La Turquie plaide pour un rapprochement entre la Syrie et les États turciques

Les dirigeants de l'Organisation des États turciques ont tenu un sommet en Azerbaïdjan mardi (File/AFP)
Les dirigeants de l'Organisation des États turciques ont tenu un sommet en Azerbaïdjan mardi (File/AFP)
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Publié le Samedi 11 octobre 2025

La Turquie plaide pour un rapprochement entre la Syrie et les États turciques

La Turquie plaide pour un rapprochement entre la Syrie et les États turciques
  • Erdogan appelle les États turciques à renforcer leurs relations avec la nouvelle administration syrienne afin de soutenir la stabilité régionale et la reconstruction post-conflit
  • L’Azerbaïdjan et l’Ouzbékistan ont déjà entamé un dialogue avec Damas, tandis que la Turquie cherche à jouer un rôle de pont entre le Levant et l’Asie centrale

Les dirigeants de l’Organisation des États turciques — Turquie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Kirghizistan et Ouzbékistan — se sont réunis mardi lors d’un sommet en Azerbaïdjan. Le président turc Recep Tayyip Erdogan y a invité ses homologues à approfondir leur engagement avec la nouvelle administration à Damas.

Trois points clés ressortent du discours d’Erdogan. D’abord, il a appelé à une réponse unifiée de l’Organisation des États turciques face aux défis sécuritaires communs. Ensuite, il a souligné la nécessité pour les membres de soutenir les efforts de stabilisation en Syrie en engageant le dialogue avec Damas. Troisièmement, il a évoqué l’importance d’une coordination plus étroite entre l’organisation et les autres alliances internationales. Le plaidoyer pour un renforcement des liens avec le gouvernement syrien s’est détaché comme particulièrement significatif.

Pendant la guerre en Syrie, les États d’Asie centrale de l’ex‑Union soviétique avaient attiré une attention importante lorsque la capitale du Kazakhstan, Astana, était devenue le lieu principal des pourparlers de paix impliquant la Turquie, l’Iran et la Russie. Un mois à peine avant la chute du régime de Bachar al‑Assad, elle avait accueilli le 22ᵉ cycle des négociations dans le cadre du processus de paix dit “d’Astana”.

Beaucoup spéculaient que la chute d’Assad pourrait provoquer un changement dans l’approche des États d’Asie centrale vis‑à‑vis de la Syrie.

                                            Dr. Sinem Cengiz

Le Kazakhstan était perçu comme un intermédiaire de confiance du fait de ses relations anciennes avec le régime syrien et de ses liens étroits avec la Russie, l’allié le plus constant d’Assad. Après l’effondrement du régime d’Assad, beaucoup ont supposé que ce basculement de pouvoir pourrait entraîner un changement dans l’attitude des États turciques d’Asie centrale envers la Syrie, compte tenu de leurs relations passées. Pourtant, les membres de l’Organisation des États turciques ont réaffirmé leur soutien à l’unité, à la stabilité, à l’intégrité territoriale de la Syrie et à sa reconstruction post‑guerre sous la nouvelle administration.

Mais les États turciques d’Asie centrale affrontent encore des contraintes importantes pour établir une relation plus étroite avec la nouvelle direction syrienne. Mis à part la Turquie, qui entretient les liens les plus proches avec Damas, l’Azerbaïdjan a fait des pas notables vers l’établissement de relations avec le président Ahmad al‑Chareh.

En juillet, Bakou a reçu al‑Chareh lors d’une visite courte mais symboliquement importante. Au cours de cette visite, les deux parties ont discuté du développement économique et de la coopération dans le secteur de l’énergie et ont signé un protocole d’entente dans ce domaine. Des rapports indiquent que l’Azerbaïdjan prévoit de fournir du gaz naturel à la Syrie via la Turquie. Des discussions ont également porté sur l’utilisation possible des installations exploitées par la société énergétique publique turque BOTAS, avec des projets d’exploitation du nouveau gazoduc Kilis‑Alep. L’Azerbaïdjan a aussi exprimé son intérêt pour participer aux activités d’exploration et de production pétrolières et gazières, tant onshore qu’offshore, en Syrie.

Ankara tente de rapprocher les États turciques de ses alliés et de se positionner comme un pont entre le Levant et l’Asie centrale.

                                         Dr. Sinem Cengiz

Le gouvernement syrien a également tendu la main à l’Ouzbékistan, envoyant son ministre des Affaires étrangères rencontrer son homologue ouzbek. Leurs discussions ont porté sur le soutien à la reconstruction des infrastructures socio‑économiques de la Syrie, signalant un effort plus large d’engagement entre la Syrie et les États d’Asie centrale.

La Turquie cherche le soutien des nations turques pour le maintien de la stabilité en Syrie, essentielle non seulement pour le Levant et le Moyen‑Orient, mais aussi pour le Caucase et l’Asie centrale.

Pendant la guerre en Syrie, plusieurs ressortissants des États d’Asie centrale ont rejoint les rangs de l’État islamique. Selon des rapports, environ 40 % du nombre total de militants ayant rejoint le groupe extrémiste provenaient des anciens États soviétiques. Cette situation a suscité de vives inquiétudes parmi les États d’Asie centrale quant à la menace potentielle que représentent les mouvements extrémistes pour leur sécurité intérieure et leur stabilité politique.

En réponse, plusieurs pays, dont l’Ouzbékistan, le Kazakhstan et le Kirghizistan, ont lancé des programmes étatiques de rapatriement et de réintégration pour traiter cette question, tandis que le Turkménistan s’est montré réticent à de telles mesures. Compte tenu de ces défis de sécurité, la stabilité de la Syrie ne devrait pas seulement être une priorité stratégique pour la Turquie et les États voisins, mais aussi pour les États turciques d’Asie centrale.

La Russie est un autre facteur dans l’avenir des relations entre les États turciques et Damas. Bien que l’organisation ne soit pas une alliance militaire — elle fonctionne plutôt comme une plateforme politique et économique — Moscou la considère comme un concurrent de ses propres efforts d’intégration régionale, tels que l’Union économique eurasiatique et l’Organisation du traité de sécurité collective.

Au cours de la dernière décennie, la Turquie a renforcé ses liens avec les États turciques d’Asie centrale dans le but de réduire l’influence de la Russie sur eux. Par la vente de drones militaires, des projets de connectivité économique et un engagement diplomatique, Ankara a cherché à contourner la domination traditionnelle de Moscou, ce que ces États désirent également.

De plus, la guerre de la Russie en Ukraine a encore accru l’importance de l’Asie centrale comme route clé de transport et de commerce. Elle fait partie du Corridor du Milieu reliant l’Asie et l’Europe, servant d’alternative au Corridor Nord via la Russie. L’Organisation des États turciques représente maintenant la plupart des États situés le long du Corridor du Milieu.

Outre la guerre en Ukraine, la chute du régime d’Assad a aussi entraîné un déclin progressif de l’influence russe au Moyen‑Orient et dans des régions comme l’Asie centrale, créant un vide de pouvoir que la Turquie cherche de plus en plus à combler. Ankara tente de tirer profit de cette nouvelle conjoncture géopolitique en rapprochant les États turciques de ses alliés dans la région, comme la Syrie, et en se positionnant comme un pont entre le Levant et l’Asie centrale.

Cependant, cette stratégie n’est pas sans défis. Si la Turquie peut utiliser son influence pour encourager un soutien accru au gouvernement al‑Chareh, il est probable que les États turciques mettent du temps à embrasser pleinement la nouvelle administration syrienne. L’avancement de cette stratégie dépend de plusieurs facteurs, tels que l’unité au sein des membres de l’Organisation des États turciques, les relations de l’organisation avec la Turquie, l’influence russe sur les membres, et les développements futurs au sein même de la Syrie.

Néanmoins, l’objectif de la Turquie de renforcer les liens entre les États turciques et la Syrie est important et pourrait influencer plusieurs dynamiques dans les années à venir.

 

Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. 

X: @SinemCngz

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com