Vers une alliance de défense inédite entre Ankara, Le Caire et Riyad

Hakan Fidan, ministre turc des Affaires étrangères, a récemment appelé à la mise en place d'un mécanisme de sécurité commun avec les États de la région, en particulier l'Égypte et l'Afrique du Sud (AFP).
Hakan Fidan, ministre turc des Affaires étrangères, a récemment appelé à la mise en place d'un mécanisme de sécurité commun avec les États de la région, en particulier l'Égypte et l'Afrique du Sud (AFP).
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Publié le Samedi 27 septembre 2025

Vers une alliance de défense inédite entre Ankara, Le Caire et Riyad

Vers une alliance de défense inédite entre Ankara, Le Caire et Riyad
  • La Turquie, l’Égypte et l’Arabie saoudite renforcent leur coopération sécuritaire à travers des manœuvres militaires, des projets communs (comme le chasseur furtif Kaan), et une position unifiée face aux menaces régionales, notamment l’agressivité israéli
  • Cette alliance tripartite marque un tournant stratégique au Moyen-Orient, avec l’émergence d’un bloc régional indépendant des puissances occidentales, fondé sur une vision commune de la sécurité et un refus croissant des ingérences extérieures

Le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, a récemment appelé à la mise en place d’un mécanisme de sécurité conjoint avec les États de la région, en particulier l’Égypte et l’Arabie saoudite. Il a souligné que la coopération sécuritaire devait être une priorité au même titre que les partenariats politiques et économiques.

Une collaboration sécuritaire aussi étroite entre ces pays aurait été impensable il y a dix ans. Mais désormais, portée par une volonté politique forte et des préoccupations sécuritaires partagées, une telle coopération est moins un choix qu’une nécessité.

Sur le plan diplomatique, le fait que ces puissances régionales parviennent à un consensus politique sur les grandes questions régionales est significatif. Ankara, Riyad et Le Caire mènent déjà des consultations diplomatiques de haut niveau sur la situation à Gaza et travaillent à des initiatives centrées sur la Palestine. Ils partagent une lecture commune de l’agression israélienne croissante dans la région, notamment après les attaques sur Doha.

Ce rapprochement stratégique vise à éviter l’intervention de puissances extérieures et pourrait devenir un moteur pour d’autres pays de la région souhaitant s’associer à cette coopération.

Plus important encore, une éventuelle coopération en matière de sécurité entre la Turquie, l'Égypte et l'Arabie saoudite changerait la donne et pourrait modifier l'équilibre régional.

Il est clair que la Turquie veut aller au-delà d’une simple coopération politique avec l’Égypte et l’Arabie saoudite. Pour la première fois depuis 13 ans, Ankara et Le Caire organiseront un exercice naval conjoint, selon le ministère turc de la Défense.

Cet exercice — baptisé "Friendship Sea" — se tiendra en Méditerranée orientale, zone stratégique pour les deux pays. Il mettra en scène des frégates turques, des navires d’attaque rapide, un sous-marin, des avions F-16, ainsi que des unités navales égyptiennes. Le lancement de cet exercice marque un pas important vers une coopération militaire, surtout dans le contexte des frustrations partagées face aux attaques israéliennes.

Israël a en effet frappé le Liban, la Syrie, l’Iran, le Yémen et le Qatar, et a également semé la discorde avec l’Égypte et la Jordanie. Tel-Aviv menace désormais directement la Turquie, tant par ses actions sur le terrain que par les déclarations de ses responsables.

La Turquie renforce également ses liens avec Riyad.

                                                       Dr Sinem Cengiz

La Turquie renforce aussi ses relations avec Riyad, un développement qui pourrait avoir des retombées concrètes. Une coopération sécuritaire turco-égypto-saoudienne est stratégique : ces puissances régionales disposent d’une solide tradition diplomatique, d’États consolidés, ainsi que d’un poids démographique et économique significatif.

Cette alliance pourrait inaugurer une nouvelle ère dans les relations régionales, faisant émerger un bloc de dissuasion contre Israël.

La Turquie représente, par sa puissance militaire, le partenaire non occidental le plus crédible pour l’Égypte et l’Arabie saoudite. Membre de l’OTAN, elle possède la deuxième armée de l’alliance, et son industrie de défense est en plein essor, notamment grâce à ses drones Bayraktar TB2. Les États européens ont également commencé à s'intéresser aux drones turcs, notamment en raison du rôle majeur joué par cette arme dans la guerre entre la Russie et l'Ukraine, dans le conflit du Haut-Karabakh et en Syrie. Presque tous les pays du Golfe ont ajouté des drones Bayraktar à leur arsenal. Cette "diplomatie du drone" a joué un rôle de catalyseur dans l'amélioration des relations entre la Turquie et le Golfe. 

Désormais, l’Égypte serait sur le point de rejoindre le projet stratégique turc de développement du chasseur furtif TAI Kaan. Si cette information se confirme, ce serait plus qu’une coopération militaire bilatérale : ce serait un signal fort d’un rééquilibrage régional, où les États refusent de se soumettre aux pressions extérieures.

L’agression israélienne est perçue comme une menace majeure.

                                                           Dr Sinem Cengiz

Le Kaan, avion de chasse de cinquième génération, est l’un des projets phares de l’industrie de défense turque. En développement depuis plus de dix ans, l’appareil a été dévoilé en 2023, puis a effectué son premier vol d’essai en 2024. L’Arabie saoudite a également exprimé son intérêt pour l’acquisition de ce chasseur.

La coopération militaire turco-saoudienne est plus avancée qu’avec l’Égypte. Les forces armées saoudiennes ont participé à des exercices multinationaux en Turquie, et Ankara espère conclure un contrat de 6 milliards de dollars avec Riyad portant sur des navires de guerre, des chars et des missiles.

L'Égypte et l'Arabie saoudite souhaitent rejoindre le projet stratégique turc de Kaan pour des raisons à la fois politiques et sécuritaires. Après l'attaque israélienne contre Doha, Riyad souhaite signaler aux États-Unis qu'il dispose d'alternatives pour renforcer ses capacités de défense. Deuxièmement, les pays partagent une vision de la sécurité régionale visant à établir un nouvel environnement de sécurité, en utilisant leurs propres pouvoirs.

Ensemble, la capacité militaire turque, la puissance économique et politique saoudienne, et la position géopolitique égyptienne pourraient constituer un triangle de puissance régionale.

Rappelons que la théorie de l'équilibre des menaces de Stephen Walt, spécialiste des relations internationales, affirme que les États ont tendance à s'allier contre l'adversaire le plus menaçant. Ankara, Le Caire et Riyad considèrent que les développements actuels dans la région, qui découlent de l'agression israélienne, constituent une menace majeure pour leurs objectifs stratégiques. Une alliance turco-saoudo-égyptienne serait donc déterminante pour rééquilibrer les rapports de force au Moyen-Orient, et d’autres accords de défense pourraient suivre dans cette dynamique.


Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. 

X: @SinemCngz

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com