Après six cents jours de guerre en Ukraine, l’UE envisage une stratégie à long terme

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Publié le Mardi 24 octobre 2023

Après six cents jours de guerre en Ukraine, l’UE envisage une stratégie à long terme

Après six cents jours de guerre en Ukraine, l’UE envisage une stratégie à long terme
  • Il existe des préoccupations croissantes concernant la capacité de Washington à continuer de financer l’effort de guerre à Kiev dans les mois à venir
  • Le chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, a averti que le bloc ne serait pas en mesure de combler complètement le déficit de financement créé par la fin du soutien financier américain

Alors que le conflit en Ukraine a dépassé cette semaine la barre des six cents jours d’une guerre d’usure, une nouvelle dynamique potentiellement importante émerge. Elle pourrait changer le cours de l’effort de guerre ukrainien. Le soutien constant des États-Unis à Kiev semble éventuellement menacé par les dysfonctionnements politiques à Washington. Cette situation pourrait créer un vide critique que seuls l’Europe et ses alliés, notamment le Japon, peuvent essayer de combler, du moins partiellement.

L’administration Biden et une grande partie de l’Union européenne (UE) restent étroitement alignées sur l’Ukraine. Pourtant, il existe des préoccupations croissantes concernant la capacité de Washington à continuer de financer l’effort de guerre à Kiev dans les mois à venir en raison d’un récent accord conclu pour éviter une fermeture du gouvernement fédéral américain. Ce mois-ci, même le président, Joe Biden, se dit «inquiet» quant à la possibilité que le soutien américain à l’Ukraine déraille, à la lumière de l’impasse à Washington.

Ce drame législatif ne serait bien entendu qu’une secousse préliminaire avant le tremblement de terre politique à Washington qui suivrait l’élection présidentielle de 2024 si un républicain faisant preuve de scepticisme à l’égard de la guerre en Ukraine devenait président. Ce sera particulièrement le cas si l’ancien président, Donald Trump, remporte les élections, compte tenu de l’estime qu’il semble porter au président russe, Vladimir Poutine, et de son dédain à l’égard de son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky.

Par conséquent, les manigances financières actuelles à Washington ne sont peut-être qu’un avant-goût de ce qui est à venir. C’est dans ce contexte que l’Europe réfléchit à la façon dont elle pourrait prendre ses responsabilités pour garantir que l’Ukraine puisse poursuivre son combat à partir de 2025, si la guerre est toujours en cours.

Il y a de réelles limites quant à la capacité de l’UE et d’autres partenaires européens, comme le Royaume-Uni, à remplir le rôle des États-Unis. À titre d’exemple, le chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, a averti que le bloc ne serait pas en mesure de combler complètement le déficit de financement créé par la fin du soutien financier américain.

La possibilité d’un changement aussi significatif se déroule dans le contexte d’une «guerre d’usure» entre la Russie et l’Ukraine. La contre-offensive de Kiev en 2023 a réalisé certains gains territoriaux, mais les lignes de front sont restées stables pendant une grande partie de l’année.

Le conflit a déjà fait plus de vingt mille victimes civiles, plus de cinq millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays et plus de six millions ont quitté le pays. Dans le même temps, plus de 17,5 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire.

Certes, l’Ukraine a repris plus de 50% du territoire précédemment occupé, mais la Russie détient toujours près de 20% du pays. Alors que les deux parties se préparent désormais pour les mois d’hiver froids, les percées pourraient devenir de plus en plus difficiles. Dans l’intervalle, le nombre de victimes militaires est estimé à cinq cent mille.

Il semble donc de plus en plus probable que la guerre se poursuive jusqu’en 2024, voire beaucoup plus longtemps. C’est dans ce contexte qu’il existe une réflexion renouvelée sur la façon dont l’Europe peut contribuer au mieux à la résilience de l’Ukraine à moyen et à long terme, notamment par une assistance militaire, des garanties de sécurité et un soutien économique, comme l’accès au marché unique de l’UE.

«Il est possible que l'Ukraine puisse récolter des avantages significatifs si elle parvient à persévérer dans son défi lors de cette guerre prolongée avec la Russie.»

- Andrew Hammond

Le point de départ de cet engagement continu est le soutien sans précédent que l’Europe a déjà fourni à l’Ukraine. L’UE et ses États membres ont apporté une assistance économique de plus de 76 milliards d’euros, plus importante que celle des États-Unis.

Cependant, comme l’ont affirmé les experts d’organisations comme le Conseil européen des relations internationales (ECFR), davantage de financement sera nécessaire pour soutenir l’Ukraine dans une longue guerre qui se poursuivra pendant des années. Le Conseil préconise l’accélération urgente de l’assistance militaire européenne, ce qui nécessiterait un changement radical dans les capacités industrielles et de défense en Europe et l’adhésion de l’Ukraine non seulement à l’UE, mais aussi à l’Otan.

Dans le cadre de cet engagement futur, les principaux dirigeants de l’UE pourraient également rappeler à l’Ukraine que, pendant la guerre froide, l’alliance occidentale n’a pas reconnu le contrôle soviétique des trois États baltes. En fin de compte, ces pays ont émergé comme libres et démocratiques à la fin de la guerre froide. Il existe donc des parallèles potentiels avec les parties de l’Ukraine qui restent actuellement occupées par les forces pro-Moscou, et celles-ci pourraient être renforcées avec de généreuses garanties de sécurité occidentales pour Kiev.

Au-delà de la guerre, des engagements importants pourraient également être pris pour la reconstruction. La reconstruction de l’Ukraine ressemblera à celle de l’Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale, de l’Europe de l’Est après la guerre froide et des Balkans occidentaux après l’éclatement de la Yougoslavie. Elle coûtera des centaines de milliards d’euros et elle constituera, jusqu’à présent, l’effort de reconstruction d’après-guerre le plus ambitieux du XXIe siècle à ce jour.

Ces engagements sont susceptibles d’être très coûteux et l’ECFR note que l'Europe doit également avoir la possibilité de renforcer ses capacités de production militaire à long terme, d'améliorer son profil géopolitique et de rendre l'UE plus apte à remplir sa mission pour les décennies à venir en reconsidérant ses institutions et ses politiques afin d'accueillir un nombre de membres potentiellement beaucoup plus important que les vingt-sept États actuels.

En outre, il est possible que l'Ukraine puisse récolter des avantages significatifs si elle parvient à persévérer dans son défi lors de cette guerre prolongée avec la Russie, notamment la diminution de la menace posée par Moscou à la future sécurité européenne et mondiale, grâce à la protection des économies et des routes commerciales.

Vladimir Poutine a montré qu’une nouvelle déstabilisation de l’ordre international établi est un élément central de son ambition. Une ambition qui serait renforcée si le président russe était perçu comme vainqueur en Ukraine et qui pourrait créer un précédent dangereux encourageant d’autres États ayant des ambitions extraterritoriales similaires, dont certains en Asie.

Compte tenu de tous ces éléments, il existe des incitations importantes pour l’Europe afin de planifier soigneusement les scénarios dans lesquels le soutien américain à l’Ukraine diminue avant ou après l’élection présidentielle américaine de 2024. Bien qu’il soit possible que M. Biden remporte un deuxième mandat, cela pourrait ne pas garantir le soutien fort de Washington dans un contexte de dysfonctionnement politique susceptible d’empirer.

Andrew Hammond est chercheur associé au LSE IDEAS, à la London School of Economics.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com