Pourquoi la politique du hard power influence les relations étrangères de la Turquie

Le président turc Recep Tayyip Erdogan. (AFP)
Le président turc Recep Tayyip Erdogan. (AFP)
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Publié le Samedi 01 novembre 2025

Pourquoi la politique du hard power influence les relations étrangères de la Turquie

Pourquoi la politique du hard power influence les relations étrangères de la Turquie
  • La Turquie déploie des troupes dans au moins 9 pays et exporte massivement des drones Bayraktar TB2, renforçant son influence internationale et son réseau d’alliés
  • Les accords militaires et la coopération en défense servent l’objectif de l’autonomie stratégique et font du hard power un élément central de la politique étrangère turque

Au cours de la dernière décennie, la Turquie a de plus en plus intégré des éléments militaires et de défense dans sa politique étrangère via l’élargissement de ses mandats, la vente de produits de l’industrie de défense et la signature d’accords de défense et militaires. La politique de hard power est devenue une base plus stable pour ses relations avec d’autres nations, faisant de la défense un élément central de sa diplomatie.

Le besoin d’Ankara d’une approche plus militairement affirmée s’étend au-delà de ses frontières, motivé par la perception de menaces immédiates pour sa sécurité nationale et l’instabilité croissante dans son voisinage. L’un des éléments clés de cette stratégie de hard power est le déploiement de troupes à l’extérieur, en plus du rôle conventionnel des Forces armées turques dans les missions de l’ONU et de l’OTAN.

Cette semaine, le Parlement turc a approuvé des extensions pour les opérations militaires dans les pays voisins afin de maintenir les troupes en Irak et en Syrie pendant trois années supplémentaires et de prolonger la présence des Casques bleus dans la Force intérimaire des Nations Unies au Liban pour deux années supplémentaires. Depuis 2014, le parlement renouvelle régulièrement ces mandats transfrontaliers, généralement sur une base annuelle. Cependant, le mandat actuel pour la Syrie représente la plus longue prolongation depuis la première intervention transfrontalière de la Turquie en 2016. En Irak, les opérations militaires turques remontent aux années 1980, lorsqu’elle a commencé à s’attaquer au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), désigné comme groupe terroriste par la Turquie, les États-Unis et l’UE.

Les mandats pour la Syrie et l’Irak ont provoqué des divisions au sein du parlement. Le Parti de la justice et du développement au pouvoir et le Parti du mouvement nationaliste ont soutenu la motion, tandis que le Parti républicain du peuple et le Parti de l’égalité et de la démocratie populaire s’y sont opposés. Cependant, le déploiement turc dans la force de maintien de la paix de l’ONU a bénéficié d’un soutien plus large.

Malgré de bonnes relations avec la nouvelle administration à Damas et le gouvernement de Bagdad, la Turquie reste préoccupée par l’instabilité potentielle liée aux activités de groupes terroristes, notamment les militants du PKK et de Daesh. La motion pour la Syrie indiquait que le PKK et ses branches « refusent de prendre des mesures en vue de s’intégrer à l’administration centrale syrienne en raison de leur programme séparatiste et divisif ». L’extension du mandat montre que le nouveau gouvernement syrien a besoin d’un soutien international pour renforcer ses capacités de lutte contre le terrorisme. Dans le même temps, elle reflète la stratégie de hard power à long terme de la Turquie en Syrie.

La politique de hard power de la Turquie coïncide également avec des instabilités allant du Caucase à l’Afrique. Aujourd’hui, la Turquie a des troupes déployées dans au moins neuf pays, de la Syrie à l’Irak, de la Libye à l’Azerbaïdjan et du Qatar à la Somalie. Depuis 2017, Ankara a également commencé à exporter les drones Bayraktar TB2, le premier véhicule aérien sans pilote armé développé localement. Le Bayraktar TB2 a joué un rôle crucial dans plusieurs zones de conflit, notamment en Libye, au Karabakh et en Ukraine, où il a gagné une reconnaissance internationale pour son efficacité.

La diplomatie des drones a offert à Ankara un réseau d’alliés. 

                                             Dr. Sinem Cengiz

La Turquie a vendu des TB2 à au moins 34 pays, y compris ses alliés et partenaires en Europe, en Asie centrale et du Sud, en Afrique, au Levant et dans le Golfe. Cette diplomatie des drones a fourni à Ankara un solide réseau d’alliés à travers l’Eurasie, l’Afrique et le Moyen-Orient. Selon le directeur de l’Agence turque de l’industrie de défense, Haluk Gorgun, les exportations de l’industrie de défense turque ont dépassé 7,1 milliards de dollars l’an dernier, un jalon important. Gorgun accompagne également le président Recep Tayyip Erdogan lors de visites étrangères clés, la plus récente étant une tournée dans le Golfe comprenant trois escales : Koweït, Qatar et Oman.

La politique du hard power dans la politique étrangère turque est également une tentative délibérée de placer l’autonomie stratégique au centre. La quête d’autonomie a été motivée par les restrictions auxquelles la Turquie a été confrontée pour l’achat d’armes auprès de ses alliés occidentaux. Cette semaine, le Royaume-Uni a conclu un accord pouvant atteindre 8 milliards de livres sterling pour fournir à la Turquie 20 chasseurs Typhoon. Le Premier ministre britannique Keir Starmer a indiqué que la Turquie recevra le premier lot des 20 Typhoon en 2030. Les Eurofighter sont produits conjointement par le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, et l’accord devait être approuvé par les autres membres du consortium. Erdogan a salué cet accord comme « un nouveau symbole des relations stratégiques » avec le Royaume-Uni.

L’accord a été signé lors de la visite de Starmer à Ankara et constitue le plus grand contrat d’exportation de chasseurs depuis près de deux décennies. Il intervient alors que la Turquie cherche à tirer parti de ces avions de combat avancés pour rattraper des rivaux régionaux comme Israël. Par ailleurs, la Turquie prévoit d’acheter d’autres Typhoon auprès d’Oman et du Qatar. La semaine dernière, il a également été rapporté que la Turquie était proche d’un accord pour sécuriser 12 Typhoon supplémentaires afin de répondre à ses besoins immédiats, les avions supplémentaires venant du Royaume-Uni dans les années à venir.

Il existe également une tendance croissante parmi les États occidentaux et régionaux à poursuivre une coopération de défense plus étroite avec la Turquie. Les contacts fréquents entre ministres de la Défense ont conduit à la signature de nombreux accords et protocoles d’entente sur les technologies de l’industrie de défense et les inventaires militaires. Les produits de défense turcs sont également de plus en plus attractifs car ils sont soumis à moins de conditions politiques et sont moins influencés par les agendas changeants de certains gouvernements occidentaux.

Ainsi, la politique du hard power de la Turquie — englobant la défense et la coopération militaire — est devenue un pilier essentiel de son agenda de sécurité coopérative, qui s’est imposé comme un instrument clé de sa politique étrangère. Cette approche poursuit plusieurs objectifs : apporter la sécurité au voisinage, renforcer les partenariats stratégiques, moderniser les capacités de défense, obtenir reconnaissance et responsabilité à l’échelle mondiale, et contrer les menaces traditionnelles et non traditionnelles. À une époque définie par des défis transnationaux en matière de sécurité, cette politique est passée d'une question de choix à une nécessité stratégique.
 

Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. 

X: @SinemCngz

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com