Trois séries de pourparlers indirects entre les États-Unis et l'Iran se sont tenues jusqu'à présent à Oman et en Italie, et d'autres rounds sont prévus. Les deux parties semblent tester les limites du possible, dans l’espoir de parvenir à un accord dénué de conditions excessives ou de conclusions rigides – un format de négociation que Téhéran privilégie depuis longtemps.
Ces discussions cherchent également à ne pas compromettre une administration américaine jugée peu consistante sur le fond, mais désireuse de projeter l’image d’un pouvoir maître de la situation et capable de pratiquer «l’art de l’accord», selon la formule popularisée par lz président Donald Trump. Pour l’heure, cet objectif demeure hors de portée.
Au-delà d’un consensus sur le caractère «positif et productif» des trois premiers cycles, la réunion de samedi dernier aurait abordé des aspects techniques, selon des sources proches du dossier. Ces discussions reprendront lors d’un quatrième cycle attendu dans les prochains jours.
Le contact le plus important entre ces ennemis de longue date depuis des années est la recherche d'un nouvel accord qui empêcherait l'Iran de développer des armes nucléaires – un objectif que Téhéran nie avoir jamais poursuivi – en échange d'un allègement des sanctions.
Mais qu'est-ce qui constituerait un bon accord pour l'Iran, les États-Unis, Israël et les pays de la région et du monde qui sont en pleine mutation?
L’option idéale consisterait à limiter l’enrichissement de l’uranium iranien à un seuil de 4% de pureté – une limite que Téhéran pourrait accepter, à condition de conserver sa capacité à intensifier sa production si nécessaire. Le maintien de ses centrifugeuses modernisées en l’état, assorti d’un possible accord sur un régime de surveillance et d’inspection renforcé, pourrait être présenté comme une avancée significative, indépendamment du sort réservé à son programme de missiles balistiques avancés. En contrepartie, la levée totale des sanctions serait attendue.
Certains de ces éléments relèvent de dynamiques internes propres à l’Iran, tandis que d'autres sont dictés par les équilibres géopolitiques internationaux.
Mohamed Chebaro
Un accord pire encore du point de vue de l'Iran, mais qui satisferait Israël, serait celui qui supprimerait toute son infrastructure nucléaire et tout l'uranium enrichi jusqu'à 60% de pureté. Cet accord serait similaire à celui que la Libye a conclu en 2003 avec l'Occident, en vertu duquel elle a renoncé à ses programmes nucléaires, chimiques, biologiques et de missiles balistiques en échange d'une réhabilitation totale.
D'autres pays de la région, notamment les pays arabes, souhaitent depuis longtemps un accord de grande envergure qui permettrait à l'Iran de mettre fin à son ingérence dans les affaires des pays voisins et à l'utilisation de milices armées par procuration pour étendre son influence. C'est une question que l'accord nucléaire de 2015 sur le plan d'action global conjoint n'a pas abordée, ce qui signifie qu'il a été considéré comme favorable à Téhéran.
Plusieurs facteurs sont en jeu, qui s'opposent simultanément et poussent à la conclusion d'accords aussi différents. Certains de ces éléments relèvent de dynamiques internes propres à l’Iran, tandis que d'autres sont dictés par les équilibres géopolitiques internationaux. Dans ce contexte, Téhéran semble multiplier les signes d’ouverture, brandissant plusieurs « carottes » diplomatiques pour tenter de désamorcer – ou du moins affaiblir – la menace brandie par les États-Unis et Israël d’une option militaire contre ses installations nucléaires.
Sur le plan intérieur iranien, les sanctions paralysantes ont fait monter la pression sur le régime, dont les résultats pour les citoyens iraniens s'amenuisent de jour en jour, l'exposant à des soulèvements tels que celui de 2022, déclenché par la mort de Mahsa Amini en garde à vue. L'explosion meurtrière, samedi, de ce que l'on pense être une cargaison de carburant pour missiles balistiques et de produits chimiques dans le port de Shahid Rajaee n'augure rien de bon pour un régime qui s'efforce de cultiver une image de professionnalisme auprès de sa population.
Cette situation s’inscrit dans la continuité d’une série de revers encaissés depuis les frappes «tit for tat» menées avec Israël en soutien à Gaza l’an dernier. Parmi ces revers figurent la défaite du Hamas et du Hezbollah, ainsi que la chute du régime d’Assad – autant de pertes que les dirigeants iraniens présentaient jusqu’alors sur la scène intérieure comme des symboles de leur puissance et de leur influence régionale.
Sur un plan géopolitique plus large, l'Iran tente de tirer profit de l'influence que le président russe Vladimir Poutine semble avoir sur Trump, dont le second mandat a atteint cette semaine le cap des 100 jours. Cela n'est nulle part plus clair que dans l'adoption et la reprise par Trump et son administration du discours du Kremlin selon lequel l'invasion de l'Ukraine par Moscou est la faute de Kiev.
L'Iran tente de profiter de l'influence que le président russe Vladimir Poutine semble avoir sur Trump.
Mohamed Chebaro
Autre signe révélateur: Steve Witkoff, l’envoyé américain qui pilote la plupart des initiatives et discussions de la Maison Blanche, a tenu des rencontres régulières avec Vladimir Poutine à Moscou. Il est peu probable que ces échanges portent uniquement sur la guerre en Ukraine. Ils pourraient également concerner d'autres dossiers géopolitiques sensibles entre grandes puissances – notamment celui du programme nucléaire iranien.
Les discussions récentes avec des experts de la question iranienne laissent entendre qu’un éventuel contrat d’achat par Téhéran de biens américains – plutôt qu’européens – pourrait suffire à convaincre l’administration Trump de conclure un accord, quel qu’il soit, du moment qu’il laisse entrevoir la perspective d’un insaisissable prix Nobel de la paix. Une telle décision pourrait même être prise au détriment d’une compréhension fine des implications sécuritaires qu’un Iran revitalisé, renforcé et enhardi pourrait représenter pour la stabilité au Moyen-Orient et au-delà. L’accord pourrait être «adouci» par une promesse iranienne d’investir des milliards de dollars dans l’achat d’avions Boeing pour moderniser sa flotte, et de réaligner son industrie pétrolière et ses infrastructures sur les intérêts économiques américains.
Les conseillers de l’ombre de Trump, au Kremlin comme ailleurs, semblent sans doute l'encourager dans cette direction. Pendant ce temps, certains Iraniens sceptiques installés en Europe observent la situation avec appréhension, redoutant une éventualité loin d’être improbable: que Trump se précipite pour conclure un accord encore plus fragile et moins contraignant que le JCPOA original.
De nombreux observateurs s’accordent à dire que le monde a basculé après l’attaque du 7 octobre 2023 contre Israël – un basculement encore accentué depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Pourtant, l’attitude du régime iranien ne semble pas avoir évolué d’un iota. Il continue de croire qu’il peut obtenir le beurre et l’argent du beurre: préserver son extrémisme religieux tout en récoltant les bénéfices de la paix, de la prospérité, et d’une réduction des tensions militaires. Pourquoi changerait-il de cap, alors que la tendance mondiale, des États-Unis à la Chine, penche vers la droite, portée par une vague de populisme conservateur nourrie par une rhétorique dure et identitaire?
Mohamed Chebaro est un journaliste libano-britannique qui a plus de 25 ans d'expérience dans les domaines de la guerre, du terrorisme, de la défense, des affaires courantes et de la diplomatie.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com