La déclaration du président Donald Trump lors du Forum d'investissement américano-saoudien à Riyad mardi, selon laquelle l'Amérique lèvera ses sanctions contre la Syrie, n'était pas simplement un changement dans la politique étrangère américaine – c'était un signal de l'évolution géopolitique actuellement en cours au Moyen-Orient et au-delà. Le fait qu'une annonce aussi importante ne soit pas venue de Washington, de Bruxelles ou du siège des Nations unies à New York, mais de la capitale saoudienne, souligne l'influence croissante de Riyad sur l'évolution de la situation mondiale.
Le forum lui-même est devenu une plateforme essentielle où sont dévoilées des décisions régionales et internationales transformatrices. Son importance ne réside pas seulement dans la participation de dirigeants de premier plan, mais dans ce qu'il symbolise: l'émergence de l'Arabie saoudite en tant que centre de pouvoir diplomatique – qui ne se définit plus uniquement par sa richesse économique ou son importance religieuse, mais de plus en plus par sa clairvoyance politique, ses initiatives stratégiques et sa capacité à réunir des représentants du pouvoir au-delà des clivages idéologiques et géopolitiques.
Le prince héritier Mohammed ben Salmane, dont le leadership ne cesse de redéfinir la place du Royaume sur la scène régionale et internationale, a joué un rôle clé dans la levée progressive des sanctions visant la Syrie. Rejoint virtuellement par le président turc Recep Tayyip Erdogan, le prince héritier a supervisé des pourparlers qui reflètent un nouveau régionalisme qui donne la priorité à la coopération pratique, à la stabilité à long terme et qui s'éloigne des politiques ratées de l'ère post-Printemps arabe. Dans un monde qui s'éloigne de plus en plus de l'unilatéralisme, le modèle saoudien de dialogue inclusif et de responsabilité régionale partagée offre un schéma directeur convaincant pour la résolution des conflits et la réintégration.
Les implications pour la Syrie sont profondes. Après plus d'une décennie de conflit, d'intervention étrangère, d'effondrement économique et de catastrophe humanitaire, cette annonce représente le premier pas crédible vers la normalité. La levée des sanctions par les États-Unis, longtemps symbole d'isolement international, ouvre la voie à la reconstruction, à l'investissement et à l'engagement diplomatique. Surtout, elle signale au peuple syrien que le monde est prêt à ouvrir un nouveau chapitre, à condition que ses dirigeants s'engagent dans un véritable changement.
Le modèle saoudien de dialogue inclusif et de responsabilité régionale partagée offre un modèle convaincant.
-Hani Hazaimeh
Pendant trop longtemps, la Syrie a servi de champ de bataille pour des guerres par procuration et des affrontements idéologiques, souvent aux dépens de ses citoyens. Aujourd'hui, sous une nouvelle direction, le pays se trouve à un tournant décisif. La réintégration dans le système régional et la communauté mondiale dépendra de la capacité du nouveau gouvernement syrien à répondre aux attentes – principalement, à faire respecter les droits de l'homme, à assurer une gouvernance inclusive et à reconstruire un État au service de son peuple plutôt que de le réprimer. Il ne s'agit pas d'une carte blanche, mais d'une occasion, facilitée par Riyad, de démontrer un engagement en faveur d'un nouveau contrat politique et social.
L'implication de l'Arabie saoudite n'est pas accessoire, elle est fondamentale. Au cours des dernières années, le Royaume s'est imposé comme un médiateur de paix discret mais puissant. En accueillant les négociations de paix au Soudan, en dirigeant les efforts de réconciliation de la Ligue arabe et en soutenant les causes humanitaires mondiales, la diplomatie saoudienne est passée d'une influence en coulisses à un leadership en première ligne. L'initiative en faveur de la Syrie est une autre manifestation de ce changement.
En outre, l'équilibre stratégique de l'Arabie saoudite entre les puissances mondiales – en maintenant des liens étroits avec les États-Unis tout en développant ses partenariats avec la Chine, la Russie et d'autres économies émergentes – lui a conféré un avantage unique. Elle est en mesure de parler à toutes les parties, de comprendre leurs impératifs stratégiques et de jouer un rôle de médiateur avec crédibilité. Cette diplomatie équidistante permet à l'Arabie saoudite d'agir en tant qu'interlocuteur de confiance dans les zones de conflit qui ne peuvent souvent pas être résolues par les voies traditionnelles.
La dimension économique de ce réalignement est tout aussi essentielle. La levée des sanctions contre la Syrie, en particulier en coordination avec une puissance régionale comme l'Arabie saoudite, envoie un signal clair aux investisseurs, aux institutions et aux agences internationales: La Syrie est désormais potentiellement ouverte aux affaires, sous de nouvelles conditions. L'Arabie saoudite, par l'intermédiaire de ses fonds souverains et de ses partenariats public-privé, peut jouer un rôle de premier plan dans la reconstruction de la Syrie. Plus important encore, elle peut veiller à ce que ces investissements soient liés à des critères de stabilité, de transparence et de développement – une vision qui s'aligne à la fois sur la sécurité régionale et sur les ambitions plus larges de Vision 2030.
Vision 2030, souvent considérée sous l'angle de la réforme interne, doit également être reconnue comme une doctrine géopolitique. Elle projette l'Arabie saoudite non seulement comme un leader régional, mais aussi comme un partenaire mondial, capable d'accueillir les sommets du G20, de mener des efforts de transformation numérique par le biais de l'Autorité saoudienne pour les données et l'intelligence artificielle, et maintenant d'influencer les transitions post-conflit dans l'un des pays les plus dévastés de la région. La convergence de la technologie, de la diplomatie et de la diversification économique donne à Riyad un effet de levier inégalé dans l'ordre mondial en évolution.
La Vision 2030, souvent perçue sous l'angle de la réforme interne, doit également être reconnue comme une doctrine géopolitique
-Hani Hazaimeh
La décision de Trump de faire cette annonce à Riyad reflète une vérité plus large: le centre de gravité de la diplomatie mondiale est en train de se déplacer. Le Moyen-Orient, longtemps considéré comme une source d'instabilité, produit aujourd'hui des solutions, sous l'impulsion d'acteurs régionaux qui s'insèrent dans les vides de leadership. L'Arabie saoudite, avec sa puissance financière, son rayonnement culturel et sa diplomatie de plus en plus sophistiquée, ne se contente pas de réagir aux changements mondiaux, elle les initie.
Pour la Syrie, la voie à suivre reste semée d'embûches. La réconciliation politique interne, le retour des réfugiés, la reconstruction des infrastructures et le traitement d'une société traumatisée nécessiteront du temps et une vision. Mais avec le soutien de la région – en particulier d'un partenaire aussi engagé et compétent que l'Arabie saoudite – la possibilité d'un renouveau est réelle. La facilitation par Riyad de la réhabilitation diplomatique de la Syrie constitue un test crucial pour l'avenir de la région: les États arabes peuvent-ils reprendre le contrôle de leurs affaires et façonner un avenir qui donne la priorité au peuple sur le pouvoir, à la stabilité sur le chaos et à la coopération sur la confrontation?
Le leadership de l'Arabie saoudite aujourd'hui n'est pas une question de domination, mais d'orientation. Le Royaume donne le ton de ce que le Moyen-Orient peut devenir au XXIe siècle: un centre d'innovation, de diplomatie et de pouvoir responsable. Ce faisant, il ne se contente pas de transformer sa propre identité, mais il remodèle l'histoire de toute une région.
L'histoire retiendra peut-être la levée des sanctions américaines contre la Syrie comme un tournant. Mais, plus important encore, elle se souviendra de l'endroit où cela s'est produit – et de ceux qui l'ont rendu possible.
Hani Hazaimeh est un rédacteur en chef basé à Amman.
X: @hanihazaimeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com