Comment la Turquie s’est imposée comme garant clé pour Gaza

La Turquie est l'un des quatre pays qui ont signé une déclaration commune sur l'accord de cessez-le-feu à Charm el-Cheikh, sous l'égide des Etats-Unis. (AFP)
La Turquie est l'un des quatre pays qui ont signé une déclaration commune sur l'accord de cessez-le-feu à Charm el-Cheikh, sous l'égide des Etats-Unis. (AFP)
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Publié le Samedi 18 octobre 2025

Comment la Turquie s’est imposée comme garant clé pour Gaza

Comment la Turquie s’est imposée comme garant clé pour Gaza
  • La Turquie a émergé comme garant clé du cessez-le-feu à Gaza, grâce à une diplomatie régionale proactive, sa participation aux négociations en coulisses et sa capacité à influencer le Hamas
  • Ankara vise un rôle stratégique à long terme, en participant à la force multinationale, à la surveillance du cessez-le-feu et à la reconstruction de Gaza, malgré des défis diplomatiques et politiques à venir

Depuis le début de la guerre à Gaza, la Turquie a adopté une position ferme et proactive, s’impliquant dans des initiatives régionales et internationales visant à mettre fin à l’agression israélienne. Depuis deux ans, Ankara soutient activement les efforts menés par les pays arabes, resserrant les rangs avec l’Arabie saoudite, le Qatar, l’Égypte et la Syrie pour présenter un front uni. Cette approche a renforcé les liens d’Ankara non seulement avec le monde arabe, mais aussi avec l’administration américaine.

Grâce à ces efforts, la Turquie a fait partie des quatre pays signataires d’une déclaration conjointe menée par les États-Unis concernant un accord de cessez-le-feu à Gaza, publiée lundi à Charm el-Cheikh, en Égypte. Aux côtés du président Recep Tayyip Erdogan, la déclaration a été signée par le président américain Donald Trump, le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi et l’émir du Qatar, Cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani.

Mais qu’est-ce qui a permis à la Turquie de décrocher une place à la table des négociations ? Tout a commencé lors d’une réunion à huis clos entre Trump et plusieurs dirigeants musulmans et arabes, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies le mois dernier. Erdogan était notamment assis aux côtés de Trump, signe précoce des attentes de Washington envers Ankara sur la question de Gaza. À la suite de cette rencontre, Erdogan a tenu un entretien en tête-à-tête avec Trump, au cours duquel Gaza a été abordée en détail.

La Turquie, aux côtés du Qatar et de l’Égypte, a encouragé le Hamas à répondre positivement à la proposition de cessez-le-feu soutenue par les États-Unis. 

                                              Dr. Sinem Cengiz

Par la suite, la Turquie a entamé avec le Qatar et l’Égypte des démarches pour inciter le Hamas à accepter la proposition américaine. Une figure centrale de ces efforts fut Ibrahim Kalin, chef de l’Organisation nationale du renseignement turque, qui a joué un rôle clé dans les négociations en coulisses à Doha. Sa participation a officialisé l’implication de la Turquie dans les pourparlers de médiation.

Selon le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, Washington a expressément demandé à Ankara d’user de son influence pour convaincre le Hamas. Pour la Turquie, Gaza est à la fois un enjeu stratégique et une question intérieure : la cause palestinienne fait consensus au sein de toutes les grandes formations politiques du pays. La guerre à Gaza a exacerbé les sentiments négatifs de la population turque envers Israël.

Grâce à une diplomatie discrète mais intense, la Turquie est ainsi devenue l’un des garants de l’accord sur Gaza. Cela s’explique par son activisme régional, mais aussi par la relation personnelle qu’Erdogan entretient avec Trump. Ce dernier a d’ailleurs déclaré : « Il est toujours là quand j’ai besoin de lui. C’est un dur, un vrai, mais c’est mon ami. »

C’est là un exemple classique de la diplomatie version Trump : simple, directe et transactionnelle. Il privilégie les relations avec des dirigeants qu’il considère comme forts et réactifs, et attend la même efficacité. À ses yeux, seuls quelques pays du Moyen-Orient offrent aux États-Unis des relations pragmatiques et opérationnelles — et la Turquie en fait partie. L’accord sur Gaza en est l’illustration.

L’intégration de la Turquie aux négociations et à la mise en œuvre de l’accord représente une réussite diplomatique majeure. 

                                         Dr. Sinem Cengiz

La participation de la Turquie aux négociations et à la mise en œuvre de l’accord marque une étape diplomatique importante. Mais une question demeure : quel rôle jouera Ankara à l’avenir ? Et surtout, la Turquie dispose-t-elle d’une stratégie de long terme face aux défis potentiels ? Les réponses émergeront au fil du processus. En attendant, il est utile de rappeler les engagements turcs et les défis qui les accompagnent.

Premièrement, Ankara souhaite la pleine application de l’accord, incluant un système de garanties à quatre parties pour veiller au respect du cessez-le-feu, surveiller les violations et gérer les échanges de prisonniers. Deuxièmement, la Turquie veut participer à la force multinationale chargée de contrôler le cessez-le-feu. Troisièmement, elle ambitionne de jouer un rôle dans la reconstruction et la relance de Gaza.

Selon plusieurs sources, cette force comprendra 200 soldats américains, ainsi que des unités turques, émiraties, égyptiennes et qataries. La Turquie aidera également à localiser les corps d’otages israéliens supposés morts en captivité. Elle dispose d’une équipe expérimentée dans l’identification de corps non réclamés, qui a déjà travaillé en Syrie.

Cependant, le déploiement de troupes turques à Gaza nécessite l’approbation du Parlement. Comme lors des déploiements passés au Qatar, en Libye, en Somalie, au Haut-Karabakh ou au Liban, un mandat de la Grande Assemblée nationale de Turquie — généralement signé par Erdogan — est indispensable.

Le 10 octobre, le ministère de la Défense a affirmé que les forces armées turques étaient prêtes à assumer cette mission. Ankara a également mobilisé ses principales agences humanitaires, susceptibles de jouer un rôle crucial dans les mesures d’aide et de sécurité. Des camions d’aide turcs sont déjà entrés dans Gaza ces derniers jours.

Puissance régionale affirmée, la Turquie conjugue efficacement force militaire et diplomatie. Toutefois, deux défis pourraient limiter son rôle : d’une part, ses relations tendues avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, dont la présence au sommet sur Gaza en Égypte aurait été rejetée sous pression turque ; d’autre part, la reconstruction de Gaza, qui exige une coordination étroite. La Turquie devra maintenir une stratégie collaborative avec les autres acteurs impliqués.

La Turquie est prête à assumer ses responsabilités, mais son rôle exact à Gaza reste à définir, les missions n’ayant pas encore été formellement attribuées et les mécanismes encore en cours de structuration. Le tout dans un contexte régional complexe à suivre de près.

Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. 

X: @SinemCngz

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com