Des liens sécuritaires renforcés profiteront au monde arabe et à la Turquie

Le président turc Tayyip Erdogan accueille le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi à Ankara, le 4 septembre 2024. (Reuters)
Le président turc Tayyip Erdogan accueille le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi à Ankara, le 4 septembre 2024. (Reuters)
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Publié le Samedi 23 août 2025

Des liens sécuritaires renforcés profiteront au monde arabe et à la Turquie

Des liens sécuritaires renforcés profiteront au monde arabe et à la Turquie
  • Face à l’instabilité régionale provoquée par Israël, la Turquie renforce ses liens sécuritaires avec plusieurs pays arabes, dont l’Égypte et la Syrie, en misant sur sa puissance militaire croissante pour établir un front commun contre les menaces communes
  • La coopération militaire devient centrale dans la stratégie régionale, avec des accords inédits comme celui entre Ankara et Damas pour la formation de l’armée syrienne

Par le passé, les relations de la Turquie avec Israël étaient souvent une source majeure de tension avec les pays arabes, en particulier l’Égypte et la Syrie. Aujourd’hui, la menace croissante que représente Israël dans la région devient un facteur clé de coopération entre Ankara et le monde arabe. Comme le rappellent souvent les analystes des relations internationales, « le contexte compte », car il façonne aussi bien les alliances politiques et militaires que les rivalités.

Les années 2010 ont été cruciales, mettant à rude épreuve les relations turques avec l’Égypte et la Syrie. Le réchauffement avec l’administration du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi et l’effondrement du régime de Bachar Al-Assad ont ouvert la voie à une amélioration des relations entre Ankara, Le Caire et Damas. Dans ce climat relativement stable, Israël s’est imposé comme un facteur de déstabilisation, remettant en cause l’équilibre régional recherché par ces États.

La guerre menée par Israël à Gaza, ses frappes au Liban et en Syrie, ainsi que son enracinement militaire et politique sont désormais les moteurs d’un rapprochement sécuritaire entre les États arabes et la Turquie, dont l’industrie de défense et les capacités militaires connaissent un essor notable.

Bien que la coopération croissante entre la Turquie, l’Égypte et la Syrie en dise long sur leurs relations bilatérales, elle ne peut être dissociée du contexte régional plus large. La coopération politique seule ne suffit plus, et leur vision économique commune reste menacée tant qu’Israël continue à déstabiliser la région. La Turquie cherche donc à aller plus loin dans ses relations avec les nations arabes à travers une coopération sécuritaire renforcée, visant à contrer les menaces découlant des politiques israéliennes.

Depuis l’effondrement du régime Assad, la Turquie cherche à conclure un accord global de coopération militaire avec Damas. À la suite d’affrontements dans le sud syrien, la Syrie a officiellement sollicité l’aide militaire d’Ankara. Récemment, les ministres de la Défense des deux pays ont signé un accord attendu de longue date portant sur la formation militaire et le conseil, à l’issue de discussions à Ankara.

Cet accord prévoit le renforcement des capacités de l’armée syrienne, le développement de ses institutions, sa structuration, ainsi qu’une réforme complète de son appareil sécuritaire. Il s’agit de la première coopération militaire formelle entre Ankara et Damas depuis la chute du régime. Pour la Turquie, cet accord est une nécessité pour sa propre sécurité nationale, la stabilité et l’intégrité territoriale de la Syrie étant cruciales à ses yeux.

La coopération politique entre acteurs régionaux ne suffit pas.

                                                 Dr. Sinem Cengiz

Trois facteurs clés ont façonné la position d’Ankara à l’égard de cet accord. Premièrement, de nouveaux affrontements en Syrie pourraient entraîner une nouvelle vague de réfugiés vers la Turquie. Deuxièmement, l’instabilité pourrait renforcer les Forces démocratiques syriennes à majorité kurde, proches du PKK, et compromettre leur intégration dans l’armée syrienne. Or, Ankara estime qu’une armée syrienne unifiée est essentielle à la stabilité régionale — un objectif central de l’accord. Troisièmement, et surtout, la Turquie craint l’enracinement israélien en Syrie, sous prétexte de protection des populations druzes ou d’autres groupes. Ces trois éléments représentent une menace directe pour la sécurité turque.

Dans ce cadre, la Turquie entend former l’armée régulière syrienne. Cela pourrait impliquer un renforcement de la présence militaire turque en Syrie. Ankara dispose déjà de troupes dans le nord du pays, principalement pour contrer les menaces kurdes. Cet accord officialise son rôle de soutien militaire, tout en la positionnant comme un acteur central dans la lutte contre des groupes comme Daech et Al-Qaïda, que l’armée syrienne actuelle est incapable de neutraliser seule.

Cependant, Israël s’oppose à tout déploiement accru de troupes turques, notamment dans le sud de la Syrie, tout en continuant de soutenir les revendications d’autonomie des Kurdes et des Druzes. La Turquie avait envisagé le déploiement de ses forces sur une base aérienne au centre du pays pour contrer les opérations israéliennes et Daech, mais ce site a été ciblé par des frappes israéliennes en avril.

L’Égypte s’inquiète également de l’enracinement israélien, tout comme Damas. Elle cherche donc une autre forme de coopération avec Ankara. Selon des rapports, Le Caire serait sur le point de rejoindre le projet stratégique turc de développement du chasseur furtif Kaan. Ce serait une avancée majeure en matière de coopération militaire, marquant un tournant après des années de tensions politiques.

Le Caire et Ankara sont conscients que le contexte régional nuit à leurs intérêts sécuritaires. Ils perçoivent la nécessité de bâtir un front sécuritaire commun. Dans cette optique, la coopération en matière de défense constitue la pierre angulaire d’une collaboration plus large. C’est la première fois que les deux pays s’engagent à intensifier leur collaboration industrielle en matière de défense — un partenariat susceptible de redéfinir l’équilibre aérien régional. Cette décision intervient alors qu’Israël affiche sa domination militaire, avec le soutien total de Washington, tandis que les aides militaires américaines à l’Égypte, à la Syrie et à la Turquie restent limitées.

Dans ce climat régional tendu, la Turquie renforce discrètement mais stratégiquement ses liens militaires et sécuritaires avec les pays arabes, lesquels se tournent aussi vers Ankara, conscients de la nécessité d’un front coordonné. Outre l’Égypte et la Syrie, la Jordanie, l’Irak et le Liban approfondissent eux aussi leur coopération sécuritaire avec la Turquie. Les récentes réunions et visites témoignent d’un réalignement en cours entre Ankara et ces États. Il va sans dire que la Turquie reste le seul pays non-arabe de la région capable d’apporter un soutien militaire, incluant formation des forces, systèmes de défense aérienne et partage de renseignement.

La Turquie et le monde arabe partagent des menaces communes : ils sont dans le même bateau. Dans le contexte actuel, la menace principale est l’expansionnisme israélien, et renforcer la coopération en matière de défense est, en ce sens, la stratégie la plus judicieuse.

Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. *

X: @SinemCngz

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com