avait juré de sauver des vies et non de les faucher, a ensuite été battu à mort par des survivants.
Quelques semaines plus tard, le 6 avril, les Palestiniens ont riposté avec l'un des premiers attentats-suicides majeurs, qui a visé un arrêt de bus à Afula alors utilisé par des soldats israéliens réservistes. Huit Israéliens ont été tués et 55 autres ont été blessés.
Un mercredi, il y a trente-trois ans exactement, un camion militaire israélien est entré en collision avec une voiture civile transportant quatre Palestiniens, qui rentraient chez eux dans le camp de réfugiés de Jabalia dans le nord de la bande de Gaza, les tuant tous et provoquant la première Intifada. Les émeutes se sont ensuite propagées à Gaza, en Cisjordanie et même en Israël. Elles ne se sont pas arrêtées pendant plus de quatre ans, faisant craindre une guerre civile contre le gouvernement d’apartheid israélien et l’occupation militaire. Si l'Intifada a eu un effet positif, c’est qu’elle a suscité un tel sentiment d’urgence sur la question du leadership des manifestations entre les rivaux du Fatah et du Hamas, que cela a poussé le président de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat, à discuter de la paix avec Israël.
Le poison de la division
J'étais là-bas quand Yasser Arafat et le Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin – un général bien connu pour avoir ordonné à ses soldats de «briser les os» des manifestants palestiniens – se sont serré la main devant la Maison-Blanche, le 13 septembre 1993. Cependant, la paix s’est rapidement éloignée, lorsqu’un Israélien a assassiné Rabin lors d'un «rassemblement pour la paix», le 4 novembre 1995.
Ces exemples de dates d’anniversaire ire tragiques et désespérées sont le vrai seul lien qui unit les Palestiniens,  bien au-delà  de leurs divisions politiques. Ils alimentent la colère, mais n'ont pas suffi à alimenter l'unité globale. Les Palestiniens ont été définis par la division, peut-être même une forme sociopolitique de partition qui est bien plus destructrice que la partition réelle de 1947.
Cette chronologie pourrait une manière de définir la tragédie palestinienne. Mais, pour moi, la vraie tragédie n’est pas là : elle réside dans la facilité avec laquelle les Palestiniens attaquent les leurs, se noient dans la division et la rivalité, et affaiblissent leur pouvoir moral.
Aujourd'hui, ce sont les tragédies qui définissent la lutte palestinienne, marquée par la commémoration de dates sombres. Mais en réalité, la véritable définition de la tragédie des Palestiniens est leur incapacité à parler d’une seule voix puissante et unique. C’est surtout cet échec qui marque chaque jour l’histoire des Palestiniens.

Ray Hanania est un ancien journaliste politique et chroniqueur à l'hôtel de ville de Chicago. Il est joignable sur son site web à l'adresse www.hanania.com.
Twitter: @RayHanania
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com