Erdogan cherche un alignement stratégique lors de sa tournée dans le Golfe

La tournée de M. Erdogan dans le Golfe a pour but de faire évoluer la Turquie vers un alignement stratégique solide. (AFP/Bureau de presse de la présidence turque)
La tournée de M. Erdogan dans le Golfe a pour but de faire évoluer la Turquie vers un alignement stratégique solide. (AFP/Bureau de presse de la présidence turque)
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Publié le Vendredi 24 octobre 2025

Erdogan cherche un alignement stratégique lors de sa tournée dans le Golfe

Erdogan cherche un alignement stratégique lors de sa tournée dans le Golfe
  • Erdogan cherche à transformer les relations politiques avec le Koweït, Oman et le Qatar en un véritable alignement stratégique, incluant défense, économie et coopération régionale
  • La Turquie vise à consolider sa présence dans le Golfe en capitalisant sur les dynamiques économiques et diplomatiques locales tout en renforçant ses partenariats bilatéraux et multilatéraux

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a entamé cette semaine une tournée dans le Golfe comprenant trois étapes : le Koweït, le Qatar et Oman. Si le Qatar n’est pas une destination inhabituelle étant donné les relations étroites entre Ankara et Doha, les visites au Koweït et à Oman revêtaient une signification particulière.

Au Koweït et à Oman, Erdogan a réciproqué les visites de l’émir koweïtien Sheikh Mishal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah et du Sultan Haitham bin Tariq en Turquie l’an dernier. La visite de l’émir koweïtien s’inscrivait dans le cadre d’une tournée régionale et marquait sa première visite dans un pays non arabe. La visite du Sultan Haitham en Turquie était la première d’un sultan omanais en près de 40 ans. Lors de ces deux visites, qui avaient un poids politique et diplomatique significatif, plusieurs accords ont été signés et elles ont certainement ouvert une nouvelle page dans les relations modestes de ces États avec Ankara. Erdogan a visité ces deux pays pour réciproquer et consolider l’évolution de leurs liens.

En tant qu’observateur des relations turco-golfiques, je soutiendrais que les décideurs turcs reconnaissent que les relations d’Ankara avec le Koweït et Oman n’ont pas encore atteint leur plein potentiel stratégique. Il existe une compréhension selon laquelle chaque État du Golfe a des intérêts et des visions divers, ce qui a conduit Ankara à développer des agendas distincts avec eux. Il est clair qu’il existe une volonté politique significative au niveau du leadership, ce qui est crucial compte tenu de la nature personnalisée des relations turco-golfiques.

Les relations entre la Turquie et les pays du Golfe comportent encore de nombreux domaines inexploités. Toutefois, l'évolution rapide de la dynamique régionale, ainsi que les transformations économiques en cours dans les États du Golfe, affectent considérablement le rythme des liens entre la Turquie et les pays du Golfe.

Les décideurs turcs reconnaissent que les relations d’Ankara avec le Koweït et Oman n’ont pas encore atteint leur plein potentiel. 

                                               Dr. Sinem Cengiz

Trois aspects clés soulignent l’importance de la démarche d’Erdogan dans le Golfe.

Premièrement, la tournée d’Erdogan intervient à un moment critique, juste un peu plus d’une semaine après l’entrée en vigueur de l’accord de cessez-le-feu à Gaza. Au niveau régional, Erdogan recherche un soutien plus large des États du Golfe sur Gaza et la Syrie. Ankara souhaite un appui du Golfe pour la reconstruction de Gaza, même si les États du Golfe contribueront probablement par des efforts multilatéraux plutôt qu’unilatéraux. Concernant la Syrie, Ankara souhaite des relations plus étroites entre la nouvelle administration syrienne et les capitales du Golfe, incluant engagement politique et économique.

Deuxièmement, il y a l’aspect des relations de la Turquie avec le Conseil de coopération du Golfe en tant que bloc régional. Elle vise un accord de libre-échange avec le CCG et la consolidation du dialogue stratégique. Pour atteindre cet objectif, des relations plus fortes avec chacun des six membres du CCG sont essentielles.

Troisièmement, il est important de s’attarder sur les aspects bilatéraux des visites d’Erdogan au Koweït, au Qatar et à Oman. Les visites au Koweït et à Oman avaient pour but d’ouvrir la porte à une nouvelle ère dans les relations de la Turquie avec ces États. Dans cette nouvelle ère, si leur coopération se construit sur une base stratégique plutôt que tactique, les relations pourraient même atteindre le niveau que la Turquie a établi avec le Qatar. Si les dirigeants s’alignent sur cette vision, un virage stratégique dans la coopération en matière de défense pourrait également être consolidé.

Lors de la visite de Sheikh Mishal en Turquie l’an dernier, les deux parties se sont accordées sur une coopération en matière de défense par la mise en œuvre d’un protocole sur les achats militaires. Comme le souligne l’ancien ambassadeur koweïtien en Turquie, Ghassan Al-Zawawi : « La Turquie a le potentiel de devenir un acteur clé dans l’armement du Koweït, notamment parce que ses capacités de défense répondent aux besoins géopolitiques du Koweït. Ce dont le Koweït a besoin en matière d’armement est très différent de ce dont les autres États du Golfe ont besoin. Une percée dans ce domaine pourrait également encourager des avancées dans d’autres secteurs des relations. »

Il est à noter que, dans l’entourage d’Erdogan, qui comprenait plusieurs ministres, un nom se démarquait : Haluk Gorgun, directeur de l’Agence de l’industrie de défense.

Ankara vise à reproduire l’élan positif qu’elle a établi avec d’autres États du Golfe dans ses relations avec Mascate. 

                                          Dr. Sinem Cengiz

La relation de la Turquie avec Oman progresse discrètement mais régulièrement — reflet de l’approche diplomatique silencieuse de Mascate. Lors de la visite du Sultan Haitham en Turquie, j’écrivais que « cette visite indique qu’Oman adopte une approche progressive dans sa relation avec la Turquie — en commençant par renforcer la diplomatie, suivi d’une coopération commerciale et énergétique plus étroite. Cela pourrait éventuellement ouvrir la voie à une collaboration militaire et de défense plus rapprochée. » Depuis, plusieurs initiatives ont été lancées à tous les niveaux : politique, économique et culturel.

Oman est un pilier crucial dans la stratégie de la Turquie vis-à-vis du CCG. Ankara vise à reproduire l’élan positif qu’elle a établi avec d’autres États du Golfe dans ses relations avec Mascate. Comme d’autres nations du CCG, Oman diversifie actuellement ses politiques économiques et militaires, et la Turquie souhaite en tirer parti.

Les entreprises turques cherchent à profiter d’une participation accrue dans les projets économiques d’Oman et du Koweït. En l’espace d’un an, entre 2023 et 2024, le nombre d’entreprises turques enregistrées à Oman a presque doublé, reflétant le rôle croissant de la Turquie dans le paysage économique omanais. Dans le même esprit, le Koweït connaît une transformation à travers sa vision économique. Les accords sur le transport maritime, l’investissement direct et la coopération énergétique signés entre la Turquie et le Koweït lors de la visite d’Erdogan illustrent ce changement.

Concernant le Qatar, l’aspect principal portait sur les efforts de médiation conjointe Ankara-Doha. Doha cherche le soutien d’un partenaire clé pour renforcer ses efforts de médiation, et pas seulement à Gaza. En Libye et au Soudan, le Qatar préfère partager la responsabilité, et la Turquie apparaît comme un acteur important sur lequel il peut compter. L’accord de cessez-le-feu Afghanistan-Pakistan de dimanche a été un résultat significatif de leurs efforts de médiation conjoints.

Dans l’ensemble, la tournée d’Erdogan dans le Golfe visait à dépasser le simple alignement politique pour aboutir à un alignement stratégique solide, englobant coopération en matière de défense, intégration économique et positions politiques unifiées sur les questions régionales. En d’autres termes, un nouvel ordre régional centré sur le Golfe émerge — dans lequel la Turquie cherche à se garantir un rôle de premier plan en tirant parti de ses capacités de puissance douce et dure.
 

Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. 

X: @SinemCngz

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com