Que penser d’un dirigeant politique britannique qui promet d’expulser 600.000 immigrés dès son premier mandat ? Soit 120.000 personnes par an. Cela inclurait même un accord avec les Talibans, un mouvement contre lequel le Royaume-Uni s’est battu pendant des années, pour faciliter les expulsions vers l’Afghanistan.
C’est la proposition aussi spectaculaire que choquante qu’a faite Nigel Farage, leader d’extrême droite du parti Reform UK, dans un discours la semaine dernière. Il affirme que cela ne coûterait que 10 milliards de livres sterling (13,5 milliards de dollars). D’autres estimations évoquent plutôt un coût de 50 milliards. Fidèle à lui-même, Farage n’a pas su expliquer comment il financerait un tel projet.
Il n’y a pas si longtemps, une telle déclaration aurait été rangée au rayon des délires extrémistes sans impact réel. Ce n’est plus le cas en 2025. Le parti de Farage est désormais en tête des sondages, parfois avec 10 points d’avance, et bénéficie d’une dynamique forte. Ses coups d’éclat populistes font mouche, et il parvient à attiser toutes les peurs anti-immigrés avec efficacité. Son autre stratégie : prédire les violences qu’il contribue lui-même à alimenter.
« Nous ne sommes pas loin de graves troubles civils. C’est une invasion, ces jeunes hommes entrent illégalement dans notre pays », a-t-il déclaré la semaine dernière.
La dimension raciste est évidente : s’en prendre systématiquement à toute personne non blanche arrivant au Royaume-Uni, les dépeignant comme des criminels menaçant le mode de vie britannique. Autrefois, ce genre de discours ne passait pas.
Les coups d’éclat populistes de Farage font mouche, et il attise toutes les peurs anti-immigrés possibles.
Chris Doyle
Aussi étonnante que soit cette proposition infâme, elle l’est autant que le silence assourdissant du gouvernement de Keir Starmer. Aucun ministre n’a remis en cause l’usage du mot « invasion ». Comme s’ils étaient incapables — ou peu désireux — de s’opposer à la montée du parti Reform.
Ce refus de contrer un discours xénophobe est non seulement une faute morale, mais également une erreur politique majeure. Ni le Parti travailliste ni les Conservateurs ne parviendront à surenchérir sur Farage sur le terrain de l’hostilité aux immigrés. Starmer, par exemple, ne veut pas quitter la Convention européenne des droits de l’homme, mais seulement la réformer — une position qui rappelle l’échec de David Cameron à renégocier l’adhésion du Royaume-Uni à l’UE.
Farage a pourtant offert à ses adversaires une cible évidente, pour peu qu’ils aient le courage d’attaquer. Les propositions de Reform sont inapplicables, tout comme nombre de celles des Conservateurs au pouvoir. Il y a peu de détails, et ceux qui existent sont flous. Mais Farage le sait : son succès ne repose pas sur la compétence ou la précision, mais sur une narration percutante, aussi toxique soit-elle.
Présenter le Royaume-Uni comme un pays submergé par une invasion étrangère fonctionne. Pourtant, les faits le contredisent. En tenant compte des 27 États membres de l’UE et de quelques autres pays européens, le Royaume-Uni se classe 17e pour les demandes d’asile par habitant. Les réfugiés représentent à peine 0,5 % de la population.
La plupart des pays européens sont enrichis par les compétences et l’expérience des populations immigrées.
Chris Doyle
La stratégie de Starmer se limite à bricoler : accélérer le traitement des demandes d’asile pour réduire les délais, et expulser plus rapidement ceux dont les dossiers sont rejetés. Mais il n’a aucun plan réaliste pour équilibrer les flux migratoires, respecter les engagements internationaux envers les réfugiés légitimes, et rassurer une population de plus en plus réceptive à la peur que propage Farage.
Farage, lui, devrait s’attaquer à la justice britannique, comme l’ont toujours fait les groupes d’extrême droite. Cela inclurait de cibler les « juges militants ». Il envisage aussi de retirer le Royaume-Uni des traités sur les droits humains, notamment la Convention européenne des droits de l’homme, avec des conséquences potentiellement lourdes pour l’accord du Vendredi Saint en Irlande du Nord. Il voudrait également suspendre l’application de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951 pendant cinq ans — et espère que la leader conservatrice Kemi Badenoch le soutiendra en octobre.
Qu’on le veuille ou non, les expulsions de masse sont désormais un levier électoral dans de nombreux pays. Des pans entiers de population sont traités comme du bétail. On l’a vu aussi aux États-Unis. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou cherche, pour d'autres raisons, à forcer les Palestiniens à quitter Gaza et la Cisjordanie.
La défense de l’immigration est absente du débat, ou inaudible. Beaucoup tentent de porter ce message, mais ne trouvent aucune place dans un paysage médiatique dominé par la droite. Pourtant, la réalité est là : le Royaume-Uni, comme la plupart des pays européens, a besoin de la main-d’œuvre immigrée. Les services de santé s’effondreraient sans elle. Les sociétés s’enrichissent de la diversité des expériences et des compétences qu’apportent les migrants.
Mais partout en Europe et en Amérique du Nord, l’immigration est de plus en plus perçue comme un fléau. Peu de gens comprennent la différence entre un migrant économique et un véritable demandeur d’asile fuyant la guerre ou la persécution. L’extrême droite a un récit. Les autres partis n’ont ni vision ni courage. Et dans ce vide, la haine et la peur l’emportent.
Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique à Londres.
X : @Doylech
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com