On ne peut plus éviter de parler de l’impact de l’intelligence artificielle sur l’éducation et l’emploi. Tout le monde utilise ou est encouragé à utiliser l’IA dans les systèmes éducatifs, sur le lieu de travail, ou dans la vie quotidienne. Elle permet indéniablement d’accomplir des tâches plus facilement, plus rapidement et à moindre coût. Pourtant, elle comporte aussi des inconvénients — des conséquences de transformation inévitables — qu’il faut apprendre à gérer pour en faire des opportunités et des avantages.
Dans le domaine de l’éducation, j’ai moi-même vu comment les étudiants, même les plus âgés, s’en servaient pour leurs travaux de recherche et leurs présentations — et cela ne m’a pas plu. Certains se contentaient de copier-coller ce que l’IA produisait sans même le lire, vérifier les erreurs, la cohérence ou l’exactitude. Le manque d’originalité, de créativité, d’analyse et d’expression personnelle était frappant. J’ai dit à mes étudiants : en laissant l’IA penser à votre place, faire vos recherches et rédiger vos travaux, vous vous rendez vous-mêmes obsolètes sur le marché du travail. Pourquoi une entreprise embaucherait-elle 10 personnes qui fournissent le même résultat avec l’IA, quand une seule personne suffit ? À mesure que cette technologie devient plus accessible, simple et souvent gratuite, les établissements scolaires doivent enseigner et encadrer son usage éthique.
Le problème ne vient pas seulement de l’utilisation paresseuse et confortable de contenus générés. Une étude récente du Media Lab du MIT sur l’impact de ChatGPT sur le cerveau suggère que cela pourrait nuire à l’apprentissage, en particulier chez les plus jeunes. Elle révèle des effets sur le développement cérébral à long terme, une diminution des capacités de pensée critique et un affaiblissement de la mémoire. Toutefois, bien utilisée, l’IA peut au contraire améliorer l’apprentissage.
Le manque d’originalité, de créativité et d’expression personnelle est préoccupant.
Maha Akeel
Une autre étude, menée par Microsoft, a montré que plus un utilisateur a confiance en l’IA, moins il exerce sa pensée critique. En revanche, plus il a confiance en lui-même, plus il utilise sa pensée critique. Cela illustre à quel point certaines personnes dépendent de l’IA parce qu’elles ont plus foi en elle qu’en leurs propres capacités. L’étude indique que la capacité à résoudre des problèmes de manière réfléchie et à effectuer une analyse indépendante peut diminuer chez ceux qui s’appuient trop sur l’IA pour chercher de l’information ou prendre des décisions. Un constat important et inquiétant : les jeunes de 17 à 25 ans — tranche d’âge universitaire — montrent une plus grande dépendance aux outils d’IA et des scores de réflexion plus faibles que les générations plus âgées.
L’intégration de l’IA dans le système éducatif pose donc un dilemme. D’un côté, elle peut servir d’outil puissant pour enrichir l’apprentissage, avec des retours personnalisés, l’automatisation de tâches répétitives ou l’analyse de données massives. De l’autre, il y a le risque que les étudiants deviennent trop dépendants de la technologie, au détriment de leur esprit critique, de leurs capacités de résolution de problèmes et de leur motivation à apprendre. Le défi pour les éducateurs est de trouver où et comment intégrer l’IA afin d’en maximiser les bénéfices tout en renforçant les compétences de réflexion des élèves.
Puisque cette avancée technologique va s’imposer dans de nombreux secteurs professionnels et dans la vie quotidienne, il est crucial d’en parler ouvertement et de continuer à ajuster nos stratégies éducatives et nos méthodes d’enseignement. L’Arabie saoudite a récemment annoncé l’intégration de l’enseignement de l’IA dans tout le système scolaire public — de l’école primaire à l’université, ainsi que dans la formation technique et l’apprentissage tout au long de la vie — à partir de la prochaine rentrée. C’est une décision à la fois opportune et nécessaire pour s’adapter à ces évolutions, renforcer la compétitivité mondiale du pays et son rôle de leader en matière d’IA, en accord avec la Vision 2030. Toutefois, il faut rester attentif aux bénéfices comme aux risques, surtout pour les jeunes utilisateurs.
Par ailleurs, sur le marché du travail, l’IA transforme les types d’emplois et de compétences demandés. De nouveaux métiers émergent, tels que formateurs en IA, analystes et scientifiques des données, responsables de la collaboration homme-machine, ou encore spécialistes en éthique et politiques de l’IA.
L’IA génère également de nouvelles opportunités d’emploi nécessitant des compétences comme la pensée critique, la créativité et la résolution de problèmes. Selon le rapport Future of Jobs 2025 du Forum économique mondial (WEF), la pensée analytique demeure la compétence clé la plus recherchée par les employeurs — sept entreprises sur dix la considèrent comme essentielle. Viennent ensuite la résilience, la flexibilité, l’agilité, ainsi que le leadership et l’influence sociale. Entre 2025 et 2030, l’IA et les mégadonnées seront en tête des compétences en plus forte croissance, suivies par les réseaux et la cybersécurité, ainsi que la littératie technologique.
À côté de ces compétences techniques, on attend également une montée en importance de la pensée créative, de la curiosité, de la résilience, de la flexibilité et de l’apprentissage tout au long de la vie. À l’inverse, avec l’automatisation croissante, les compétences liées à la dextérité manuelle, l’endurance et la précision devraient décliner, 24 % des employeurs prévoyant une baisse de leur utilité.
La pensée analytique reste la compétence centrale la plus convoitée.
Maha Akeel
Sans surprise, 63 % des employeurs interrogés dans le rapport du WEF identifient les écarts de compétences comme le principal obstacle à la transformation de leurs activités entre 2025 et 2030. En Arabie saoudite, ce chiffre monte à 79 %. Ainsi, 85 % des entreprises prévoient de mettre l’accent sur la montée en compétences de leurs salariés, 70 % souhaitent embaucher du personnel doté de nouvelles compétences, 40 % envisagent de réduire les effectifs dont les compétences sont devenues obsolètes, et 50 % prévoient de redéployer ces employés vers des postes en croissance.
Le rapport indique qu’en moyenne, deux compétences sur cinq détenues actuellement par les travailleurs deviendront obsolètes ou devront être transformées d’ici 2030. En Arabie saoudite, le taux de transformation des compétences essentielles est estimé à 40 %. On met donc l’accent sur l’apprentissage continu, les programmes de requalification et d’amélioration des compétences, afin de permettre aux entreprises de mieux anticiper et gérer leurs besoins futurs — notamment en matière d’IA.
Selon le rapport, 24 % des employeurs en Arabie saoudite estiment qu’ils auront accès aux talents nécessaires en 2025, contre 29 % dans le monde. Mais 45 % pensent que cette disponibilité s’améliorera dans les cinq prochaines années, 69 % prévoient de développer les talents internes et 55 % de les fidéliser.
Toujours d’après le rapport, alors que les entreprises saoudiennes accélèrent leurs investissements technologiques, plus de 70 % d’entre elles identifient la littératie technologique comme une compétence en forte croissance, suivie par les réseaux, la cybersécurité, l’intelligence artificielle et les mégadonnées. En outre, 38 % des entreprises dans le Royaume envisagent de supprimer les exigences de diplômes pour faciliter l’accès aux talents — contre une moyenne mondiale de 19 %.
Toutes ces projections liées à l’IA et à son impact sur le marché du travail impliquent des réformes profondes du système éducatif — non seulement sur le quoi enseigner, mais aussi sur le comment enseigner et engager les étudiants. Cela signifie qu’il faut non seulement améliorer les outils, mais aussi renforcer les compétences des enseignants et formateurs.
Maha Akeel est une experte saoudienne en communication, développement social et relations internationales. Elle est membre du Senior Women Talent Pipeline des Nations unies.
X: @MahaAkeel1
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com