L’Irak s’apprête à organiser des élections parlementaires mardi prochain. À l’approche de ce scrutin à forts enjeux, le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, s’est rendu en visite officielle à Bagdad, où il a rencontré le président et plusieurs hauts responsables. À cette occasion, Ankara et Bagdad ont signé un accord de coopération sur l’eau visant à résoudre les différends persistants de gestion hydrique entre les deux voisins.
Sous le mandat du Premier ministre Mohammed Shia Al-Soudani, la Turquie et l’Irak ont donné un nouvel élan à leurs relations, consolidées par une série de visites de haut niveau et de multiples accords. Al-Soudani s’est rendu à Ankara en mai, en réponse à la visite du président Recep Tayyip Erdogan à Bagdad l’an dernier — sa première depuis 2011. Ces visites ont marqué un tournant et abouti à quelque 40 accords couvrant divers domaines de coopération.
Depuis l’arrivée d’Al-Soudani au pouvoir, les relations turco-irakiennes sont passées d’une approche centrée sur la sécurité — dominée par les questions de frontières, le conflit de la Turquie avec les militants kurdes et la gestion des ressources en eau — à une relation multidimensionnelle intégrant les aspects économiques et de développement. Cette évolution a également transformé la perception turque de l’Irak : d’un voisin problématique qu’il fallait contenir à un acteur clé à placer au cœur de la stratégie de politique étrangère d’Ankara.
Outre ce nouvel élan bilatéral, la dynamique régionale — marquée par la guerre à Gaza, l’affaiblissement de l’influence iranienne et l’émergence d’un ordre régional centré sur le Golfe — a contribué à renforcer encore les liens entre Ankara et Bagdad. Pour la Turquie, l’Irak est désormais un voisin partageant des menaces sécuritaires communes et des intérêts économiques mutuels. Ankara cherche aussi à intégrer un Irak stable dans un ordre régional centré sur le Golfe, axé sur la connectivité transrégionale, l’intégration économique et la stabilité.
Pour Ankara, l’Irak est désormais un voisin partageant des menaces sécuritaires communes et des intérêts économiques mutuels.
Dr Sinem Cengiz
Un exemple clé de cet effort est la signature de l’accord quadripartite entre la Turquie, l’Irak, le Qatar et les Émirats arabes unis pour coopérer sur le projet de la Route du Développement (Development Road project). La réconciliation d’Ankara avec les États du Golfe a joué un rôle central dans ces plans de coopération turco-irako-golfiques.
Après des années de turbulences, Ankara et Bagdad ont également trouvé un terrain d’entente sur les questions de sécurité. L’année dernière, ils ont signé un protocole d’accord sur la coopération militaire, sécuritaire et antiterroriste. Cet accord a non seulement renforcé la présence sécuritaire de la Turquie en Irak, mais il a aussi reçu l’approbation du gouvernement irakien, longtemps critique des opérations antiterroristes turques sur son territoire. Dans ce cadre, la Turquie a prolongé la semaine dernière son mandat militaire en Irak et en Syrie pour trois années supplémentaires.
Ankara souhaite désormais faire partie de l’architecture sécuritaire émergente de l’Irak en fournissant des formations militaires et des ventes d’armes — un objectif plausible puisque les deux pays ont signé en mai un accord de coopération dans l’industrie de défense incluant le transfert de technologies turques. Le chef du renseignement turc, Ibrahim Kalin, a également rencontré Al-Soudani en juillet pour renforcer le partage d’informations et la stabilité frontalière. De plus, la Turquie a intégré l’Irak dans un cadre sécuritaire établi avec la Syrie, la Jordanie et le Liban pour lutter contre Daech dans la région.
Même si l’Irak semble renaître de ses cendres après une longue période de déclin, il fait toujours face à plusieurs menaces sécuritaires à l’approche du scrutin. Le pays doit encore affronter les dangers posés par Daech et le trafic de drogue, et il cherche à renforcer la coopération régionale pour y faire face. L’un de ses défis immédiats reste la pénurie d’eau : l’Irak dépend de la Turquie et de l’Iran pour près de 75 % de ses ressources en eau douce, issues des fleuves Tigre et Euphrate. Les différends sur le partage de l’eau ont longtemps pesé sur les relations entre Ankara et Bagdad, bloquant toute forme de coopération politique ou économique.
Mais la Turquie vient de signer un accord historique avec l’Irak sur la gestion de l’eau. Celui-ci sera mis en œuvre via un groupe permanent de concertation chargé de coordonner les futures décisions de partage des ressources hydriques. Bagdad a salué cet accord comme un « partenariat inédit en matière de gestion de l’eau » entre les deux voisins.
En Irak, cet accord constitue un atout politique pour Al-Soudani, à un moment où la colère populaire face aux graves pénuries d’eau ne cesse de croître. Côté turc, c’est un accord avantageux qui permettra aux entreprises turques d’obtenir des contrats de réhabilitation des infrastructures hydrauliques irakiennes.
Ankara espère que les élections n’altéreront pas fondamentalement la politique étrangère de l’Irak vis-à-vis de la Turquie.
Dr Sinem Cengiz
Beaucoup ont vu dans le timing de cet accord une manœuvre de diplomatie hydrique d’Ankara, visant à préserver son influence sur les décideurs irakiens avant les élections. En se positionnant comme partie prenante de la solution à la crise de l’eau, la Turquie cherche à consolider son image d’allié fiable du gouvernement d’Al-Soudani — ou de tout autre gouvernement à venir. Dans tous les cas, Ankara souhaite maintenir des relations amicales avec celui qui dirigera l’Irak.
Parallèlement, la Turquie repense sa dépendance au pétrole russe, affectée par les restrictions imposées par les États-Unis, l’UE et le Royaume-Uni. Ankara cherche désormais à s’éloigner de Moscou dans le commerce énergétique et à se tourner vers d’autres partenaires, dont l’Irak. Il a été rapporté que l’une des plus grandes raffineries turques, SOCAR Turkiye Aegean Refinery (appartenant au groupe azéri SOCAR), a récemment acheté quatre cargaisons de brut en provenance d’Irak et d’autres producteurs non russes.
La Turquie espère maintenant que les élections irakiennes se dérouleront sans heurts et ne modifieront pas fondamentalement la politique étrangère de Bagdad à son égard. Un changement majeur semble peu probable, étant donné la coopération étroite entre les deux pays dans les domaines de la sécurité, de l’eau, du pétrole et de l’économie. Quel que soit le futur gouvernement, la continuité devrait prévaloir, car les défis de l’Irak ne peuvent être relevés que par la coopération, non par l’isolement.
Pour l’heure, Ankara attend de voir le prochain gouvernement élu prendre ses fonctions et poursuivre la dynamique de continuité déjà en place.
Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient.
X: @SinemCngz
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com














