Depuis la signature du cessez-le-feu à Gaza, négocié par les États-Unis le mois dernier, les pays de la région travaillent à maintenir Washington aussi engagé que possible dans la gestion de la prochaine phase. Parallèlement, une nouvelle dynamique émerge : ces pays ne veulent pas dépendre uniquement des États-Unis pour la mise en œuvre de l’accord. Ils construisent plutôt leur propre consensus régional. Un exemple clé de cette tendance se voit dans la coordination croissante entre l’Égypte et la Turquie.
Ces deux pays, avec les États-Unis et le Qatar, servent de garants principaux de l’accord de Gaza, ce qui leur confère non seulement une crédibilité diplomatique renforcée mais aussi une responsabilité importante dans sa mise en œuvre.
Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Badr Abdelatty, s’est rendu officiellement à Ankara mercredi pour la réunion inaugurale du Groupe de planification conjoint Turquie-Égypte, qui a porté sur les préparatifs d’une réunion du Conseil de coopération stratégique de haut niveau prévue en 2026. De Gaza à la Syrie, du Soudan à la Méditerranée, et à travers les domaines militaire et économique, chaque aspect de leur relation a été examiné en profondeur pour développer un cadre complet de coordination turco-égyptienne. Cependant, ce sont les phases possibles suivantes de l’accord de Gaza, qui envisagent la reconstruction de la Bande et la mise en place d’une force internationale de stabilisation pour y maintenir la stabilité, qui ont été au centre des discussions.
La Turquie a joué un rôle clé pour amener le Hamas à la table des négociations et faciliter la signature de l’accord de Gaza. Malgré les efforts israéliens pour l’exclure du processus, Ankara est déterminée à rester activement impliquée dans la phase post-accord par des moyens à la fois militaires et humanitaires.
Ankara est déterminée à rester activement impliquée dans la phase post-accord par des moyens à la fois militaires et humanitaires.
Dr Sinem Cengiz
Des ministres de sept pays musulmans se sont réunis à Istanbul ce mois-ci pour discuter de la situation à Gaza, bien que l’Égypte, notablement, n’ait pas participé. Les médias israéliens ont rapidement interprété l’absence du Caire comme un signe d’opposition au rôle potentiel de la Turquie dans une force internationale de stabilisation. Cette affirmation me semble peu convaincante, étant donné que la coopération Égypte-Turquie gêne largement Israël. Ces rapports semblent davantage correspondre au récit que Tel-Aviv cherche à promouvoir.
L’Égypte est susceptible de voir l’inclusion de troupes turques dans la force de stabilisation comme un élément positif et constructif. La visite d’Abdelatty à Ankara et son alignement avec son homologue turc, Hakan Fidan, prouvent que l’Égypte ne souhaite pas avancer seule sur la question de Gaza. Les deux ministres des Affaires étrangères préparent désormais la conférence internationale sur la récupération précoce, la reconstruction et le développement à Gaza, qui doit se tenir au Caire plus tard ce mois-ci.
Le récent rapprochement entre la Turquie et l’Égypte se concrétise par des visites réciproques et le consensus régional qu’ils construisent pour une pertinence partagée. Après les visites présidentielles des deux dirigeants l’an dernier, les relations bilatérales ont pris un nouvel élan, menant à des résultats tangibles aujourd’hui. Ankara et Le Caire ont intensifié leur coordination au-delà du niveau de leadership, principalement à travers la bureaucratie. Fidan s’est rendu en Égypte trois fois au cours de l’année écoulée, tandis qu’Abdelatty s’est rendu en Turquie à deux reprises. Les deux diplomates principaux coordonnent les positions respectives de leurs États en s’appuyant fortement sur des mécanismes institutionnels.
Ankara et Le Caire ont intensifié leur coordination au-delà du niveau de leadership, principalement à travers la bureaucratie.
Dr Sinem Cengiz
Le renouveau des relations entre l’Égypte et la Turquie marque un alignement diplomatique important après une décennie d’hostilité motivée politiquement. L’Égypte reste une puissance arabe majeure au Moyen-Orient, bien qu’elle connaisse certaines limites. La Turquie, puissance non-arabe importante, possède elle aussi ses forces et contraintes. Pourtant, à bien des égards, les deux pays complètent les limitations de l’autre, créant une dynamique qui favorise une coopération productive.
Ce qui est clair, c’est que la Turquie et l’Égypte partagent des préoccupations communes et reconnaissent les opportunités de collaboration. Cela vise non seulement à apaiser les tensions régionales, mais aussi à renforcer leur position dans la région. Les deux nations disposent d’institutions étatiques solides, d’un capital humain compétent, d’une intelligentsia influente et d’une capacité militaire considérable.
La Turquie et l’Égypte veulent également renforcer leur coopération en matière de défense et militaire. Le Caire s’intéresse à rejoindre le projet stratégique turc de développement du chasseur furtif TAI Kaan. Un mémorandum a également été signé pour préparer la production de drones en Égypte. Ankara pourrait être le partenaire non-occidental le plus crédible pour Le Caire. Elle possède la deuxième plus grande armée de l’OTAN et une industrie de défense en pleine croissance grâce à ses drones Bayraktar TB2.
La Turquie se classe actuellement première parmi les armées du Moyen-Orient et neuvième au niveau mondial, tandis que l’Égypte dispose d’une force navale redoutable. Dans ce contexte, Ankara et Le Caire cherchent à renforcer leur position en Méditerranée, une zone contestée pour la compétition énergétique et les rivalités géopolitiques plus larges. Ils ont récemment lancé leur premier exercice naval conjoint depuis 13 ans, qui, au-delà d’un mouvement tactique, pourrait s’inscrire dans un alignement stratégique à long terme en Méditerranée, où la Turquie cherche des alliés partageant ses intérêts.
Autrefois, on disait souvent : « Sans l’Égypte, pas de guerre ; sans la Syrie, pas de paix ». Aujourd’hui, ce sentiment pourrait être révisé : avec l’Égypte, la Turquie et d’autres acteurs régionaux clés comme l’Arabie Saoudite, la paix et la stabilité dans la région peuvent être construites. Le rapprochement de ces puissances est significatif pour éviter l’intervention de tiers et pourrait même servir de locomotive pour d’autres à rejoindre leur coopération.
De plus, leur position commune pourrait renforcer le rôle des « stabilisateurs » dans la région face aux « déstabilisateurs » comme Israël. Ainsi, la capacité de l’Égypte et de la Turquie à poursuivre cette coordination constructive ne façonnera pas seulement leurs relations bilatérales, mais aura également des implications importantes pour la région au sens large. On peut s’attendre à voir davantage de développements sur le front turco-égyptien dans les jours à venir ; il est donc important de suivre cette dynamique.
Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient.
X: @SinemCngz
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com














