La Turquie, acteur clé de la reconstruction de Gaza

Les membres de la famille Abu Rukba sont assis ensemble près de bâtiments détruits à Nuseirat, dans la bande de Gaza, le 26 décembre 2025. (AP)
Les membres de la famille Abu Rukba sont assis ensemble près de bâtiments détruits à Nuseirat, dans la bande de Gaza, le 26 décembre 2025. (AP)
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Publié le Samedi 27 décembre 2025

La Turquie, acteur clé de la reconstruction de Gaza

La Turquie, acteur clé de la reconstruction de Gaza
  • La Turquie est un acteur indispensable pour la phase post-conflit à Gaza, en raison de ses liens avec le Hamas, son expérience humanitaire et ses capacités militaires
  • Le désarmement du Hamas et la stabilisation de Gaza dépendent de l’inclusion de la Turquie dans la Force internationale de stabilisation, même à un rôle limité

Après plus de deux ans de guerre israélienne à Gaza, un conflit qui a fait des milliers de morts parmi les Palestiniens, une avancée est survenue en octobre avec la signature d’un accord de cessez-le-feu à Gaza dirigé par les États-Unis à Sharm El-Sheikh, en Égypte. Avec cette trêve désormais en place, il est temps de passer à la phase suivante de l’accord : la création d’une Force internationale de stabilisation.

La Turquie a été l’un des quatre pays à signer l’accord aux côtés des États-Unis, de l’Égypte et du Qatar. Cet accord n’est pas le fruit d’une seule partie, mais un effort collectif tourné vers l’avenir de Gaza. Chaque signataire porte donc une responsabilité importante dans sa mise en œuvre.

La diplomatie personnelle du président Recep Tayyip Erdogan avec les dirigeants des autres États garants, ainsi que le dialogue constructif maintenu par les institutions turques, y compris le ministère des Affaires étrangères et les services de renseignement, avec leurs homologues régionaux, ont contribué à faire avancer le processus jusqu’à ce stade. Cependant, Israël continue de poursuivre une stratégie de perturbation pour entraver le processus. Le principal prétexte invoqué pour cette stratégie est l’inclusion de la Turquie.

Des divergences croissantes apparaissent désormais entre les États-Unis et Israël concernant le rôle de la Turquie. La position de Washington est claire : elle considère le rôle de la Turquie comme crucial et soutient son inclusion dans le cadre post-Gaza. Les pays régionaux partagent ce point de vue, cherchant à élargir la coopération régionale pour Gaza en impliquant tous les acteurs clés. La Turquie entretient des liens étroits avec les quatre États garants. Le Qatar est un allié clé, travaillant en étroite collaboration avec Ankara pour amener le Hamas à la table des négociations et encourager le groupe vers le désarmement. L’Égypte, notamment après la normalisation de ses relations avec Ankara, a renforcé sa coopération sécuritaire avec la Turquie. La guerre à Gaza a encore consolidé les relations turco-égyptiennes, alors que Le Caire considère de plus en plus la Turquie comme un acteur fiable en matière de sécurité dans la région, malgré des désaccords sur certains aspects de sa politique étrangère.

Pour Washington, inclure la Turquie dans les arrangements post-conflit est essentiel, notamment en ce qui concerne la position du Hamas. Mercredi, le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, a rencontré des responsables du bureau politique du Hamas à Ankara pour discuter du cessez-le-feu à Gaza et faire avancer l’accord vers sa deuxième phase. Lundi, l’ambassadeur américain en Turquie, Tom Barrack, a rencontré le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour tenter d’apaiser les inquiétudes israéliennes concernant la Turquie. Cependant, une véritable percée dépendra probablement de la rencontre entre Netanyahu et le président américain Donald Trump en Floride, prévue lundi. Ce sera la dernière tentative pour relancer le plan Gaza, qui vise à passer d’un cessez-le-feu à un nouvel arrangement gouvernemental à Gaza, le déploiement d’une force de maintien de la paix et le désarmement du Hamas.

Sans l’implication de la Turquie, le désarmement du Hamas pourrait ne même pas se réaliser. 

                                                        Dr. Sinem Cengiz

Lors de cette rencontre, même si Trump semble accepter — à contrecœur — le veto israélien sur la Turquie, des médiateurs tels que l’Égypte et le Qatar maintiendront la pression pour inclure la Turquie. Si Trump ne parvient pas à convaincre Israël de l’inclusion de la Turquie, il est attendu qu’il pousse au moins initialement pour un rôle turc « symbolique » ou limité. Pour Ankara, cela ne poserait aucun problème. La Turquie n’insiste pas pour jouer un rôle de premier plan dans les arrangements post-conflit ; elle cherche plutôt à compléter les rôles joués par l’Égypte, le Qatar et d’autres acteurs régionaux. Un rôle secondaire n’entre pas en conflit avec la vision turque pour Gaza.

Cependant, même un rôle turc limité reste une source de préoccupation pour Israël, qui considère toute présence militaire turque à Gaza comme franchissant une « ligne rouge ». Cela reflète le rejet de longue date d’Israël de déployer des troupes turques sur le territoire. En réalité, l’opposition israélienne découle de son désir de conserver une liberté opérationnelle maximale à Gaza.

De plus, Israël, dont les forces sont épuisées après de longues opérations et qui manque d’une force navale, s’inquiète particulièrement des capacités militaires et de renseignement de la Turquie dans la région. Israël soutient que les relations de la Turquie avec le Hamas — qu’Ankara considère comme un mouvement de libération plutôt qu’une organisation terroriste — posent problème. Cependant, le désarmement du Hamas dépend de l’établissement d’une nouvelle entité de gouvernance palestinienne et de la présence de forces de maintien de la paix internationales, avec la Turquie agissant comme garant. En réalité, sans l’implication de la Turquie, le désarmement du Hamas pourrait ne même pas se réaliser. La Turquie a déjà joué un rôle important dans la première phase de l’accord de Gaza, notamment dans les efforts pour assurer le retour des otages. Trump lui-même l’a reconnu et a publiquement remercié Ankara pour avoir utilisé son influence afin d’encourager le Hamas à accepter le plan de paix.

La Turquie est donc un acteur et un garant indispensable, compte tenu de ses canaux de communication actifs avec le Hamas, de son expérience dans les opérations humanitaires et de ses capacités militaires et de reconstruction importantes. Elle dispose de décennies d’expérience dans les zones post-conflit à travers le monde et est désormais prête à contribuer à l’une des zones post-conflit les plus difficiles au monde par tous les moyens possibles. Selon les rapports, la Turquie a déjà prévu d’envoyer environ 2 000 personnes, y compris des forces terrestres, ainsi que des spécialistes en logistique et en neutralisation d’engins explosifs, pour une participation potentielle à la force de maintien de la paix.

Compte tenu des bonnes relations entre Trump et Erdogan, il est probable que Trump cherchera à proposer des options pour attribuer un rôle à la Turquie dans la Force internationale de stabilisation. Ces rôles ne comprendront peut-être pas — à la première étape — des troupes turques patrouillant à Gaza, mais pourraient jouer un rôle clé dans l’élaboration des politiques et la reconstruction de l’enclave. Si Netanyahu continue de rejeter l’inclusion de la Turquie, il est temps pour Washington de proposer un plan concret pour la deuxième phase de l’accord lors de la rencontre avec le dirigeant israélien. Plutôt que d’essayer de le convaincre complètement — étant donné qu’il considère la présence turque comme une menace existentielle — l’objectif devrait être d’atteindre un point où il accepte de ne pas être d’accord tout en permettant au processus d’avancer.

Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. 

X: @SinemCngz

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com