«Pourquoi le conflit soudanais n'est-il pas important pour l'ONU?» demande la représentante permanente de l'Érythrée

Sophia Tesfamariam, ambassadrice de l'Érythrée auprès des Nations unies (Photo, Arab News).
Sophia Tesfamariam, ambassadrice de l'Érythrée auprès des Nations unies (Photo, Arab News).
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Publié le Vendredi 29 septembre 2023

«Pourquoi le conflit soudanais n'est-il pas important pour l'ONU?» demande la représentante permanente de l'Érythrée

  • La représentante permanente de L'Érythrée auprès des Nations unies, Sophia Tesfamariam, exhorte les Africains à renforcer leurs institutions et à trouver leurs propres solutions dans une interview accordée à Arab News
  • Elle évoque avec franchise les défis auxquels le continent africain est confronté et souligne la nécessité de réformes pour faire de l'ONU une organisation plus efficace

NEW YORK: Alors que la 78e session de l'Assemblée générale des Nations unies s'achevait mardi, il était clair que le rideau n'était pas près de tomber sur les conversations concernant les tensions entre le Nord et le Sud, le rôle des Nations unies dans un ordre mondial multipolaire émergent et la persistance obstinée des conflits et des inégalités dans le monde.

Lors d'une interview franche en marge de l'événement à New York, Sophia Tesfamariam, représentante permanente de l'Érythrée auprès des Nations unies, a fait part à Arab News de son point de vue sur l'état actuel des conflits dans le monde, en mettant particulièrement l'accent sur la situation au Soudan, déchiré par la violence, et sur la dynamique de la diplomatie africaine.

Diplomate chevronnée, elle n'a pourtant pas mâché ses mots pour évoquer la myriade de défis auxquels sa région et le reste du monde sont confrontés, tout en soulignant la nécessité de réformer l'ONU pour en faire une institution plus efficace, de forger de véritables partenariats qui respectent les voix africaines, et de permettre aux nations africaines de prendre en main leur propre destin.

Tesfamariam a également donné son point de vue sur les origines et les conséquences du conflit au Soudan, pays voisin de l'Érythrée à l'ouest, qui continue de s'intensifier et ne montre aucun signe d'apaisement, alors que des atrocités et des violations des droits de l'homme sont continuellement signalées, notamment des violences sexuelles et l'enfouissement de cadavres dans des fosses communes.

EN BREF

  • L'Érythrée, qui a obtenu son indépendance de l'Éthiopie en 1993, occupe une zone stratégiquement importante dans la Corne de l'Afrique.
  • La représentante de l'Érythrée auprès des Nations unies, Sophia Tesfamariam, souhaite que le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, s'exprime sur les questions africaines.

Le conflit qui oppose les forces armées soudanaises aux forces de soutien rapide a déjà fait plus de 4 000 morts et au moins 12 000 blessés. Il a provoqué le déplacement de 5,3 millions de personnes à l'intérieur du Soudan et a envoyé une marée humaine de réfugiés dans les pays voisins, notamment en Érythrée. Dans la région occidentale du Darfour, théâtre d'une campagne génocidaire au début des années 2000, le conflit s'est transformé en violence ethnique, l'ONU et les groupes de défense des droits signalant que les Forces de soutien rapide et les milices arabes alliées attaquent les tribus et les clans africains.

Vue de la destruction d'un marché aux bestiaux à Al-Fasher, la capitale de l'État du Nord-Darfour au Soudan, dans le cadre de la guerre entre les forces armées soudanaises et les forces paramilitaires de soutien rapide, le 1er septembre (Photo, AFP).

Tesfamariam a décrit le choc ressenti dans la région lorsque le Soudan est entré dans la tourmente, affirmant qu'il s'agissait de quelque chose «qui n'aurait jamais dû se produire» parce que cela va à l'encontre de «la culture du peuple soudanais, de son histoire, et de ses origines».

«Pour les Soudanais, la guerre en plein milieu de leurs villages, en plein milieu des villes, cette guerre urbaine est nouvelle. Personne ne peut s'y habituer», a-t-elle ajouté.

Salle bondée dans un hôpital d'Al-Fasher, dans la région du Darfour-Nord au Soudan, où de nombreuses personnes ont été blessées dans les combats en cours (Photo, Ali Shukur/MSF/AFP).

La crise ne peut pas être attribuée uniquement à une bataille d'égo entre les chefs des deux forces militaires, a jugé Tesfamariam. Elle croit plutôt que «cet acte final» est le résultat des interventions extérieures, historiques et plus récentes, souvent motivées par des intérêts militaires et économiques, qui ont entravé la capacité du peuple soudanais à prendre en charge son propre destin et son propre développement depuis qu'il a accédé à l'indépendance.

Bien que le peuple soudanais ait initié la révolution qui a conduit au renversement du président Omar Bachir en avril 2019, ses aspirations ont été apparemment détournées par divers intérêts extérieurs, régionaux et internationaux, ce qui a contribué aux affrontements actuels entre les factions au sein du pays, selon Tesfamariam.

Un incendie qui fait rage dans la tour de la Compagnie pétrolière du Grand Nil à Khartoum, au milieu des combats entre l'armée régulière et les forces paramilitaires de soutien rapide, en septembre (Photo, AFP).

«À mon avis, c'est ce qui a incité les deux parties (les forces armées soudanaises et les forces de soutien rapide) à voir qui prendrait le dessus», a-t-elle expliqué.

 «Si vous voulez lever les voiles pour voir où se trouve la source de ce conflit, vous trouverez que l'intervention étrangère est coupable», a-t-elle indiqué.

Le conflit, qui a débuté le 15 avril, est venu s'ajouter à une crise humanitaire déjà grave qui ravage le Soudan depuis des décennies. La situation est devenue si désespérée qu'environ 25 millions de personnes ont besoin d'aide pour survivre, mais les agences humanitaires sont paralysées par le manque d'accès, les conditions précaires sur le terrain et les restrictions bureaucratiques qui pèsent sur leurs mouvements, tant à l'intérieur du Soudan que vers les endroits où les besoins sont les plus intenses.

Tesfamariam a souligné les relations historiques entre son pays et le Soudan. Il fut un temps, par exemple, où le Soudan accueillait les réfugiés érythréens pendant la lutte pour l'indépendance de l'Éthiopie, qui a duré des décennies et s'est achevée en 1991.

Une femme éthiopienne marche en portant des paquets sur son dos dans la ville frontalière de Metema, dans le nord-ouest de l'Éthiopie, le 1er août 2023 (Photo, AFP).

«Nous ne faisons pas de camps de réfugiés», a-t-elle déclaré. «Ce sont des Soudanais. C'est leur maison. Ils peuvent venir à tout moment. Et s'ils ont besoin de se réfugier en Érythrée aujourd'hui, les communautés érythréennes les accueilleront comme s’ils étaient des leurs, tout comme ils nous ont accueillis lorsque nous allions au Soudan.

«La situation humanitaire est donc pour nous une nécessité historique, presque une occasion de rendre au peuple soudanais ce qu'il a fait pour nous et ce qu'il continue de faire pour nous depuis toutes ces années», a-t-elle mentionné.

Quant à la communauté internationale, Tesfamariam a exprimé sa déception face à son incapacité à forcer les factions belligérantes à accepter une trêve durable, malgré de nombreuses tentatives.

«Un cessez-le-feu de vingt-quatre heures, un autre de quarante-huit heures – qu'est-ce que cela signifie?», s’est-elle demandé. «En quoi le fait de savoir que les combats vont s'arrêter pendant vingt-quatre heures peut-il vous donner de l'espoir en tant que résident? Et que se passe-t-il après vingt-quatre heures?

«Ainsi, ces négociations de cessez-le-feu interminables et dénuées de sens qui ne mènent nulle part m'indiquent que la communauté internationale ne souhaite pas sérieusement mettre un terme au conflit au Soudan et que les parties belligérantes ne sont pas sérieuses dans leurs engagements envers leur peuple.»

Un convoi du Programme alimentaire mondial (Pam) dans le village d'Erebti, en Éthiopie, le 9 juin 2022, en route vers le Tigré, où des centaines de milliers de personnes ont été déplacées par la guerre (Photo, AFP).

Tesfamariam a évoqué ce qu'elle a décrit comme «l'ineptie totale et l'échec complet» du système des Nations unies, notamment du Conseil de sécurité, où, selon elle, la politique du deux poids, deux mesures est désormais à l'ordre du jour.

«Où est l'intérêt?» demande-t-elle. «Il y a des gens qui meurent dans les rues du Soudan. Mais vous avez consacré de très nombreuses réunions, et même de nombreuses réunions de l'Assemblée générale, à l'Ukraine. Pourquoi la question soudanaise n'est-elle pas une question importante pour vous?

«Je pense que ce manque total d'intérêt en dit beaucoup sur l'ONU, ses structures, son fonctionnement, ses échecs et son incapacité à résoudre les problèmes pour lesquels elle a été créée.

«L'absence totale d'action crédible de la part du Conseil de sécurité me fait dire qu'il n'est peut-être pas ce que nous pensons qu'il est – cet organe directeur qui peut apporter la paix et la sécurité à chacun d'entre nous – et qu'il nous laisse peut-être nous débrouiller tout seuls. Et cela est vraiment une voie dangereuse.

«Quel est le rôle de l’ONU ici? Je me pose la question. Je pense donc que cet appel permanent à la réforme du Conseil de sécurité, à la réforme de l'Assemblée générale, à ce qu'elle peut faire et à ce qu'il est viable de faire, se poursuivra. Et ce sont ces exemples que nous évoquerons à l'avenir pour dire: «Où étaient les Nations unies? Et je suis sûre que les générations futures s'interrogeront également à ce sujet.»

L'envoyée de l'Érythrée auprès des Nations unies, Sophia Tesfamariam, déplore «l'ineptie totale et l'échec total» de l’ONU dans la recherche d'une solution à la crise soudanaise (Photo, AFP).

Tesfamariam a appelé Antonio Guterres, le secrétaire général de l'ONU, à «prêter attention» et à s'exprimer sur les questions africaines.

«Pour l'instant, l'Afrique n'a pas de voix», a-t-elle déclaré. «Oui, c'est une bonne chose qu'on vous dise “des solutions africaines pour des problèmes africains”. Mais en fin de compte, s'il n'y a pas de tierce partie impliquée, rien ne se passe. Rien ne bouge.»

S'il est vrai que l'on considère de plus en plus que les questions africaines doivent être traitées en premier lieu par l'Union africaine et les organisations sous régionales, Tesfamariam a signalé qu'elle avait remarqué un grand décalage entre la théorie et la réalité.

Malgré la rhétorique des «solutions africaines aux problèmes africains», a-t-elle soutenu, l'UA ne semble pas bénéficier du même poids ou des mêmes ressources que ses homologues européens, en particulier l'UE.

Le secrétaire général de L’ONU, Antonio Guterres, devrait «prêter attention» et s'exprimer sur les questions africaines, selon l'ambassadrice érythréenne Tesfamariam (Photo, AFP).

«Le bureau de l'UA ici (à l'ONU) est-il aussi renforcé et bénéficie-t-il de toutes les ressources, de l'attention et de la capacité, voire du mandat, pour interagir avec l'ONU que l'UE?» demande-t-elle.

«Je ne pense pas que ce soit le cas. Mais pouvons-nous blâmer l'UE, les Nations unies et d'autres pour leur manque d'intérêt? Que font aussi les Africains?»

Elle a poursuivi: «Comment se fait-il que lorsque l'UA se réunit chaque année, la première vague de personnes qui entre et s'assoit pour écouter vos discussions est composée des Européens et des Américains? Bénéficie-t-on du même respect et du même luxe pour aller s'asseoir dans les réunions de l'UE en Europe afin de découvrir ce dont ils discutent? Non.

«Alors pourquoi vous reléguer-vous continuellement à ce genre de postes pour les Africains? Mais quand vous ne pouvez pas payer vos propres factures, quand tout le monde finance chaque projet que vous avez partout, c'est celui qui paie les violons qui choisit la musique.

«Comment dire non à la générosité de l'UE, de l'ONU et d'autres agences qui dicteront ce qu'il faut faire avec votre agence? Pourquoi la finance doit-elle être au centre de tout? Je pense que si les Africains trouvent la solution, ils trouveront aussi les moyens de financer les projets et les initiatives qu'ils essaient de promouvoir» a souligné Tesfamariam.

Les leaders des États membres de l'Union africaine participent à une séance de photos de famille lors d'une récente assemblée dans la ville d'Addis-Abeba, en Éthiopie. L'Union doit se renforcer, s'affirmer davantage et devenir un ardent défenseur des intérêts africains, déclare l'ambassadrice d'Érythrée Sophia Tesfamariam (Photo, AFP).

Tout d'abord, selon Tesfamariam, l'UA doit se renforcer, s'affirmer davantage et devenir un ardent défenseur des intérêts africains. Ensuite, elle a insisté sur la nécessité pour les Africains de prendre en charge leurs propres problèmes, de renforcer les institutions régionales et continentales et de trouver leurs propres solutions à leurs problèmes.

Elle a critiqué la dépendance financière actuelle de l'Afrique à l'égard d'entités extérieures, estimant qu'elle conduit souvent les donateurs à dicter des conditions qui pourraient ne pas correspondre aux intérêts de l'Afrique.

«Les Africains eux-mêmes doivent assumer leurs responsabilités», a estimé Tesfamariam. «Nous devons commencer à nous regarder en face, à faire un examen de conscience et à nous demander pourquoi nous ne faisons pas davantage afin de renforcer nos propres institutions régionales et continentales.

L'ambassadrice de l'Érythrée auprès de l'ONU, Sophia Tesfamariam, s'exprime lors d'une réunion de l'Assemblée générale de l'ONU (Photo, AFP).

«Ces institutions ne peuvent plus se contenter de parler. Concrètement, que faisons-nous pour répondre aux besoins de nos populations, de notre région? Comment formons-nous des partenariats – pas des partenariats du type «qui donne et qui reçoit», mais de véritables partenariats, où nous partageons des intérêts et où nous agissons ensemble dans l'intérêt de la sécurité mondiale?»

Tout en admettant que les efforts visant à faire une brèche dans l'architecture internationale «enracinée» sont encore «un travail en cours», Tesfamariam a ajouté: «Nous n'abandonnons pas maintenant.»

Elle s'est engagée à continuer à travailler pour faire entendre la voix de l'Afrique dans les forums internationaux, se réjouissant du fait qu’«au fil des ans, nous avons pu trouver davantage de personnes partageant les mêmes idées».

Elle a soutenu: «Je ne suis pas seule ici. Si je me sentais seule auparavant, j'ai maintenant une société de réclamation mutuelle à l'ONU dont les membres ressentent exactement ce que ressent l'Érythrée – cette même frustration à l'égard de l'ONU et de son inaptitude dans certains domaines, et de notre incapacité à nous unir en tant que groupe pour faire la différence, pour apporter des changements à certaines des questions que nous avons soulevées ici.»

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Liban: il n'y aura plus d'armes «hors du contrôle de l'Etat», assurent les présidents libanais et palestinien

Cette photo diffusée par la présidence libanaise montre le président libanais Joseph Aoun (à droite) accueillant son homologue palestinien Mahmoud Abbas au palais présidentiel de Baabda, à l'est de la capitale Beyrouth, le 21 mai 2025. Mahmoud Abbas est arrivé à Beyrouth, où il doit discuter du désarmement des camps de réfugiés palestiniens, alors que le Liban cherche à imposer son autorité sur l'ensemble de son territoire. (AFP)
Cette photo diffusée par la présidence libanaise montre le président libanais Joseph Aoun (à droite) accueillant son homologue palestinien Mahmoud Abbas au palais présidentiel de Baabda, à l'est de la capitale Beyrouth, le 21 mai 2025. Mahmoud Abbas est arrivé à Beyrouth, où il doit discuter du désarmement des camps de réfugiés palestiniens, alors que le Liban cherche à imposer son autorité sur l'ensemble de son territoire. (AFP)
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  • Les présidents libanais et palestinien ont assuré lors d'un entretien mercredi qu'il n'y aurait plus d'armes échappant au contrôle de l'Etat au Liban
  • Joseph Aoun et Mahmoud Abbas "proclament leur conviction que l'ère des armes échappant à l'autorité de l'Etat libanais est révolue"

BEYROUTH: Les présidents libanais et palestinien ont assuré lors d'un entretien mercredi qu'il n'y aurait plus d'armes échappant au contrôle de l'Etat au Liban, où le pouvoir n'étend pas son autorité sur les camps de réfugiés palestiniens.

Les présidents Joseph Aoun et Mahmoud Abbas "proclament leur conviction que l'ère des armes échappant à l'autorité de l'Etat libanais est révolue", ont-ils annoncé dans un communiqué conjoint. La visite de Mahmoud Abbas est centrée sur la question du désarmement des camps palestiniens.


Trump au Moyen-Orient: le grand virage de la politique étrangère américaine

Ovations et scènes de liesse sont rares dans les forums d’investissement. Pourtant, le discours prononcé par le président Donald Trump lors du Forum d’investissement américano-saoudien à Riyad la semaine dernière sortait de l’ordinaire. (AFP)
Ovations et scènes de liesse sont rares dans les forums d’investissement. Pourtant, le discours prononcé par le président Donald Trump lors du Forum d’investissement américano-saoudien à Riyad la semaine dernière sortait de l’ordinaire. (AFP)
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  •  «Après avoir discuté de la situation en Syrie avec le prince héritier, je vais ordonner la levée des sanctions contre la Syrie afin de lui donner une chance de redevenir grande», déclare Trump
  • Ses derniers mots ont été presque couverts par une salve d’applaudissements, suivie d’une ovation, initiée par le prince héritier Mohammed ben Salmane

LONDRES: Ovations et scènes de liesse sont rares dans les forums d’investissement. Pourtant, le discours prononcé par le président Donald Trump lors du Forum d’investissement américano-saoudien à Riyad la semaine dernière sortait de l’ordinaire.

En ouverture d’une tournée de quatre jours dans la région, M. Trump a multiplié les déclarations géopolitiques inattendues.

«Après avoir discuté de la situation en Syrie avec le prince héritier (saoudien), je vais ordonner la levée des sanctions contre la Syrie afin de lui donner une chance de redevenir grande», a-t-il annoncé.

Ses derniers mots ont été presque couverts par une salve d’applaudissements, suivie d’une ovation, initiée par le prince héritier Mohammed ben Salmane.

Bien que cette annonce ait surpris nombre d’observateurs – y compris des analystes expérimentés et certains membres proches de M. Trump – elle n’était pas totalement inattendue.

En décembre dernier, pour la première fois en dix ans, des responsables américains s’étaient rendus à Damas, où ils avaient rencontré Ahmad el-Chareh, chef de Hay’at Tahrir al-Cham, qui, deux semaines plus tôt, avait conduit au renversement spectaculaire du régime de Bachar el-Assad après quatorze années de guerre civile.

À l’issue de cette rencontre, la délégation américaine avait jugé El-Chareh «pragmatique». Peu après, les États-Unis avaient levé la prime de 10 millions de dollars placée depuis longtemps sur sa tête. Un mois plus tard, El-Chareh était nommé président de la Syrie.

Le lendemain du forum d’investissement à Riyad, M. Trump s’est entretenu en tête-à-tête avec le président syrien. De cette rencontre est née ce qui pourrait devenir l’une des photographies les plus marquantes de l’histoire récente de la région: le prince héritier saoudien, entouré de M. Trump et de M. El-Chareh, debout devant les drapeaux des États-Unis, de l’Arabie saoudite et de la Syrie.

«Je n'ai jamais cru qu'il fallait avoir des ennemis permanents», a déclaré le président, et «je suis prêt à mettre fin aux conflits passés et à forger de nouveaux partenariats pour un monde meilleur et plus stable, même si nos divergences peuvent être très profondes, ce qui est manifestement le cas pour l'Iran».

Il a salué les dirigeants locaux capables de «transcender les conflits anciens et les divisions usées du passé», tout en critiquant «les interventionnistes occidentaux [...] qui prétendent vous enseigner comment vivre ou gouverner vos propres affaires».

Dans un message qui a trouvé un écho fort à Kaboul, Bagdad, voire Téhéran, il a poursuivi:
«En fin de compte, les soi-disant bâtisseurs de nations ont détruit bien plus de nations qu’ils n’en ont construites – et les interventionnistes sont intervenus dans des sociétés complexes qu’ils ne comprenaient même pas eux-mêmes.»

Réagissant à ces déclarations, Sir John Jenkins – diplomate chevronné, ancien ambassadeur britannique en Arabie saoudite, en Irak et en Syrie, et ex-consul général à Jérusalem – a confié à Arab News:

«Je pense que cela pourrait bien être un véritable tournant.»

Selon lui, «la démographie post-printemps arabe – une jeunesse en quête de meilleure gouvernance et de progrès, sans passer par l’idéologie ou la révolution – coïncide avec un moment particulier réunissant Mohammed ben Salmane, Trump et la Syrie».

Le discours de Trump prononcé la semaine dernière à Riyad, a-t-il ajouté, «était remarquable, intellectuellement cohérent – et il le pense réellement».

Il poursuit : «Si un bloc cohérent d’États sunnites – l’Arabie saoudite, les pays du CCG, la Jordanie, la Syrie et l’Égypte – parvient à œuvrer pour la prospérité et la stabilité plutôt que l’instabilité, alors on pourrait disposer d’un levier régional capable de contenir l’Iran comme cela n’a plus été le cas depuis des décennies. Cela offrirait également aux États-Unis la marge nécessaire pour redéfinir leur stratégie.»

Mais de nombreux obstacles subsistent.

«L’Iran, qui tente déjà d’affaiblir la Syrie, continuera à jouer ses cartes», a averti Sir Jenkins.
«Et puis il y a Israël: veut-il vraiment des voisins sunnites forts et stables? Il le devrait. Mais je ne suis pas certain que Bezalel Smotrich – le ministre israélien des Finances, qui a récemment juré que Gaza serait entièrement détruite – ou Itamar Ben-Gvir – le ministre de la Sécurité nationale qui pousse pour une occupation israélienne de Gaza – partagent ce point de vue. C’est un vrai dilemme pour le Premier ministre Benjamin Netanyahou.»

«Mais si l'on associe tout cela à un éventuel accord entre les États-Unis et l'Iran, qui donnera à l'Iran des incitations pour ne pas voir les sanctions s'effondrer, alors il y a quelque chose là.»

Pour El-Chareh, même il y a six mois, le revirement spectaculaire de sa situation personnelle aurait semblé fantastique et, en tant que tel, il est symptomatique des bouleversements tectoniques présagés par la visite de Trump dans la région.

Il y a presque exactement 12 ans, le 16 mai 2013, le chef du Front Nosra, affilié à Al-Qaïda, jugé responsable de «multiples attentats-suicides à travers la Syrie» visant le régime Assad, avait été désigné comme terroriste par le Département d'État américain.

Aujourd'hui, bénéficiaire très public des louanges et du soutien de Trump et du prince héritier saoudien, la métamorphose d'El-Chareh en symbole d'espoir pour le peuple syrien est emblématique de la nouvelle approche spectaculaire de l'Amérique dans la région.

À Doha, le président a saisi l'occasion d'une visite à une base militaire américaine pour se montrer aimable avec l'Iran, un pays dont les négociateurs se sont discrètement réunis à Oman avec Steve Witkoff, l'envoyé spécial de Trump, pour discuter d'un accord sur le nucléaire.

«Je veux qu'ils réussissent», a déclaré M. Trump, qui, en 2018, a retiré unilatéralement les États-Unis de l'accord initial, élaboré par le président Barack Obama et ses alliés européens, et a réimposé des sanctions économiques. Aujourd'hui, a-t-il déclaré à Doha la semaine dernière, «je veux qu'ils finissent par devenir un grand pays».

L'Iran, a-t-il ajouté, «ne peut pas avoir d'arme nucléaire». Mais, dans un clin d'œil à Israël, qui aurait non seulement demandé l'autorisation aux États-Unis d'attaquer les installations d'enrichissement iraniennes, mais qui aurait même demandé à l'Amérique d'y participer, il a ajouté: «Nous n'allons pas faire de poussière nucléaire en Iran. Je pense que nous sommes sur le point de conclure un accord sans avoir à le faire.»

En réalité, l'ensemble du voyage de Trump semble avoir été conçu comme une rebuffade à l'égard d'Israël, qui ne figurait pas sur l'itinéraire.

Une semaine avant le voyage, M. Trump avait annoncé un accord de cessez-le-feu unilatéral avec les Houthis au Yémen, qui s'étaient rangés du côté du Hamas après la guerre de représailles menée par Israël à Gaza en octobre 2023.

Dans le cadre de cet accord, négocié par Oman et auquel Israël n'a pas participé, les États-Unis ont déclaré qu'ils cesseraient leurs frappes au Yémen en échange de l'acceptation par les Houthis de cesser de cibler les navires dans la mer Rouge.

Le 12 mai, la veille de l'arrivée de M. Trump en Arabie saoudite, le Hamas a libéré Edan Alexander, le dernier citoyen américain encore en vie retenu en otage à Gaza, dans le cadre d'un accord conclu à l'issue de pourparlers directs sans implication d'Israël.

Dans un message publié sur Truth Social, M. Trump a salué «une mesure prise de bonne foi à l'égard des États-Unis et les efforts des médiateurs – le Qatar et l'Égypte – pour mettre un terme à cette guerre très brutale».

Selon Ahron Bregman, ancien soldat israélien et maître de conférences à l’Institut d’études moyen-orientales du King’s College de Londres, Donald Trump a «jeté Netanyahou – et, en réalité, Israël – sous le bus».

«Il a totalement pris Netanyahou de court avec une série d’initiatives diplomatiques au Moyen-Orient qui, du point de vue israélien, sont non seulement préjudiciables, mais véritablement humiliantes», a-t-il déclaré à Arab News.

«Par le passé, lorsqu’on voulait accéder à la Maison Blanche, le chemin passait souvent par Israël, qui pouvait faciliter l’ouverture des portes à Washington. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Netanyahou, blessé et humilié par Trump, semble avoir perdu sa touche.»

«Trump méprise les perdants, et il voit probablement en Netanyahou un perdant – au vu du chaos à Gaza et de son incapacité à atteindre les objectifs déclarés d’Israël.»

Pour M. Bregman, ce changement radical de dynamique au Moyen-Orient s’explique en grande partie par l’approche résolument transactionnelle de la politique que privilégie Donald Trump.

«Trump considère les relations internationales et la diplomatie sous l'angle financier, comme des entreprises commerciales. Pour Trump, l'argent parle et l'argent ne se trouve pas en Israël, qui reçoit 3 milliards de dollars par an des États-Unis, mais dans les États du Golfe.»

«Trump prend au sérieux l'idée de l'Amérique d'abord, et Israël ne sert pas cet objectif; ce sont les États du Golfe qui s'en chargent. Pour l'instant, du moins, le centre de gravité s'est déplacé vers les États du Golfe, et le statut d'Israël au Moyen-Orient s'est considérablement affaibli.»

Pour Ibrahim al-Marachi, professeur associé à la California State University, San Marcos, les événements de la semaine dernière contrastent fortement avec ceux de la première présidence de Trump.

«Au cours de la première administration Trump, la Troisième Guerre mondiale a failli éclater, avec les porte-avions de ma ville natale de San Diego déployés en permanence dans le Golfe pour dissuader l'Iran, l'attaque (des Houthis) contre Saudi Aramco et l'assassinat du général iranien Qassem Soleimani à Bagdad au début de l'année 2020», a-t-il déclaré à Arab News.

«Cinq ans plus tard, l'administration Trump semble répéter la doctrine réaliste Nixon-Kissinger: L'Amérique n'a pas d'amis ou d'ennemis permanents, seulement des intérêts. À cet égard, son administration pourrait forger des relations avec l'Iran comme Nixon l'a fait avec la Chine.»

Kelly Petillo, responsable de programme pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord au Conseil européen des relations étrangères, considère lui aussi les événements de la semaine dernière comme le début d'une «nouvelle phase des relations entre les États-Unis et le Golfe».

Parmi les développements remarquables, il y a «la mise à l'écart relative d'Israël et le fait qu'Israël n'entretienne pas la relation privilégiée avec Trump qu'il pensait avoir», a-t-elle déclaré à Arab News. «L'agenda des États-Unis est désormais plus large que le soutien inconditionnel à Israël, et l'alignement avec les partenaires du CCG est également essentiel.»

«L'Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis sont clairement devenus d'une importance stratégique pour les États-Unis, avec de nouveaux accords à l'horizon et la promesse d'étendre ces relations. L'annonce de liens commerciaux plus étroits s'est également accompagnée de déclarations politiques qui, dans l'ensemble, ont représenté des développements positifs pour la région.

En fin de compte, a déclaré Caroline Rose, directrice au New Lines Institute, «la visite de Trump au CCG a mis en évidence deux de ses priorités en matière de politique étrangère au Moyen-Orient».

«Premièrement, il a cherché à obtenir une série d'accords de coopération transactionnels et bilatéraux dans des secteurs tels que la défense, l'investissement et le commerce», a-t-elle déclaré à Arab News.

«Le second objectif était d'utiliser le voyage comme un mécanisme susceptible de modifier les conditions des négociations diplomatiques en cours directement avec l'Iran, entre le Hamas et Israël, et même entre l'Ukraine et la Russie.»

Ce n'est évidemment pas un hasard si Donald Trump a choisi le Moyen-Orient comme destination de son premier voyage officiel à l'étranger depuis le début de sa seconde présidence.

«L'administration Trump a cherché à courtiser étroitement les États du Golfe pour signaler à d'autres partenaires de la région, comme Israël, ainsi qu'à l'UE, qu'elle peut développer des partenariats alternatifs pour obtenir ce qu'elle veut dans les négociations de paix.»

Bien qu'une stratégie visant à faire avancer des négociations de paix spécifiques ait été «notablement absente lors de son voyage», il était clair que «ce voyage était conçu pour jeter les bases d'une dynamique potentielle et pour changer certaines dynamiques de pouvoir avec les partenaires traditionnels des États-Unis à l'étranger, en semant les graines de la bonne volonté qui pourraient modifier les négociations en faveur de l'administration Trump».


Emirats arabes unis: accord avec Israël sur l'envoi d'aide humanitaire à Gaza 

Mis sous pression à l'étranger pour le blocus qui affame les Palestiniens de Gaza, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a déclaré lundi que Israël devait empêcher une famine à Gaza "pour des raisons diplomatiques", après l'annonce d'une reprise limitée de l'aide humanitaire à destination du petit territoire palestinien. (AFP)
Mis sous pression à l'étranger pour le blocus qui affame les Palestiniens de Gaza, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a déclaré lundi que Israël devait empêcher une famine à Gaza "pour des raisons diplomatiques", après l'annonce d'une reprise limitée de l'aide humanitaire à destination du petit territoire palestinien. (AFP)
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  • Plus de deux mois après le blocus imposé par Israël à Gaza depuis le 2 mars, les pénuries de nourriture et de médicaments frappent durement la bande de Gaza
  • Le territoire côtier est confronté à un "risque critique de famine", selon le rapport IPC (Cadre Intégré de Classification de la sécurité alimentaire) publié le 12 mai

DUBAI: Les Emirats arabes unis ont conclu un accord avec Israël pour permettre la livraison d'aide humanitaire urgente à la bande de Gaza assiégée, selon un communiqué publié mercredi par l'agence de presse officielle émiratie WAM.

Le chef de la diplomatie émiratie, Abdallah ben Zayed Al-Nahyane, "s'est entretenu par téléphone avec Gideon Saar, ministre israélien des Affaires étrangères, ce qui a conduit à un accord autorisant la livraison d'une aide humanitaire urgente en provenance des Emirats arabes unis", selon le communiqué.

"L'aide répondra, dans une première phase, aux besoins alimentaires d'environ 15.000 civils dans la bande de Gaza", précise le communiqué.

Mis sous pression à l'étranger pour le blocus qui affame les Palestiniens de Gaza, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a déclaré lundi que Israël devait empêcher une famine à Gaza "pour des raisons diplomatiques", après l'annonce d'une reprise limitée de l'aide humanitaire à destination du petit territoire palestinien.

Des "images de famine de masse" pourraient mettre à mal la légitimité de l'effort de guerre israélien, a-t-il ajouté.

Israël a annoncé dimanche autoriser une reprise limitée de l'aide humanitaire, parallèlement au lancement d'"opérations terrestres de grande envergure" à Gaza.

Israël a annoncé l'entrée de 93 camions de l'ONU mardi dans la bande de Gaza, l'ONU confirmant de son côté le passage de "quelques dizaines" de camions ce jour-là.

Plus de deux mois après le blocus imposé par Israël à Gaza depuis le 2 mars, les pénuries de nourriture et de médicaments frappent durement la bande de Gaza.

Le territoire côtier est confronté à un "risque critique de famine", selon le rapport IPC (Cadre Intégré de Classification de la sécurité alimentaire) publié le 12 mai.

Les Emirats et Israël ont formellement établi des relations diplomatiques lors des accords d'Abraham en 2020.